▪ Les amateurs d’idées toutes simples se régalent : le dollar rebondit vers 1,37/euro, il faut prendre des bénéfices sur les actions. Il replonge vers les 1,40/euro à peine 24 heures plus tard ? Il faut se ruer à Wall Street, faire le plein de matières premières et de denrées agricoles puis s’arracher de nouveau les valeurs cycliques cotées sur les places européennes.
Rarement la gestion des actifs ne se sera résumée à des principes dont l’énoncé tient sur un timbre poste : « le dollar baisse : taper achat. Le dollar monte : taper vente ».
Nous ne caricaturons pas la situation ; ce sont les marchés qui caricaturent le minimum d’intelligence requise pour gérer de l’argent qui ne vous appartient pas. En l’occurrence, il s’agit de celui des contribuables, puisque la Fed le mobilise en garantie chaque fois qu’elle rachète des créances douteuses et appuie sur le bouton qui remet en marche la planche à billet.
Pourquoi aurait-on besoin de mobiliser son cerveau pour s’épargner de futures déconvenues ? C’est l’un des stratèges en chef de Morgan Stanley qui l’affirmait début septembre : Wall Street ne pouvait que monter puisque selon lui, plus aucune actualité ne serait considérée comme une « mauvaise nouvelle ».
Soit il était d’une naïveté de gamin de quatre ans à qui on explique que sur le long terme, les actions montent toujours… Soit il avait vu dans un rêve prémonitoire Ben Bernanke débarquer dans son bureau en plein mois de septembre avec une pelisse rouge, une longue barbe blanche et une hotte remplie de billets de 100 $.
La vérité n’est peut-être pas si éloignée, d’ailleurs. Oubliez le déguisement de père Noël mais conservez la hotte en forme de corne d’abondance et la promesse de déverser des centaines de milliards de dollars entre Halloween et le moment de décorer le sapin : vous obtenez un tableau assez fidèle à celui qui plonge Wall Street dans une véritable extase haussière.
▪ Celle-ci s’avère si profonde que rien ne semble pouvoir la dissiper : ni le grand écart entre les politiques monétaires de part et d’autre de l’Atlantique (du même type que celui ayant conduit au krach de 1987), ni l’enquête fédérale visant à élucider le scandale des dossiers de prêt immobiliers bidon.
Les procédures engagées par la Fed de New York et de nombreux acteurs majeurs du crédit hypothécaire pourraient impliquer à terme des remboursements de sinistres financiers portant sur des centaines de milliards de dollars.
Combien de dizaines de milliers de saisies et d’expropriations vont s’avérer entachées d’irrégularités flagrantes ? Et combien donneront lieu à des demandes d’indemnisations pharaoniques dans le cadre de class actions qui sont en train de se constituer ?
Les avocats se régalent d’avance. Cela pourrait constituer une mine d’or comme ils n’en avaient pas exploité depuis les procès contre les fabricants de tabac… Sauf qu’ils jouent sur du velours : au lieu de présomptions de nocivité et de refus de coopérer avec la justice, ils peuvent s’appuyer sur des preuves formelles telles que des faux en écriture ou des procédures ne reposant sur aucun cadre légal.
▪ Bank of America chutait de 2,5% mercredi soir tandis que les 29 autres titres du Dow Jones s’affichaient résolument à la hausse. Même constat sur le Nasdaq 100, dont 95% des constituants pointait dans le vert après deux heures de cotation.
Wall Street nous refait le coup des subprime ; les enquêtes du FBI sont l’équivalent des tensions sur les MBS et les CDO. Il s’agit d’un problème bien spécifique n’affectant qu’une portion mineure de l’industrie du crédit immobilier et qui ne devrait entraîner que quelques provisions sans impact réel sur le bilan des banques « généralistes ».
De toute façon, les produits dérivés en question sont trop complexes pour que l’on puisse évaluer si cela représente une menace à long terme pour ceux qui se trouvent confrontés à des difficultés ponctuelles. D’autant que le risque serait a priori bien circonscrit par le biais des CDS, une assurance contre le défaut de signature dont AIG s’est fait le champion toutes catégories… et ces gens gavés de bonus faramineux doivent bien savoir ce qu’ils font, bon sang de bois !
Ceux qui arrachent toutes les classes d’actifs négociables à la hausse chaque fois que le dollar pique du nez également. Ils ont sûrement bien raison de se ruer sur des bons du Trésor US qui ne rapportent plus que 0,33% sur une maturité de deux ans, ou 1,1% sur cinq ans. Allons, il est évident qu’il n’y aucun risque d’inflation prévisible d’ici là, même si le dollar dévisse !
Dans un tel contexte, n’importe quelle entreprise s’endettant pour racheter ses propres actions et doper artificiellement son dividende apparaît furieusement bon marché.
Il est non moins logique d’espérer que les créanciers de l’Amérique se réjouiront indéfiniment du privilège d’être remboursés en monnaie de singe puisque la Fed leur sert royalement 2,45% de rendement sur du T-Bond à 10 ans.
▪ Il faut dire que si le billet vert a perdu 11,5% en six semaines, le Dow Jones a grimpé d’autant et le Nasdaq s’est adjugé 18%. Un investisseur non résident qui aurait commis l’erreur de ne pas se couvrir contre le risque de change n’aurait même pas amorti ses frais.
Ceci confirme que l’anticipation d’un assouplissement quantitatif ne crée pas de richesse — mais produit une hausse algébrique de tout actif servant de contrepartie au dollar.
Rarement les indices boursiers auront été aussi mécaniquement corrélés à l’évolution du billet vert, son repli étant synonyme de recours massif à la planche à billets. Même si cela reflète le degré zéro de la pensée économique et préfigure de futures difficultés monétaires d’une ampleur inégalée, à la mesure de la taille de la dette américaine.
▪ La brutale rechute du billet vert sous les 1,3960/euro a revitalisé le CAC 40 au moment où celui-ci faisait mine de lâcher prise sous les 3 800 points — ce qu’il aurait fait avec un euro remontant au-dessus des 1,37 $.
Au lieu de cela, il renoue avec les 3 830 points et efface pratiquement l’intégralité de ses pertes de la veille… Mais dans des volumes dérisoires qui témoignent de la méfiance d’une majorité de gérants, alors que les analystes techniques sont majoritairement haussiers et ne détectent pas de signe de retournement malgré un cycle haussier qui rentre dans sa septième semaine.
Le CAC 40 n’a cependant gagné que 1% supplémentaire depuis le 13 septembre dernier et 0,7% depuis le zénith du 20 septembre. Sans le facteur dollar, les ventes de lassitude auraient eu raison depuis longtemps de cette sorte de tendance haussière : elle ne mène en réalité nulle part mais enrichit de façon indécente ceux qui orchestrent l’écrasement de la volatilité tout en faisant croire que l’ère de la prospérité sans effort est de retour.
Pendant ce temps-là, l’Europe plonge dans l’austérité et met les emprunteurs compulsifs à l’amende… alors qu’il serait si simple et indolore de faire marcher la planche à billets et d’investir les fonds de retraite à 100% dans les actions. On n’a pas idée d’être aussi ballot !