▪ Le CAC 40 vient d’inscrire jeudi une quatrième séance de repli sur une série de cinq. La poussée haussière du 9 novembre fait de plus en plus figure de rally totalement artificiel… et d’authentique piège à "suiveurs systématiques" et autres optimistes béats — soit au bas mot 90% des effectifs — ayant cru judicieux de croire au miracle perpétuel.
Mais n’allons pas trop vite en besogne. L’"argent idiot" — celui qui obéit aux deux maximes cardinales "peu importe pourquoi ça monte pourvu que ça monte" et "vive Ben Bernanke et son ‘QE2’" — vient de subir un simple contre-pied.
Pas de quoi mettre à mal un cycle de 10 semaines de hausse ininterrompue à Wall Street (et de huit sur 10 à Paris). Attention cependant : sous les 3 860 puis les 3 800 points, le scénario sur le CAC 40 changerait radicalement, de même pour le Nasdaq sous les 2 500 points.
Rassurez-vous, les robots veillent à ce que la reconnexion des marchés avec la réalité économique s’opère le plus tard possible. La méthode avait porté ses fruits de mars à octobre 2007 : plus les cours progressaient, plus le problème des subprime apparaissait négligeable.
▪ Aujourd’hui, c’est la faillite des Etats (enfin, surtout des Etats-Unis) qui est masquée par la hausse somnambulique de Wall Street. Vient se rajouter à cela le matraquage de théories alambiquées démontrant que le problème du surendettement peut — et doit — être résolu par encore plus de dette et d’argent factice. Quant aux thuriféraires de la Fed, ils proclament l’avènement d’une nouvelle "Nouvelle Economie" !
Si la fausse monnaie demeure abondante, les investisseurs du monde entier continueront de se battre pour détenir des dettes irrécouvrables, libellées dans une devise qui s’évapore… Car peu importe : il s’agit de la monnaie de réserve mondiale et il ne viendrait à l’idée de personne de s’en séparer parce que le risque de chaos économique planétaire serait trop effroyable.
Et de toute façon, qu’est-ce que vous allez offrir aux pays producteurs de matières premières à la place du dollar ? Des malles en peau d’autruche, des boîtes de foies gras, des foulards en soie… et pourquoi pas des euros pendant que vous y êtes ?
Ah… parce que vous croyez que l’euro va survivre à la faillite de la Grèce, de l’Irlande et de l’Espagne ? Voilà pourquoi la planche à billets de la Fed continue de faire enrager l’Allemagne, le Japon, la Chine, le Brésil (et bien d’autres pays participant au G20)… et d’enrichir une cohorte de spéculateurs sans scrupules.
Ils célèbrent au champagne l’envolée des cours des denrées agricoles de première nécessité (quelques bonnes famines se profilent, cela va redonner du travail aux ONG), du cuivre — qui vient de passer la barre des 9 000 $ la tonne — et du pétrole, qui semble comme aspiré par l’objectif des 100 $ : les automobilistes du monde entier cotisent à la caisse des traders souhaitant prendre leur retraite avant l’âge de 30 ans…
La Fed trouvait que le paysage économique manquait un peu d’inflation. Vous allez voir comment, faute de rentrer par la fenêtre, cette dernière va se déverser par le soupirail et inonder les Etats-Unis via les stations-service, le coût de la construction, les rayons habillement de Wal-Mart, les tarifs universitaires, le prix des vacances.
▪ Nul doute que ces questions — notamment la volatilité des parités des changes qui trahit une nouvelle forme de "chacun pour soi" — seront âprement débattues au sommet du G20 qui s’ouvre ce soir à Séoul.
Quant à trouver un consensus a minima d’ici le communiqué final samedi, Christine Lagarde l’a exclu d’entrée de jeu dès mardi.
Au vu des nombreux intérêts contradictoires en jeu, les risques sont grands pour ce G20 de Séoul de ne proposer au final qu’une simple photo de famille — avec sourires crispés — des principaux dirigeants de la planète. Tout cela avec la promesse de tenter de rapprocher les points de vue lors du prochain sommet où l’on s’efforcera de s’entendre sur une nouvelle méthodologie. Laquelle ?… Suspense !
Le tonnerre de protestations en provenance de l’Union européenne fait beaucoup sourire du côté de Wall Street. Le dollar baissait trop fortement ? Eh bien, voyez comme il remonte maintenant !
Il suffisait de faire figurer à la une des médias quelques petits désagréments délibérément occultés depuis une dizaine de jours. Le problème du refinancement des états européens les plus fragiles (Irlande, Portugal, Grèce), par exemple, se repose avec acuité. Et que dire de l’Angleterre, dont le plan de rigueur dévoilé ces dernières 48 heures traduit une situation de faillite intégrale.
▪ Pour la cinquième séance consécutive, l’euro a cédé jeudi du terrain face au dollar. Il s’installe sous le seuil des 1,3650 $ pour la première fois depuis le 30 septembre — le CAC 40 valait alors tout juste 3 700 points.
L’Irlande voit le rendement de ses bons du Trésor à 10 ans franchir le cap historique des 8%. Ce pays dispose pourtant encore de sept mois de grâce avant de devoir se représenter sur les marchés. Mais les risques de recours au plan de soutien du FMI semblent s’amplifier inexorablement ; la cure d’austérité proposée par un gouvernement qui jongle avec les échéances électorales pourrait déboucher sur un épisode de récession sans précédent depuis 80 ans.
▪ Mais il y a pire ! Voyez l’Angleterre : au moment où l’on commémore l’Armistice de 1918, le pays se retrouve soudain replongé dans le climat social de l’immédiat après-guerre (la première, pas la deuxième)…
Si le projet baptisé "Livre banc" est adopté, les chômeurs britanniques seront privés de l’allocation forfaitaire de 65 livres (75 euros ou 105 $) durant trois mois s’ils refusent une offre, et durant trois ans s’ils rejettent trois offres.
Le gouvernement réfléchit à une alternative : le bannissement du chômeur récalcitrant vers la France (nous plaisantons bien sûr !).
Le gouvernement conservateur de David Cameron prévoit également d’obliger les chômeurs à effectuer un travail obligatoire d’intérêt général (de 9h à 17h), sous peine d’une suspension de leurs allocations.
Sur les 2,5 millions de chômeurs reconnus (les Britanniques sont en fait deux fois plus nombreux à être sans emploi), 1,5 million touchent des allocations chômage, peu généreuses mais vitales. Ils peuvent les perdre s’ils manquent un rendez-vous à l’agence pour l’emploi ou s’ils refusent un emploi. Les étudiants verront en revanche tripler les droits annuels d’admission universitaires.
L’Angleterre est comme K.O. debout depuis quelques semaines. Les citoyens britanniques découvrent que leur pays est exsangue économiquement et dans l’incapacité de se relever… même au prix d’un retour express vers une sorte de moyen âge social que même Margaret Thatcher n’aurait osé concevoir dans ses rêves les plus ultra-libéraux.
En ce qui concerne l’apparente embellie de l’immobilier, nul ne l’aurait évoquée si quelques nouveaux milliardaires n’avaient soutenu le marché de l’ultra-haut de gamme londonien grâce aux dividendes qu’ils ont tiré des plans de sauvetage américain, japonais ou chinois.
Il était déjà évident depuis le printemps dernier que ce secteur d’activité n’avait connu qu’un dead cat bounce (rebond de chat mort) concernant les transactions dans les catégories de biens accessibles aux classes moyennes — les autres étant hors jeu.
Le "Libre blanc" du gouvernement inclut toute série de suppressions d’aides au logement. Cela va précariser un grand nombre de locataires et instaurer un climat de crise "viscérale" qui n’épargnera aucun échelon de la société britannique.
▪ Ce qui se passe outre-Manche n’est que le laboratoire avancé de ce qui ne manquera pas de survenir outre-Atlantique si les créanciers des Etats-Unis réclament des garanties que leurs prêts seront remboursés.
Wall Street encouragera également n’importe quel carnage social plutôt que de voir les rendements obligataires se tendre, malgré le QE2 de la Fed.
La sauvegarde des bulles d’actifs — qui exige des taux éternellement bas — passe bien avant le peuple. Quant aux privilèges des brasseurs d’argent, ils passent bien avant l’intérêt général.
C’est une rude leçon qui découle de la crise des subprime et du transfert massif des pertes des fossoyeurs du capitalisme vers le secteur public. Les contribuables pensaient en avoir fini avec cette escroquerie légale alors que la FDIC va liquider ce week-end la 150ème banque régionale de l’année… mais la mise en oeuvre de la nouvelle vague d’assouplissement quantitatif prouve qu’il n’en est rien.
Si la planche à billets est encore jugée indispensable, c’est que les Etats-Unis sont déjà en faillite : le jeu consiste simplement à retarder ce constat ! Le contribuable devra boire le calice jusqu’à la lie.
Mais cela ne fait plus aucune différence. Chacun sait bien — les cyniques de Wall Street mieux que personne — que l’endettement que l’Etat fédéral a contracté avec la complicité de la Fed et grâce à la garantie involontaire des épargnants américains ne sera pas remboursé !