▪ L’investisseur américain John Mauldin est bien connu de nos lecteurs. C’est notamment l’auteur de la formule devenue célèbre : « le Japon est un insecte à la recherche d’un pare-brise sur lequel s’écraser ».
Elle a été reprise avec délectation par de nombreux polémistes, comme Jim Rogers, que vous connaissez bien lui aussi. Ils dénoncent l’incurie des politiques néo-keynésiennes menées depuis 2002/2003, visant à court-circuiter les cycles économiques en instaurant une économie de bulles qui ne profite réellement qu’à de super-prédateurs dont les outrances du système constituent le fonds de commerce.
Nous avons assisté lundi matin sur CNBC à un réquisitoire d’une rare intensité à l’encontre de Goldman Sachs par un gérant de fonds de nationalité belge. Nous regrettons de ne pas avoir noté son nom tant il mériterait de passer à la postérité pour avoir exprimé tout haut ce que tant d’investisseurs et de politiques pensent tout bas.
Goldman Sachs serait, selon notre héros, le plus grand parasite financier de la planète. C’est une banque qui prélève sa part de l’argent imprimé par la Fed mais qui ne procure aucun financement à l’économie réelle.
Sa trésorerie est presque intégralement dédiée à des activités purement spéculatives dont la plupart sont totalement contre-productives et même clairement nuisibles au bon fonctionnement de l’économie… et ce sont toujours les populations qui trinquent tandis que les responsables des désastres financiers se font renflouer sans vergogne.
▪ La défense Blankfein
Pourtant, Lloyd Blankfein — le PDG de « GS », l’homme qui accomplit la volonté de Dieu sur terre et s’en est vu récompensé par un chèque de 225 millions de dollars en 2012 — se défend avec brio.
Il explique que les « services » que procure sa firme sont « utiles » puisqu’ils répondent aux besoins d’une clientèle « haut de gamme ». Laquelle a de grandes exigences en termes de maîtrise du risque et de rentabilité de ses placements… ce qui est, à notre connaissance, le cas de tout un chacun.
C’est exactement le même genre d’argument que celui que nous servent les fabricants de mines anti-personnel, d’obus chimiques, de systèmes d’espionnage de nos conversations, de nos e-mails et autres SMS : « il existe une clientèle pour nos produits ».
Ces beaux esprits ajoutent souvent : « si ce n’est pas nous qui répondons à la demande, d’autres le feront sans état d’âme… De toute façon, nous ne sommes pas responsables de ce qu’en font nos clients, lesquels sont totalement libres de ne pas en faire un usage qui nuise à la population ».
Dans bien des cas, le seul moyen d’éviter les « nuisances », c’est de s’abstenir absolument de s’en servir. Et si nous partons du principe qu’il ne faut pas s’en servir, pourquoi alors en fabriquer ?
▪ Bulles et tsunami
Goldman Sachs retient comme seul critère valable que cela rapporte de l’argent, et rien ne permet d’imputer à ses produits le moindre impact négatif sur la population.
Il n’est pas prouvable que la fabrication de bulles résulte d’abord et surtout la profusion de produits dérivés non régulés et de logiciels permettant la manipulation des cours. Et si jamais le moindre lien pouvait être établi, cela ne permettrait pas de mettre en évidence un quelconque rapport de cause à effet dans des domaines tels que les krachs obligataires ou boursiers, le chômage de masse, l’explosion du taux de suicide etc.
Goldman Sachs souligne que la plupart des grandes crises résultent d’une accumulation de décisions politiques inadéquates, d’une absence de régulation… et d’un enchaînement de circonstances adverses largement imprévisibles.
En réalité, le domaine des bulles — dans lequel Goldman excelle — ne constituerait que l’écume des choses. Si l’océan n’existait pas, il n’y aurait pas de vague sur laquelle surfer… et ce n’est pas le surfeur qui déclenche les tsunamis !
En l’occurrence, les marchés ont une nette tendance à considérer depuis le 22 mai dernier — et surtout depuis mercredi dernier — que c’est la Fed qui a déclenché un tsunami en évoquant la réduction des injections monétaires si la conjoncture continue de s’améliorer aux Etats-Unis.
Richard Fisher, le président de la Fed de Dallas, a suscité un torrent de commentaires lundi soir à Wall Street. Il a dénoncé dans le Financial Times le caractère maniaco-dépressif des marchés… et leur propension à se comporter comme « une horde de sangliers qui passent à l’attaque lorsqu’ils sentent une mauvaise odeur ou une faiblesse » (il s’agit d’une référence très directe à l’offensive de Georges Soros contre la livre britannique en 1992).
M. Fisher avertit : « je pense que même si les marchés ont la tentation de tester les limites, personne ne réussira à briser la Fed ».
Entre notre gestionnaire belge et Richard Fisher, difficile de déterminer celui qui se livre à la critique la plus acerbe des plus influents opérateurs sur les marchés… Des acteurs institutionnels que le patron de la Fed de Dallas connait mieux que quiconque. En effet, il a fait lui-même partie du « gang de requins » avant de rejoindre Ben Bernanke pour s’expliquer d’égal à égal avec les maîtres du monde — ceux qui disposent des moyens financiers de livrer une guerre totale à certains Etats et de défier les banques centrales quand le contrôle de la situation leur échappe.
Notre crainte, c’est que la situation soit bel et bien en train d’échapper à la Fed comme à la Banque du Japon… Tout comme la crise grecque avait échappé à la BCE dès 2010, ou la crise chypriote il y a trois mois.
▪ Et la Chine ?
La seule qui semble encore en mesure de dicter sa loi aux marchés, c’est la banque centrale chinoise. Elle reste bien à l’abri des attaques des « hordes de sangliers » dans son périmètre monétaire parfaitement étanche.
Elle a administré de façon magistrale une punition aux spéculateurs mardi matin. Avec le soudain assèchement du crédit, un grand nombre d’opérateurs ont dû réduire la voilure en catastrophe face à l’impossibilité de refinancer des positions lourdement perdantes via le shadow banking (des entreprises industrielles ou commerciales se transformant en prêteurs sur gage, ce qui rapporte beaucoup plus que d’exercer leur coeur de métier).
La bourse de Shanghai a plongé de 5,7% à mi-séance, ce qui portait à -11% le terrain perdu en 48 heures : comment prononce-t-on le mot « krach » en chinois ?
L’indice SSE a dévissé sous le plancher des 1 950 points du 4 décembre 2012. Il n’a pas tardé à retracer les 1 870 points (la droite unissant tous les creux majeurs depuis mai 2009 et juillet 2010) puis les 1 850 points… un plancher plus revu depuis le 31 décembre 2008 ou le 5 janvier 2009.
Le scénario s’apparentait à celui d’une capitulation des plus classiques. A la seule annonce d’une conférence de presse imminente de la PBOC (Popular Bank of China), un spectaculaire rebond s’est amorcé en direction des 1 960 points, le SSE effaçant en 90 minutes l’essentiel des pertes du jour.
Plus fort encore que le « verbe magique » de Mario Draghi, l’effet d’annonce de la PBOC a complètement retourné les marchés, sans qu’une seule parole rassurante n’ait été prononcée. Si ce n’est pas cela, se faire obéir au doigt et à l’oeil… nous ne savons plus à quoi appliquer cette formule !