▪ Le 13 octobre 1987, la bulle boursière éclatait suite à la décision allemande de durcir sa politique monétaire. Dans le même temps, la Fed — avec à sa tête un tout nouveau président dénommé Alan Greenspan — regardait sans émotion le déficit commercial américain se creuser dans des proportions historiques, entraînant le dollar dans une spirale baissière qui risquait de replonger la planète, et l’Allemagne, dans un contexte inflationniste dont la Bundesbank ne voulait à aucun prix.
Le 13 octobre 2010, les marchés s’abandonnaient à une euphorie débridée. Dans le même temps, la Fed s’apprêterait à faire tourner ses rotatives jusqu’à en faire fumer les moteurs pour imprimer 1 000 milliards de dollars de plus. Cela après une interruption de six mois, motivée en grande partie par le constat que l’assouplissement quantitatif (QE, quantitative easing) ne donnait pas les résultats escomptés.
Après l’injection de 1 700 milliards de dollars dans le système financier américain, le prix des maisons ne remontait toujours pas… Le volume du crédit aux particuliers continuait de se contracter (c’était déjà le cas début 2010, c’était encore le cas en août et en septembre)… Et l’économie continuait globalement de détruire des emplois, les licenciements de fonctionnaires progressant plus vite que les créations de postes dans le secteur privé.
Alors que le précédent QE n’avait pas fonctionné, nul ne se hasarde à prédire les effets de celui qui se profile. Mais ce n’est certainement pas une raison suffisante pour y renoncer !
▪ D’après les dernières minutes de la Fed, une majorité de ses 13 membres juge qu’il va falloir « faire quelque chose » pour soutenir l’économie américaine. Mais Donald Kohn dès la fin mars, James Bullard le 6 octobre puis Thomas Hoenig ce mercredi 13 considèrent que le QE ne sert à rien… sinon à faire planer le risque d’une issue hyper inflationniste incontrôlable.
Wall Street ne s’inquiète pas que le Docteur Bernanke juge l’état du patient suffisamment sévère pour juger impératif l’envoi d’une ambulance bourrée d’équipements de réanimation, dont certains n’on même pas été testés tandis que d’autres n’ont eu aucun effet mesurable.
C’est l’aveu implicite que rien de ce qui a été tenté jusqu’ici ne fonctionne dans la sphère de l’économie réelle. En revanche, c’est officiel : les brasseurs d’argent de Wall Street vont se partager 144 milliards de dollars de bonus, primes et autres stock-options.
Ils auraient tort de s’inquiéter — la Fed va déverser sa corne d’abondance presque directement dans leur poche. Ils s’empresseront d’utiliser cet argent pour investir sur les marchés émergents, pour spéculer contre le dollar, pour acheter des matières premières (et l’or qui s’envole vers 1 375 $/once)… mais les ménages et entreprises américaines n’en verront pas davantage la couleur que lors du QE précédent.
▪ Pendant ce temps, l’Etat américain va continuer de s’enfoncer plus profondément dans la dette. A ce jour, 36% de l’activité économique (contre 25% à 26% en 2007) proviennent des dépenses fédérales. Et contrairement à ce qui s’était produit au Japon de 1991 à 2003, cela ne crée pas un seul emploi mais empêche simplement que la crise en détruise 50% de plus.
Le nombre de salariés dans l’industrie (12 millions) atteint son plus bas niveau depuis 1941, juste avant Pearl Harbor. Un tiers des emplois dans ce secteur a disparu en l’espace de 10 ans… Mais il y a pire — et nous vous livrons là un chiffre contre-intuitif — puisque le nombre de salariés dans l’industrie informatique américaine vient de retomber sous son niveau de 1975.
Tous ces emplois qui se sont enfuis vers les pays émergents pour ne jamais en revenir ne sont remplacés par rien, sinon toujours plus de déficits liés au chômage de longue durée.
▪ Les signes vitaux des Etats-Unis sont les plus alarmants qu’il ait été donné d’observer depuis 1929. Cela n’empêche pas Wall Street de célébrer le franchissement du seuil des 300 $ par Apple… Une firme qui fait produire ses merveilles technologique à l’étranger pour les vendre en priorité aux Américains, un principe qui explique pour partie le ratio actuel de 1 $ exporté vers la Chine pour 3,9 $ importé depuis ce pays.
La barre des 4 $ sera franchie bien avant la fin de l’année avec les achats massifs de jouets et gadgets électroniques presque 100% « made in China » commercialisés pendant la période des fêtes.
Rien de tout cela ne saurait inquiéter Wall Street dont la principale fonction consiste à gonfler les bulles d’actifs les unes derrière les autres. Cette fois-ci, la destruction programmée du dollar tient lieu d’alpha et d’oméga du raisonnement économique.
L’odeur de l’argent promis par la Fed, qui entérine l’existence de pressions à la baisse sur les prix et une menace sur la croissance, enivre une fois encore les investisseurs de part et d’autre de l’Atlantique — y compris ceux que l’envol de l’euro et du yen devrait faire réfléchir.
▪ Au lendemain d’une consolidation de 0,6% à Paris, nous assistons à un renversement de situation qui invite à penser que le recul du CAC 40 vers 3 700 points a été parfaitement orchestré pour piéger le maximum d’opérateurs ayant détecté un signal baissier.
L’indice parisien avait ouvert un gap sous les 3 763 points, accompagné d’un retournement des oscillateurs à la baisse. Cependant, il a été aussitôt suivi d’un gap de 10 points à la hausse — c’est une première historique — au-dessus des 3 756 points, avec une envolée linéaire de 60 points dans la foulée ; 39 titres sur 40 étaient en hausse.
Il faut désormais compter avec un consensus technique haussier à pratiquement 100% et des opérateurs qui visent un objectif minimum de 3 936 points (cours du CAC 40 au 1er janvier), sachant que le test des 4 000 est dans tous les esprits d’ici le 3 novembre prochain.
Alors que Wall Street grimpait de 1,2% après deux heures de transactions, la bourse de Paris a terminé au plus haut du jour, sur un gain de 2,12% à 3 828 points Ce n’est peut être pas un score significatif, toutefois, car une panne générale — et bien singulière — des ordinateurs d’Euronext dédiés à la cotation du cash est survenue dès 16h45, perdurant jusqu’à 17h35.
Le cours de clôture n’est donc qu’indicatif. A Francfort et Madrid, le gain du jour atteint 2,05% ; Milan gagne 1,9% mais l’Eurotop 100, privé de la hausse des valeurs du NYSE-Euronext, n’affichait au final que +1,43%.
Ce n’est tout de même pas si mal au lendemain de minutes qui confirment la fuite en avant de la Fed et des Etats-Unis vers des territoires inconnus… tandis qu’Axel Weber, le successeur pressenti de J.C. Trichet, déclarait quelques heures plus tard que l’assouplissement quantitatif était carrément à proscrire et que l’Europe avait le devoir d’y renoncer.
Jamais les politiques monétaires n’ont paru faire un tel grand écart de part et d’autre de l’Atlantique depuis… le 13 octobre 1987.