▪ "La Chine n’est pour l’instant ni assez ouverte ni assez endettée", déplore l’éditorialiste Jean-Marc Vittori dans Les Echos du 22 octobre. Il trouve que nous sommes en manque d’actifs sûrs à cause des Etats-Unis. Il faut une autre monnaie que le dollar, pense-t-il, mais la Chine n’exporte pas assez de sa monnaie. Pour monsieur Vittori, il manque "un immense gisement d’obligations publiques homogènes, pour que les investisseurs puissent acheter et vendre en masse".
Tout ceci est bien compliqué car monsieur Vittori nous parle de "monnaie dette". Dans son schéma, plus il y a de dettes, plus il y a de monnaie — et inversement. Manquer de dettes serait abominable. Un pays dont la balance commerciale est chroniquement dans le rouge importe des biens ou des services et exporte de la dette. Une telle situation est nécessaire à des échanges fructueux. Ainsi, les "réserves de change" des pays fournisseurs sont recyclées en obligations souveraines du pays client.
Il ne vient pas à l’esprit de notre éditorialiste d’évoquer un système de "monnaie marchandise". Dans un tel système, vous ne pouvez pas vivre à crédit indéfiniment. Lorsque vous êtes à court de marchandise, c’est fini, on ne vous prête plus…
Contrairement à ce que beaucoup imaginent, la monnaie marchandise fut non pas une régression mais une immense amélioration de la vie des bipèdes. Car au commencement était la dette…
David Graeber, anthropologue et instigateur du mouvement Occupy Wall Street, s’est penché sur la dette, ses origines, sa moralité, ses règlements ou pas. Le résultat est un gros livre intitulé Dette : les 5 000 premières années.
▪ Au commencement était la dette
Selon Graeber, la dette est naturelle dans la société humaine, elle préexistait même à la monnaie. Les jolies fables du troc qui figurent dans les manuels d’économie sont une pure invention théorique. Notre anthropologue en veut pour preuve que personne n’en a jamais retrouvé trace dans les populations primitives et l’Histoire.
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Au commencement donc était la dette. Pierre le chasseur n’a jamais échangé son sanglier contre des chaussures à Paul le cordonnier. Lorsqu’il a eu besoin de chaussures, Pierre est allé trouver Paul et, contre des chaussures, Pierre s’est engagé à fournir à Paul du sanglier, probablement pour une certaine quantité répartie dans le temps. Un genre de contrat à terme, donc. Pierre et Paul se connaissent très bien et vivent dans le même petit village, la dette ne pose pas trop de problème. Si la communauté s’agrandit, une autorité supérieure enregistre la dette : un chef, un grand prêtre comme à Sumer. Mais au commencement était la dette.
Puis vint la monnaie. La monnaie a permis de rendre la dette anonyme et de la titriser. Pierre débite son sanglier et ses clients le payent en monnaie. Il achète des chaussures à Paul avec de la monnaie. Paul pourra acheter du cuir à Jacques avec cette même monnaie. La plupart des monnaies étaient des monnaies marchandises, une matière première fractionnable, aisément reconnue ; les essais de monnaies dettes furent précoces mais peu couronnés de succès.
La monnaie marchandise brise le lien direct entre débiteur et créditeur et permet d’accélérer les échanges. La monnaie dette est beaucoup moins anonyme — il y a des pays débiteurs vis-à-vis de citoyens d’autres pays ; c’est un système particulièrement vicieux en démocratie et surtout avec des démocraties armées.
Les citoyens endettés par des tyrans pouvaient réclamer un moratoire au motif de la "dette odieuse". Après tout, le tyran a profité de l’argent et les citoyens n’avaient pas voix au chapitre. Mais nous sommes aujourd’hui dans une situation bien différente avec le surendettement des Etats-providence : les citoyens ont voté et ils ont profité de la dette. S’ils en ont profité, il n’est pas juste qu’ils la répudient. David Graeber fait remarquer que les vieux systèmes de crédit se fondaient sur la confiance et l’honneur. Le système actuel tient par l’asservissement et la puissance militaire. Porte-avions, sous-marins et missiles nucléaires font beaucoup pour la confiance dont jouit le dollar.
▪ Quand il n’y en a plus… il n’y en a plus !
La monnaie marchandise, comme l’or, est finalement beaucoup plus simple que la monnaie dette. Quand il n’y en a plus… il n’y en a plus. Mais elle a toujours déplu aux gouvernements dispendieux qui aiment manipuler ou créer la monnaie. C’est pour cette même raison que nous continuons à bien aimer l’or qui fut la monnaie marchandise la plus courante, avec l’argent.
Au début de l’année 2013, Goldman Sachs (GS) nous avait prévu la mort de l’or. Pour GS, l’économie des Etats-Unis allait atteindre une vitesse de croisière autonome, les opérations de création monétaire allaient être progressivement supprimées et les taux monteraient naturellement. L’or devenait inutile.
Alors que l’automne est déjà bien avancé, ce scénario américain idyllique a pris du plomb dans l’aile et l’or rebondit… Le plus gros acheteur de dettes américaines est aussi le plus gros acheteur d’or : c’est la Chine. A 1 300 $ l’once, tout l’or du monde vaut 6 700 milliards de dollars et 25% de cet or est sous forme monétaire, soit environ 1 700 milliards de dollars. La Chine détient 1 276 milliards de dollars de bons du Trésor. La diversification des réserves de change n’est donc pas une mince affaire, s’il faut presque tout l’or du monde. Sauf bien sûr si l’or vaut bien plus cher.
Mais si l’or vaut plus cher, que vaudront le pétrole, le cuivre, le blé, le sucre, etc. ? Les gens qui produisent ces choses utiles accepteront-ils de les lâcher contre de la monnaie dette… et si oui, laquelle ?
1 commentaire
Bonjour,
Etant non initié pourquoi ne pas convertir la dette européenne en dollars avant de laisser décrocher le taux de change ?