▪ Ceux qui sont partis vendeurs sur les places européennes vendredi — bien convaincus que l’Euro-Stoxx 50 n’avait pas dévissé de 1,9% par hasard, vu le coup de tabac subi par les marchés obligataires — s’arrachaient les cheveux à la clôture de Wall Street.
Les gérants actions se rient en effet de la tension des taux… Non seulement ça, mais la fin de séance s’est même soldée par un pied de nez à leurs collègues qui négocient les bons du Trésor et autres emprunts corporate (dettes émises par les entreprises).
Les indices américains ont bénéficié d’une spectaculaire accélération à la hausse au cours du dernier quart d’heure. Cela les a propulsés au plus haut du jour et de la semaine — et même à un plus haut depuis le 18 juin, le S&P 500 profitant des deux dernières minutes de la séance pour combler le gap des 1 629 points du 19 juin.
Les scores finaux se révélaient très homogènes du Dow Jones au Nasdaq, avec des écarts très voisins de 1% mais jamais supérieurs à 1,05%.
Le Russell 2000 et le Dow Transport se distinguaient avec un gain de 1,5% alors même que les taux longs grimpaient spectaculairement de 8,8% (de 2,5% vers 2,74%).
▪ Paradoxes et rattrapage
Voilà une illustration tout à fait nouvelle du comportement paradoxal des marchés. Alors que la tension des taux s’exacerbe aux Etats-Unis, les indices américains semblaient bénéficier pour la première fois cette année de ce fameux phénomène de rotation sectorielle au profit des actions.
Certains observateurs avançaient l’hypothèse d’un « effet rattrapage » purement mécanique par rapport aux places européennes. Ces dernières avaient bondi de 3% en moyenne la veille, la journée de jeudi étant fériée aux Etats-Unis.
L’économie américaine a créé bien plus d’emplois que prévu au mois de juin ainsi qu’au mois de mai… avec surtout une forte révision à la hausse sur le mois d’avril, de 145 000 à 199 000. Les opérateurs sur les Treasuries se remettent donc à craindre que la Fed ne réduise le montant de ses rachats mensuels dès la rentrée. C’est en tout cas la thèse défendue depuis quelques semaines par Goldman Sachs… et pas mal d’autres stratèges de banque américaines de premier plan.
Il ne vous aura pas échappé qu’à aucun moment depuis le début du mois de mai (point d’origine de l’envolée des rendements obligataires) la Fed n’a évoqué un relèvement des taux directeurs… Une hypothèse complètement écartée jeudi par la BCE également — au moins jusqu’en 2015.
▪ Que peut faire la BCE ?
Mais qui a jamais cru que Mario Draghi et ses collègues travaillaient sur une telle hypothèse ? Le pourcentage de spécialistes envisageant un durcissement de la politique monétaire de la BCE d’ici 18 mois était de zéro.
La seule minuscule surprise provient de l’évocation d’un nouvel abaissement du repo. Cette initiative pourrait rapidement recueillir un large assentiment… mais son efficacité sur le volume du crédit à l’économie réelle sera également proche de zéro.
Et ce n’est pas là une affirmation « la main sur le coeur » des rédacteurs des Publications Agora après organisation d’un sondage à bulletin secret… Non, il s’agit du diagnostic d’un personnage bien plus éminent et dont les avis ne sont pas à prendre à la légère : Jens Weidmann, le président de la Bundesbank et le plus influent membre du conseil des gouverneurs de la BCE.
Il a profité d’un symposium économique qui se tenait ce week-end à Aix-en-Provence pour rappeler que la BCE « fait beaucoup pour atténuer les conséquences économiques de la crise mais qu’elle ne peut pas la résoudre ».
« La crise trouve ses racines dans des problèmes structurels, elle nécessite donc des réponses structurelles […] comme l’abolition absolue des garanties consenties aux banques et aux emprunts souverains. »
▪ « Tout » oui… mais quoi exactement ?
Pour être encore plus clair, Jens Weidmann exige rien moins que l’éradication de l’aléa moral, concept équivalent au « put Fed » ou « put BCE ». Rappelons que ce principe postule que les banques centrales voleront au secours de banques systémiques en difficulté, quelles que soient les bêtises qu’elles aient commises… et à plus forte raison d’un émetteur de taille « super-systémique » comme un Etat.
Le président de la Buba dissipe toute ambiguïté en affirmant qu’il faut faire en sorte de rendre possible qu’un emprunt souverain fasse défaut sans menacer le système financier. Cette solution a été combattue par tous les moyens depuis 2010 (début de la crise grecque) car synonyme jusqu’à nouvel ordre d’une éviction de la Zone euro.
Un risque que Mario Draghi a voulu éteindre définitivement dans l’esprit des investisseurs en juillet 2012 par cette formule demeurée célèbre : « nous ferons tout pour sauver la Zone euro, et croyez-moi, cela devrait suffire ».
Ce que ce « tout » recouvre, le marché spécule là-dessus depuis un an… et pendant qu’il gamberge, il ne mord pas.
La Fed en revanche subit depuis deux mois, d’après le président de la Fed de Dallas Richard Fisher, le harcèlement des feral hogs — une variété de sanglier du Texas particulièrement mal embouché qui attaque toute créature lui semblant affaiblie.
Ce que nous ignorons, c’est si ces feral hogs ont l’oreille fine ou reçoivent les messages en provenance d’Europe depuis le fin fond de leur Texas… Si tel est le cas, la BCE a tout intérêt à disposer d’un stock de chevrotine de gros calibre en plus de son stock habituel de formules sémantiques dissuasives : les sangliers n’entendent rien à la littérature… ni au quantitative easing ou au tapering.