▪ Ni la chute de l’indice de confiance des ménages américains en janvier, ni l’essoufflement de la croissance américaine dès que le Pentagone ralentit ses commandes n’ont entamé l’enthousiasme du Dow Jones, parti à la reconquête des 14 160 points.
Un peu à l’image de la conquête de l’Everest (il s’agit aujourd’hui d’un Everest de dettes), Wall Street a mis toutes les chances de son côté lors de cette deuxième tentative par le versant chinois. Les dernières statistiques publiées par Pékin sont jugées encourageantes. Les alpinistes sont dotés d’oxygène, de pentes équipées de treuils, de fortifiants en quantité illimitée dans tous les camps d’altitude… mais est-ce la bonne saison pour lancer l’assaut vers le sommet ?
Le problème c’est que l’aiguille métallique du baromètre des marché est bloquée sur « beau fixe » depuis huit mois par un puissant électro-aimant installé derrière l’instrument par la Fed. Il est impossible de connaître l’état réel de la météo.
▪ Le scénario espéré par les permabulls se réalise
Si la mousson survenait sous 24 heures, le baromètre de la Fed continuerait d’indiquer « tempête de ciel bleu » jusqu’à mi-2015 !
Puisqu’aucun nuage ne saurait poindre à l’horizon — si vous en apercevez, c’est qu’il y a de la buée sur vos lunettes — le Dow Jones a gagné 1,08% vendredi et clôturé à 14 010 points. C’est le scénario que beaucoup de permabulls espéraient depuis début janvier.
Plus timide, le S&P a pris 1% à 1 513 points et le Nasdaq, avec 1,17%, égale son record de mi-septembre 2012, à 3 180 points.
Pas de quoi sabrer le champagne du côté des technos ?
Eh bien on se rattrape avec les valeurs moyennes et le Russell 2000 (+1%). Ce dernier a pulvérisé un nouveau record absolu à 911 points (et 912,5 points à quelques minutes du coup de cloche final). Le Dow Transportation n’est pas mal non plus avec +0,9% lui permettant d’égaler son zénith du début de la semaine dernière à 5 860 points.
Nous sommes fermement convaincu qu’il aurait suffi vendredi qu’aucune mauvaise nouvelle économique ne circule au sein des salles de marchés pour que le Dow renoue avec les 14 000.
Il est tout aussi évident que personne n’accorde la moindre attention aux mauvais chiffres depuis un mois et que les bouchons de champagne sautent dès qu’il en paraît un bon.
▪ Le département du Travail « trouve » 127 000 emplois dans ses statistiques
Ce vendredi, Wall Street a sorti les coupes avec la hausse de l’ISM manufacturier de janvier. Ce dernier a fait un bond vers 53,1 contre 50,2 fin 2012, mais les indices américains avaient déjà commencé à faire la fête en pré-ouverture, dès 14h30, avec les chiffres de l’emploi.
Les opérateurs n’avaient a priori pas de quoi se réjouir avec la création de 157 000 emplois non-agricoles en janvier — un chiffre parfaitement en ligne avec les estimations des économistes. Pas davantage de raisons d’euphorie concernant la remontée du chômage à 7,9% alors que le consensus de marché attendait 7,8%. Mais la confiance est revenue avec la révision en hausse concernant novembre, de 161 000 à 247 000, puis décembre, de 155 000 à 196 000. Ce sont donc 127 000 emplois supplémentaires qui ont été retrouvés par le département du Travail.
Pour le coup, c’est une vraie surprise vu la stagnation du PIB !
Dans l’ambiance actuelle, ce n’est même pas la peine d’attirer l’attention des opérateurs sur le très faible taux de participation de la population active qui reste au plancher à 63,6%. Ne parlons pas non plus de la stagnation des heures travaillées, inchangées à 34,4 en hebdomadaire, les revenus progressant de seulement 0,2% après 0,3% en novembre.
De toute façon, depuis le début du mois de janvier, Wall Street est systématiquement poussé vers de nouveaux plus hauts à la veille du week-end.
Pour tous les logiciels de trading « basiques » (intégrant les règles élémentaires de l’analyse technique), le diagnostic induit sera à 99% la poursuite du mouvement (théorie de la queue qui remue le chien).
Les haussiers ont abordé le week-end avec le sentiment que tous les voyants sont au vert puisque 69% des résultats trimestriels parus sont ressortis supérieurs aux prévisions contre 66% en moyenne sur deux décennies. Rappelons tout de même que ces dernières sont systématiquement minorées par rapport aux attentes réelles des professionnels.
Attention cependant, car l’expérience démontre également que les bonnes surprises sont bien plus nombreuses au sein des 250 premières publications que des 250 dernières. Le score pourrait plus se rapprocher de la moyenne que tendre à rejoindre les 70% (qui signerait en effet un très bon millésime).
Et puis il y a les prévisions des entreprises… sur lesquelles les commentateurs se montrent beaucoup plus discrets. En effet, avec une Europe en récession et un yen dynamité par Shinzo Abe (il dévisse de 27% en deux mois et demi), il est bien difficile de proposer des guidances pour 2013.
Mais quel besoin Wall Street a-t-il de guidance lorsque les entreprises déversent 250 milliards de dividendes en année pleine dans les poches des 10% d’Américains les plus riches qui détiennent 85% des actions ?
Les 90% d’Américains restants ne se sont partagé que 30 milliards de dollars (dont trois milliards de dollars au mois de décembre), soit une hausse « epsilon » de leur pouvoir d’achat.
▪ La hausse des revenus des ménages est un mirage
Autrement dit la hausse de 2,6% des revenus des ménages du mois de décembre est totalement illusoire. Cela avait été aussi le cas en novembre 2004 avec la distribution du superdividende de Microsoft ; « l’effet de richesse » dont se gargarisent des économistes de mauvaise foi (tout est bon pour justifier la hausse des marchés) n’est qu’une vue de l’esprit.
Les 25 milliards de dollars de flux vers les actions du mois de janvier ne sont que le réinvestissement des dividendes versés fin 2012. Cela ne traduit aucun retour des épargnants vers la Bourse — et encore moins celle des salariés et de l’Américain moyen dont les capacités d’épargne sont rongés par une inflation réelle à plus de 5% par an.
Ce phénomène est encore amplifié par la pyramide des âges, puisque les nouveaux entrants n’ont pas les moyens d’épargner — remboursement des prêts étudiants oblige, ils doivent attendre 10 ans en moyenne avant d’atteindre une pleine capacité d’épargne. Pendant ce temps, les retraités sont chaque mois plus nombreux (presque deux fois plus que les nouveaux embauchés) et sont structurellement vendeurs d’actions (l’épargne constituée).
La hausse de la Bourse ne reflète qu’une ultra-concentration de la richesse dont un pourcentage grandissant de la population se trouve exclue (85% à 90%).
C’est pourquoi les volumes quotidiens ne cessent de se contracter. Il n’y a pratiquement plus qu’une seule catégorie de participants au jeu boursier.
C’est donc une nouvelle forme de bulle qui traduit un phénomène extrêmement inquiétant. Il s’agit de la désintégration de la classe moyenne et de l’évaporation des capitaux de la sphère économique réelle au profit de la sphère virtuelle… et tout ceci ne repose que sur la création d’argent fictif.