▪ Wall Street reflétait vendredi au cours de la dernière heure une volonté manifeste de propulser les indices américains vers de nouveaux records annuels. Le Nasdaq a clôturé sur un gain de 0,5% à 2 591,5 points après avoir testé les 2 593 — c’est-à-dire un point au-dessus du plus haut intraday inscrit à 2 592 points le 9 novembre dernier (ce qui comblait ce fameux gap resté béant depuis le 3 janvier 2008).
Cela ne suffira pas à écarter le risque de double sommet. Cependant, l’indice électronique se retrouve idéalement positionné pour filer vers les 2 400 points d’ici la fin du quatrième trimestre à la faveur des habillages de bilans de fin d’année.
Le S&P (+0,25%) a clôturé également au contact de son zénith annuel des 1 225 points du 5 puis des 8 et 9 novembre derniers. C’est un niveau de cours très comparable à l’ex-record annuel des 1 220 points du 26 avril dernier, ou au plancher d’avant-crise du 15 juillet 2008.
Ce sont donc là des seuils techniques et psychologiques qui requièrent une forte détermination et de solides arguments fondamentaux pour justifier un débordement qui n’en reste pas qu’au stade de bull trap (piège pour les haussiers).
A l’image d’un parcours hebdomadaire placé sous le signe de la volatilité, les places européennes ont connu une dernière séance de la semaine en dents de scie, avec un petit accès de faiblesse au moment du fixing de clôture.
Le CAC 40, qui flirtait avec les 3 770 points (+0,5%) vendredi vers 17h15, en a terminé sur un gain symbolique de 0,09% à 3 750 : pile le pivot psychologique des trois derniers mois écoulés. Cela permet aux valeurs françaises d’afficher un score hebdomadaire positif de +0,6%.
▪ Les investisseurs n’ont pas complètement digéré la déception causée par la publication des statistiques de l’emploi américain au mois de novembre. Les embauches se sont limitées à +40 000 (au lieu des 150 000 espérées) tandis que le taux de chômage remontait de 9,6% à 9,8%. Ce scénario est assez inhabituel pour un mois de novembre, généralement marqué par une forte hausse du travail temporaire, dopé par le secteur de la distribution.
Les chiffres du département du Travail US témoignent par ailleurs d’une faible progression du salaire hebdomadaire moyen (+0,1%). Il résulte d’une hausse tout aussi modeste (+0,1%) des heures travaillées, le salaire horaire restant désespérément stable depuis trois mois.
La bonne surprise est venue de l’indice ISM des services. Il a progressé jusque vers 55% en novembre (contre 54,5% anticipé), son plus haut niveau depuis le mois de mai. Les commandes à l’industrie reculent… mais moins fortement que prévu, c’est plutôt rassurant.
▪ Autre élément favorable : la pression sur l’euro s’est relâchée. Les opérateurs ont repris confiance suite aux interventions de la BCE jeudi après-midi sur le marché obligataire — le dollar est retombé sous les 1,3380/euro.
J.C. Trichet l’a confirmé : le secteur bancaire continuera à profiter de liquidités « bon marché » offertes par la BCE jusqu’au mois de mars 2011. Elle se défend de mettre en place un assouplissement quantitatif bis car la masse monétaire est maintenue à un niveau stable… mais nous constatons que l’horizon de la sortie de crise reste masqué par les remparts de liquidités mises en place pour contenir la marée montante des mauvaises dettes.
Sans ces mesures d’exception, les systèmes bancaires irlandais, grec ou portugais se seraient déjà effondrés faute de liquidités… et ça devrait continuer.
▪ Afin de bien faire passer le message, la BCE serait intervenue pour acheter ostensiblement de la dette irlandaise et portugaise au moment même où J.C. Trichet répondait aux questions concernant la résolution de la crise de confiance qui affecte les PIGS.
Rien n’est vraiment résolu mais le cerceau irlandais continue de rouler. Il cahote, dessine des « huit »… mais les coups de baguette magique des banques centrales lui évitent de sortir du sentier économique et de chuter à plat dans le bourbier de la récession qui menace le pays.
▪ Autre signe encourageant, le pétrole poursuit son rally haussier à 88,2 $ le baril sur le NYMEX. Le voici revenu au plus haut depuis le 11 novembre dernier (et potentiellement depuis octobre 2008), et ce n’est pas pour compenser la faiblesse du billet vert cette fois-ci.
L’activité économique reste sur une pente ascendante en Inde et en Chine — cette dernière prépare les marchés à un nouveau durcissement des conditions du crédit.
La croissance semble plus solide que prévu au début de l’automne aux Etats-Unis ; la Fed ne pourra donc pas maintenir éternellement Wall Street sous amphétamines et doubler tous les six mois la dose d’assouplissement quantitatif pour maintenir artificiellement le loyer de l’argent sous les 0,1% (au jour le jour) et les T-Bonds 2020 sous les 3%.
Une hausse inopinée des rendements obligataires pourrait vite remettre en cause les calculs concernant la rentabilité et le niveau de valorisation des actions. Mais Goldman Sachs mène une campagne intensive depuis mardi dernier (tiens, tiens, c’est précisément ce jour-là que les indices américains ont entamé leur rebond) pour restaurer le biais directionnel haussier en vigueur depuis la fin août à Wall Street.
▪ Nous avons écouté avec intérêt le « grand oral » d’un stratège en chef de Goldman Sachs (GS). C’est manifestement un haussier irréductible — peut-être le potentiel successeur d’Abby Joseph Cohen (un des piliers de GS, qui n’a jamais jugé au cours de ses 50 ans de carrière que des actions pouvaient être passagèrement trop chères !).
Son argumentaire tenait en quatre arguments principaux:
– La Fed injecte beaucoup d’argent dans le système financier.
– Les taux vont rester exceptionnellement bas très longtemps.
– La prime de risque en faveur des actions va demeurer élevée.
– Les valorisations sont raisonnables si le PIB dépasse durablement 2,7%.
Tout ce qui précède est consternant de banalité. C’est la version « 1.0 » du catéchisme haussier que Wall Street se récite en boucle depuis trois mois. Cependant, tant que le haut clergé de Goldman Sachs en fait le leitmotiv de sa grand’messe haussière, les fidèles s’empressent de repasser acheteurs le coeur léger… comme ceux qui se gavaient de CDO et autres ABS adossés à des créances subprime trois ans auparavant.
L’un premiers « structureurs » de mille-feuilles de dettes pourries n’était autre que Goldman Sachs… C’est dire à quel point nous avons confiance dans le point de vue selon lequel « les taux vont rester exceptionnellement bas très longtemps ».
Les mêmes affirmaient en décembre 2007 que les prix immobiliers allaient demeurer « structurellement orientés à hausse très longtemps ».