Quelques frissons ont parcouru l’échine des opérateurs vendredi matin. La banque centrale chinoise a en effet annoncé vers midi — en pleine nuit à l’heure de Pékin — le relèvement de 0,5% du taux de réserves obligatoires des banques (à 18%), c’est-à-dire le montant des fonds propres requis pour accorder de nouveaux prêts.
Il s’agit de la deuxième opération du genre en 10 jours et de la cinquième depuis le début de l’année. Elle a toujours comme objectif de juguler les investissements trop spéculatifs (bulle du crédit) qui renforcent l’inflation constatée dans le pays.
Cette mesure technique apparaît moins brutale qu’une hausse de taux pure et simple (la dernière en date remonte au 19 octobre). Les investisseurs ont fini par se convaincre qu’entre deux maux, il fallait se réjouir que la Chine ait choisi le moindre.
▪ Bien qu’ayant débuté sur une note de franche lourdeur, la journée des « Trois sorcières » s’est achevée sur un repli modéré des places européennes. Les 0,33% perdus (au lieu de -1% en fin de matinée vendredi) préservaient un gain hebdomadaire de 0,8%, malgré le trou d’air de -2,5% observé mardi.
La semaine s’achevait in extremis sur une progression symbolique des indices américains, à l’issue d’une séance où ils ont évolué 95% du temps dans le rouge. Comme il n’y a pas de hasard, le Dow Jones (+0,2%) en terminait juste au-dessus des 11 200 points, le S&P (+0,25%) s’accrochant aux 1 200 à 1 199,7 points, et le Nasdaq (+0,15%) finissant la semaine sur un score globalement nul, à 2 518 points.
S’agissant des contrats sur indices américains, le mois de novembre s’avère légèrement positif (de +1,5% à +2,5%). Cela entretient l’espoir que 2010 se terminera au plus haut grâce aux habillages de bilan de fin d’année qui vont débuter dès le début de la semaine prochaine.
La hausse somnambulique des actifs négociables (boursiers, obligataires, matières premières) qui perdure depuis bientôt 12 semaines, c’est le genre de scénario qu’affectionnent les conseillers de clientèle, les stratèges et les suiveurs de tendance systématiques (« trend followers« ).
▪ Ils affirment avec une touchante unanimité qu’aucun changement ne se profile à l’horizon. Après tout, la Fed va continuer d’injecter ses 100 milliards de dollars tous les mois dans le système financier, malgré les critiques qui fusent de toutes parts depuis l’annonce officielle du « QE2 » début novembre : les chiens aboient, la caravane passe.
Bienvenue au pays enchanté de l’éternel printemps où les profits boursiers sont en perpétuel bourgeonnement… où le dollar reverdit miraculeusement… où les haricots magiques grimpent jusqu’à traverser les nuages.
Bon, d’accord, ils n’ont pas besoin de beaucoup forcer en ce moment… En jetant un coup d’oeil par ma fenêtre dimanche, j’ai en effet constaté que le deuxième étage de la Tour Eiffel se perdait dans la grisaille et que la Tour Montparnasse semblait avoir raccourci de moitié.
▪ En parcourant les allées du Salon Actionaria, Porte Maillot — où beaucoup d’exposants semblaient s’ennuyer ferme tandis que notre stand ne désemplissait pas –, nous avons tenté de glaner quelques points de vue un peu originaux au fil des nombreuses conférences organisées par les institutionnels et la presse financière.
Nous avons entendu marteler que les marchés étaient dirigés par la liquidité et que les émergents continuaient de drainer beaucoup de capitaux. De son côté, l’Europe apparaît toujours comme une zone d’investissement de « second choix » dans la mesure où la banqueroute des PIGS (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) fait planer une menace sur la croissance.
Trop de dettes ici ou là débouche inéluctablement sur une cure d’austérité pour l’ensemble des pays ayant adopté la monnaie unique. En effet, les plans de refinancement au profit des uns contraignent les autres à se serrer symétriquement la ceinture afin de limiter leur propre taux d’endettement.
La Chine s’efforce de limiter le risque inflationniste, la Fed imprime de l’argent pour soutenir l’économie américaine… chacun fait son possible pour que tout continue de se passer pour le mieux.
Tout ce que j’ai entendu sur le salon m’a donc paru frappé du sceau du bon sens, décrivant assez bien le sentiment qui domine de Wall Street à la City : les professionnels estiment que tout ceci est bel et bon et qu’il n’y aucune raison que ça change. Le mot d’ordre demeure « take the Fed’s money and run« .
Ce que nous pourrions traduire par : « remplissez-vous les poches avec la fausse mornifle de la Fed, mélangez-la à quelques vieux billets usagés dont les numéros ne se suivent pas… et allez vous éclater au champagne.
▪ Nous connaissons quelques activités interlopes où le mot d’ordre est exactement le même. Faute de pouvoir justifier d’où vient l’argent, et alors que les banques peu regardantes ne sont plus des refuges très sûrs (même celles qui battent un pavillon helvétique) depuis 2008, la meilleure solution est d’aller le flamber illico au casino.
On peut risquer sans regret un argent qui tombe du ciel ou que l’on n’a pas gagné à la sueur de son front. Cette stratégie est d’autant plus pertinente quand le croupier et le patron de la banque du casino sont vos complices (« Bubble Ben » et « Turbo Tim » pour ne pas les nommer).
Le problème en cette fin 2010, c’est que les clients habitués du casino se plaignent d’être évincés des tables de jeu par des flambeurs au pedigree peu reluisant (Goldman Sachs est depuis ce week-end sous le coup d’une nouvelle enquête pour délit d’initié à échelle industrielle)… en constatant que ces derniers gagnent de surcroît à tous les coups.
Il ne faudra pas longtemps avant que la police des jeux débarque, saisisse les livres de compte et vérifie l’identité de toutes les personnes qui possèdent les plus gros tas de jetons autour du tapis vert.
▪ Les principaux actionnaires du casino « Bubble Ben & Turbo Tim Inc. » (BB &TT Inc.) ne sont autre que les Chinois. Et ils ferment les yeux depuis trop longtemps sur les pratiques frauduleuses de la Fed et de quelques gros requins de Wall Street.
Sentant qu’un scandale imminent menace des les éclabousser — et de lessiver leurs investissements si le dollar s’effondre, ils viennent d’envoyer un avertissement à « BB & TT Inc. » sous forme d’une dégradation de la notation des émissions du Trésor américain. Ils ont également prié leurs propres banquiers de vérifier la provenance des liquidités avant d’accorder de nouveaux prêts aux joueurs qui entrent en bourse.
La brigade des jeux arrivera sans gyrophares et commencera par observer ce qui se passe. Seuls les plus malins ou les mieux renseignés sentiront que le moment venu de gagner discrètement la sortie.
Beaucoup ne misent déjà plus que du bout des doigts, et se retiennent de ramasser leur mise et de filer vers la caisse : la question est comment le faire sans se faire remarquer.