C’est dans le marché obligataire que réside actuellement le plus grand réservoir de richesse.
Ce n’est pas parce que l’offre de crédit traditionnelle s’est évaporée ces deux dernières années que les entreprises n’ont plus besoin d’emprunter d’argent. Qu’il s’agisse de financer de nouvelles capacités de production, des augmentations de stock ou même de se refinancer pour honorer des échéances, la demande en argent frais est toujours aussi présente.
« La nature a horreur du vide », disait Aristote. Ce dicton s’applique parfaitement à la sphère financière.
Les banques ne prêtent plus, ou alors seulement aux plus grandes entreprises ? Après des années de largesse, les Etats rechignent à créer de nouvelles vagues de prêts garantis ?
Qu’à cela ne tienne, d’autres acteurs économiques sont prêts à prendre le relai…
Les traditionnels prêteurs étant aux abonnés absents, c’est une nouvelle catégorie de créanciers qui comble ce vide : les sociétés de gestion. Disposant d’importantes liquidités et moins réglementées que les banques dans l’attribution des crédits, elles ont la capacité de répondre favorablement au besoin de financement des entreprises qui ne rentrent plus dans les critères de l’emprunteur idéal, que ce soit pour des questions de taille de bilan, de secteur d’activité, ou même de solvabilité à court terme.
La dette privée, qui restait anecdotique depuis la crise des subprimes et l’abondance d’argent gratuit, connaît un engouement inédit depuis le resserrement des conditions d’octroi de crédit. Selon BlackRock, numéro un mondial de la gestion d’actifs, la taille de ce secteur devrait doubler sur cinq ans. Il atteindrait ainsi les 3 500 milliards de dollars d’ici à 2028, l’équivalent de l’ensemble de la dette publique française.
Alors que la hausse des taux sans risque a totalement bouleversé la hiérarchie des rentabilités entre placements en actions et placement obligataires, les investisseurs qui souhaitent endosser le rôle de prêteur ne peuvent ignorer que, dans les prochaines années, le centre de gravité du marché du financement des entreprises va se déplacer des banques traditionnelles vers les sociétés de gestion.
Goldman Sachs all-in sur la dette privée
Les grands argentiers ont bien compris que la dette privée allait bénéficier d’un appel d’air inédit avec l’assèchement de l’offre de crédit bancaire. Dès 2022, le PDG de Goldman Sachs, David Solomon, a décidé de fusionner les activités gestion d’actifs et de gestion de fortune de son groupe.
En parallèle, il a décidé de mettre fin en 2023 à la tentative de diversification dans la banque de détail, une activité dans laquelle Goldman Sachs s’était engagée en fanfare en 2016. L’entreprise avait alors fait grand bruit en signant un partenariat avec Apple, en 2019, qui avait donné naissance à l’Apple Card, sorte de compte de paiement sans contact enrichi par la suite d’un service d’épargne rémunérée. Mais David Solomon a finalement compris que ce sont les prêts aux entreprises, et non les services aux particuliers, qui seront l’activité la plus rentable dans les prochaines années.
Priorité est désormais donnée à la dette privée, et Marc Nachmann, à la tête de Goldman Sachs Assets Management (AM), a les coudées franches pour faire croître cette activité au sein de GS.
A l’image des estimations de BlackRock sur le potentiel du marché, Marc Nachmann souhaite doubler la taille des encours de Goldman Sachs AM sur ce secteur, en les portant de 130 Mds$ à 300 Mds$ d’ici 2028. Cette année, le gestionnaire d’actifs flèchera pas moins d’un tiers des fonds levés vers la dette privée, ce qui représentera un montant de l’ordre de 15 Mds$.
La prise de risque est loin d’être négligeable lorsque l’on sait que le mandat de Goldman Sachs AM va bien au-delà de ce type de financement d’entreprises et que les fonds qu’il lève ont normalement vocation à être aussi investis dans le capital-investissement, les infrastructures, ou encore l’immobilier…
Mais ce all-in dans la dette privée se justifie par des conditions de marché inédites.
Un Eldorado qui aiguise les appétits
D’une part, les sociétés de gestion sont en difficulté sur leurs activités traditionnelles. L’immobilier américain est à la peine, surtout dans les actifs commerciaux qui sont historiquement leur terrain de jeu favori. Même les records insolents des Bourses mondiales ne font pas leur affaire : l’essor des ETF a rendu obsolète l’offre de gestion active de valeurs cotées, qui a le plus grand mal à générer de la surperformance par rapport aux fonds passifs à bas coût, une fois les frais de gestion déduits.
D’autre part, la disparition de l’offre bancaire a mis les prêteurs privés en position de force. Ils sont aujourd’hui capables de demander aux emprunteurs des taux annuels atteignant les 10%, 11%, voire 13% sur les dossiers considérés comme les plus risqués. Dans le même temps, les taux de sinistralité sur le high yield (haut rendement) sont restés sagement autour des 2% à 3% en 2023, et Goldman Sachs AM ne les voit pas dépasser les 5% sur la majorité des dossiers. La dette privée devrait donc faire partie des activités financières les plus rentables dans les prochaines années.
Goldman Sachs AM n’est d’ailleurs pas la seule à avoir flairé la bonne affaire…
Wells Fargo et Citigroup sont en train d’élaborer leurs offres, et Morgan Stanley a décidé de doubler son portefeuille de dette privée pour le porter à 50 Mds$.
Ils marchent désormais dans les pas des spécialistes du secteur que sont Apollo Global Management, Blackstone, Ares, KKR et Oaktree – avec en prime une force de frappe démultipliée, du fait de la valeur de leur marque et de leur réseau.
Aujourd’hui, la profondeur du marché est largement suffisante pour absorber l’offre des pionniers comme des nouveaux entrants. Une chose est sûre : tous sont convaincus que c’est dans la dette privée que réside actuellement le plus grand réservoir de richesse.