▪ La séance de jeudi a été marquée par une reprise en main des marchés par les acheteurs. Cependant, le scénario idéal des premières minutes de cotation s’est étiolé au fil des heures : Wall Street se montrait plus hésitant que prévu après la publication d’une rafale de statistiques pas toujours enthousiasmantes.
L’Euro-Stoxx 50, qui affichait jusqu’à +2,5% vers 10h, a reperdu la moitié de ses gains pour en terminer sur un score de +1,25%, dans le sillage de Francfort (+1,23%) ou Amsterdam (+1,4%). Madrid n’a grappillé que +0,1%, avec des banques espagnoles toujours délaissées suite à des abaissements de notation en cascade par les agences de notation.
Le CAC 40, qui grimpait rapidement jusque vers 3 598 (+2,7%) peu après l’ouverture, est resté au contact des 3 600 points jusqu’en fin de matinée. Il s’est ensuite replié par palier jusque vers 3 550 en fin d’après-midi, avant de conclure la séance sur un rebond de 1,6% à 3 557 points.
La journée s’était inaugurée sur un impressionnant gap de plus de 65 points — qui n’a pas été comblé par la suite, loin s’en faut. D’un point de vue technique, cette rupture à la hausse a de bonnes chances de trouver une prolongation au cours des prochaines séances, pour peu que l’euro préserve les 1,22 $.
Le dollar progressait logiquement en fin de matinée alors que les ventes de détail dans l’Eurozone ont chuté de 1,2%, déjouant un consensus qui tablait sur une progression symbolique de 0,1%. Si les marchés croient aux miracles, ce n’est pas notre cas : les chiffres dévoilés jeudi sont largement conformes à nos attentes.
▪ Nous n’avons aucun mérite compte tenu des échos que nous avions glanés ces deux derniers mois auprès des restaurateurs, des spécialistes du prêt-à-porter… et des banques qui les financent.
Les consommateurs, tétanisés par le surgissement des plans d’austérité tous azimuts cadenassent leur porte-monnaie et se servent désormais de leurs cartes de crédit pour stabiliser la table du salon. Les enfants et les ados sont priés de mettre la pédale douce sur les SMS et de se montrer moins bavards s’ils ne veulent pas exploser leur forfait avant le premier week-end du mois.
Les parents réduisent les achats d’impulsion et chassent les bonnes affaires sur Internet en attendant les prochaines soldes… Nous disposons par ailleurs d’un faisceau d’indices qui confirment que les Américains se montrent encore plus économes. Ils réduisent notamment le nombre de kilomètres parcourus, une tendance qui devrait se confirmer en ce début de "driving season", c’est-à-dire les grandes migrations annuelles — touristiques ou professionnelles — sur le territoire américain.
Et c’est là que le comportement de l’euro commence à nous intriguer. S’il n’avait aucune raison de flamber en raison d’un chômage annoncé à 10,1% tandis que les ventes de détail chutent de 1,5% au cours des 12 derniers mois (malgré la "reprise")… nous sommes étonnés qu’il n’ait pas repris un pouce de terrain dans l’après-midi de jeudi.
La plupart des statistiques américaines publiées ont franchement déçu. L’activité dans le secteur des services aux Etats-Unis est restée identique au mois de mai par rapport à avril (ISM non manufacturier stable à 55,4 contre 55,9 anticipé).
Les commandes à l’industrie ont augmenté de 1,2% en avril — mais c’est là encore un peu moins que prévu par le consensus (1,4%).
Les inscriptions hebdomadaires au chômage sont ressorties en baisse de 10 000 à l’issue de la dernière semaine du mois de mai pour atteindre 453 000. Les économistes s’attendaient à un repli plus marqué, autour de 445 000.
Les gains de productivité pour le premier trimestre ont été révisés en forte baisse (de 20%, ce qui représente une sacrée marge d’erreur). La seconde estimation ressort à +2,8%, en regard d’une estimation initiale de +3,6%.
Malgré cette bien mauvaise série d’indicateurs — qui n’épargne aucun aspect économique aux Etats-Unis — le dollar ne lâche rien. Il a même amplifié ses gains face à l’euro jusqu’en début de soirée, culminant vers 1,2150 (c’est-à-dire à 0,3% de son zénith annuel).
▪ Si Wall Street trouve encore le moyen de progresser malgré toutes ces désillusions, c’est que le marché a réellement envie de monter !
Warren Buffett lui-même juge les actions "bon marché". Il avait profité d’une interview sur CNBC mercredi pour le réaffirmer… mais vous devinez sans doute que ce n’est pas ce genre de banalités — même s’il pourrait avoir raison sur le court terme — qui intéressait les marchés avant-hier soir !
Ils n’avaient d’yeux et d’oreilles que pour sa prestation devant la Commission d’enquête sur la crise financière. Invité à présenter sa version des faits en tant qu’actionnaire influent de Moody’s (Berkshire Hathaway a détenu jusqu’à 20% du capital), le sage d’Omaha a tenté de se défiler.
La Financial Crisis Inquiry Commission (FCIC) a donc émis une assignation pour l’obliger à comparaître mercredi. Cette procédure s’apparente presque à une disgrâce, et ses déboires ne s’arrêtent pas là.
Warren Buffett reconnaît ne pas avoir pris la mesure du danger que faisait planer la formation de la bulle des crédits subprime (on l’a connu plus avisé !) avant que l’aventure ne tourne à la catastrophe… mais il y a pire. Il estime que Moody’s a "fait des erreurs" mais ce sont "les mêmes erreurs que tout le monde" !
Depuis quand le sage d’Omaha s’intéresse-t-il à des entreprises qui "font comme tout le monde" ? Depuis quand prend-il la défense de sociétés dont la méthodologie reste opaque et les règles déontologiques à géométrie variable, en fonction de l’importance du client ? (C’est de notoriété publique, mais il feint de l’avoir ignoré).
D’anciens salariés de Moody’s — rebaptisé "usine à fabriquer du triple" par le président de la Commission, Phil Angelides — ont affirmé que leur hiérarchie recourait à l’intimidation afin d’éviter que leurs notations ne contrarient les plus grosses banques d’investissement spécialisées dans la structuration de dérivés de crédit.
Le patron de Moody’s, Raymond McDaniel, a tenté de démentir leurs propos mais sans convaincre personne… Son système de défense constitue en lui-même un aveu implicite : il explique que les agences ne sont pas des sentinelles et que le marché des produits structurés se serait développé même sans leur concours.
C’était effectivement le cas… mais il oublie de préciser que ce sont les "triple A" quasi systématiques qui ont cautionné des pratiques commerciales douteuses, et même de juteux paris contre les notations délivrées avec tant de candeur, ce qui a fait la fortune du Paulson Fund.
Et voilà qui nous rapproche encore un peu plus de Goldman Sachs, dont Warren Buffett devint l’un des actionnaires de référence en octobre 2008… un vrai pacte avec le diable ! Nous ne voudrions pas faire injure au Malin qui jouit d’une certaine popularité au sein de la population. Nombreux sont ceux qui ont croisé la route de Goldman Sachs et qui le tirent maintenant par la queue !
▪ A propos de popularité, saviez-vous que Goldman Sachs jouit de l’image la plus exécrable parmi toutes les firmes cotées à Wall Street, avec 95% d’opinions négatives ? Seul BP semble aujourd’hui en mesure de lui disputer ce titre !
Les plus hauts dirigeants de Goldman Sachs s’en fichent. Ils bénéficient désormais de l’appui inconditionnel de Warren Buffett et assument avec sérénité leur sinistre réputation de prédateurs.
Malgré cela, ils sont indispensables à l’équilibre de l’écosystème : ils préviennent les proliférations anarchiques de spéculateurs, ils éliminent impitoyablement les investisseurs les plus faibles du troupeau. Ils déniaisent ceux qui font leurs premières armes sur les marchés, ils délestent les naïfs et les maladroits de "l’argent idiot", ils poussent les audacieux à la faute en leur faisant miroiter des gains faciles… rien de nouveau sous le soleil.
Mais le véritable tour de force du "Gouvernement Sachs", c’est d’avoir réussi à signer un pacte avec Warren Buffett. Un pacte à 11% de rendement, certes… mais cela valait-il la peine d’y perdre son âme ?
Nous savons tous que les bonnes affaires ne se font pas avec de bons sentiments, mais Warren Buffett entretenait l’illusion — bien utile et réconfortante — selon laquelle il était encore possible de s’enrichir en honnête homme.
Le voir défendre Raymond McDaniel (PDG de Moody’s) ou Lloyd Blankfein (PDG de Goldman Sachs) — même si ce n’est pas sans arrière-pensées intéressées — a quelque chose de pathétique. S’il avait quitté ce monde avant la crise, il se serait retourné dans sa tombe de voir son successeur agir de la sorte.
Le grand public aurait pu pardonner au dauphin d’avoir trahi — au nom de la realpolitik financière — l’héritage du sage d’Omaha (autre époque, autres méthodes, autres alliances)… Cependant, cette subversion de sa propre éthique, et de son vivant, brise l’une des dernières légendes qui servait d’alibi à un capitalisme autrement plus sauvage.
Wall Street peut désormais sourire de toutes ses dents : il n’échappe plus à personne que ce sont des crocs… et même des escrocs !