▪ Le mois de novembre a démarré sur une note indécise à Wall Street. Les marchés américains n’ont pas répliqué dans son intégralité le rebond technique des places européennes — malgré une série de statistiques conjoncturelles que nous n’avons aucun mal à classer dans les catégories "honorable" ou "satisfaisante".
N’y voyez pas une touche d’humour au second degré comme celle qui avait accompagné la publication d’une hausse de 3,5% du PIB américain. Rappelons qu’il ne serait resté que le tiers de ce score sans les commandes du Pentagone et la "prime à la casse" du secteur automobile avec l’opération "Cash for Clunkers".
Non, croyez-nous… les chiffres du jour étaient tout simplement bons. La hausse initiale de 1,5% des indices américains n’impliquait pas que les acheteurs aient fermé les yeux sur des éléments fâcheux ou ignoré des composantes démentant le tableau idyllique auquel les marchés feignaient de croire.
Pourtant, quelque chose a grippé la mécanique haussière après moins d’une heure de cotation. Wall Street a entamé une glissade linéaire qui a duré près de trois heures ; elle a ramené le Nasdaq Composite vers les 2 030 points et le S&P 500 vers les 1 030 points (-0,6%)… avant que les vendeurs ne relâchent la pression et permettent aux indices de ne pas ajouter un nouveau repli de 0,5% aux 2,5% perdus vendredi dernier. Mais le rebond de la dernière heure est demeuré timide puisque le S&P grappille 0,65% et le Nasdaq 0,2% (il clôture juste en deçà des 2 050 points).
▪ Le petit grain de sable qui a semé le trouble après le net regain initial, ce pourrait être l’annonce du dépôt de bilan de la holding de tête du groupe financier CIT (fondé en 1908), spécialisé dans le financement des PME, très impliqué dans le commerce de détail mais également partenaire privilégié des artisans aux Etats-Unis.
Le groupe, qui vient d’être placé sous la tutelle d’un juge, est présent dans une cinquantaine de pays et revendique 71 milliards de dollars d’actifs — dont 65 milliards d’encours de prêts.
Déjà mis en grave difficulté par la crise à l’automne 2008, CIT avait bénéficié d’une injection de 2,33 milliards de dollars le 31 décembre 2008 — un joli cadeau de Nouvel An sous forme d’achat d’actions préférentielles souscrites par le TARP ! Cette annonce était toutefois passée relativement inaperçue car l’Amérique était alors obnubilée par la découverte du scandale Madoff et des 65 milliards de dollars volatilisés dans la nature. Remarquez l’équivalence de la dette de CIT et le montant global de la fraude Madoff… soit très exactement 10% du coût de la faillite de Lehman Brothers.
Se retrouvant de nouveau au bord de la faillite au début de l’été dernier, CIT avait réussi à trouver le 21 juillet trois milliards de dollars pour tenter de tenir encore quelques semaines.
La FDIC s’est refusée dès l’origine à prendre en charge ce dossier "non bancaire", qui ne relève pas de son autorité sur le plan formel. L’activiste financier Carl Icahn s’est alors proposé de garantir le principal d’un prêt de six milliards de dollars… contre une prise de pouvoir qui ne faisait pas l’unanimité parmi les principaux créanciers du groupe, lesquels n’avaient pas l’intention de le suivre en "remettant au pot".
C’est ainsi que Wall Street a appris dimanche — sans grande émotion, rassurez-vous — que CIT allait se classer à la quatrième place des plus grosses faillites de l’histoire des Etats-Unis (derrière Lehman, WorldCom et General Motors).
▪ Un an après le krach systémique traité à coup de centaines de milliards de dollars du contribuable, le principe du "too big to fail" ["trop gros pour faire faillite", ndlr.] n’a pas bénéficié à CIT. La principale explication qui nous vient à l’esprit c’est que cet établissement n’appartient pas au sérail, et ne relève pas de la compétence de la FDIC.
La seconde explication, c’est que le mal est déjà fait pour la clientèle (des centaines de milliers de commerçants et d’artisans). Les dégâts collatéraux ne peuvent déjà plus être prévenus ni limités pour les emprunteurs à court de trésorerie.
Quelques chiffres vont suffire à vous édifier : CIT avait émis près de 36 milliards de dollars de nouveaux crédits en 2007, moins de 20 milliards en 2008… et six milliards en 2009. Cela fait une activité de financement — majoritairement du crédit à court terme — divisée par six en deux ans.
▪ CIT n’avait pas le statut "élite de la finance" qui ouvre droit aux liquidités de la Fed. Et si jamais Ben Bernanke avait décidé de faire une exception, il se pourrait que la Réserve fédérale se soit abstenue à la veille de sa réunion bimensuelle qui début ce mardi.
Certains stratèges s’attendent à un changement de tactique — en particulier à l’annonce d’une possible mise en sommeil progressive des modes d’intervention non conventionnels tels que l’assouplissement quantitatif (plus prosaïquement, la monétisation de la dette).
Le robinet qui déversait les liquidités gratuites depuis décembre 2008 pourrait commencer à se refermer… Surtout que les marchés financiers se sont empressés de regonfler une série de bulles d’actifs, telles de gigantesques bombes à eau dont l’enveloppe ne serait plus très loin d’exploser si la Fed n’y prenait pas garde.
Accusée d’avoir provoqué le gonflement de la bulle du crédit immobilier de 2003 à 2006 par l’application d’une politique monétaire trop laxiste, elle pourrait avertir que ce scénario ne se répètera pas cette fois-ci. Cependant, avant de relever le loyer de l’argent — au risque d’alourdir le coût de la faramineuse dette américaine –, elle pourrait commencer par éponger les liquidités en excédent.
Voilà qui signifie moins d’argent en circulation sur les marchés et une appréciation du dollar qui ne serait pas du goût de Wall Street. Rien n’a encore été annoncé officiellement mais une série de corrections "paradoxales" s’est matérialisée depuis le 21 octobre. La dernière en date remonte au milieu de la séance de lundi (avec un écart linéaire de -2% en l’espace de trois heures de cotation) comme nous vous l’avons décrit en tout début de Chronique.
▪ Wall Street avait en effet de quoi justifier un rebond de belle facture avec une hausse de trois points de l’indice ISM. L’Institute for Supply Management dévoile un indice d’activité remontant vers 55,7 ce mois-ci, contre 52,6 au mois de septembre.
Il s’agissait du troisième mois consécutif de croissance, sur fond de vigueur des nouvelles commandes. Il a été assorti d’une amélioration sur le front de l’emploi se traduisant par le rappel de certains travailleurs temporaires ou des réembauches comme chez Caterpillar (annonce remontant au début de la dernière semaine d’octobre).
Les promesses de ventes dans le secteur immobilier américain ont également grimpé pour le huitième mois consécutif en septembre, selon une enquête publiée par la National Association of Realtors (de 6,1% en rythme séquentiel à 110,1).
Par rapport à septembre 2008, les promesses de vente affichent une augmentation de 21,2%, soit un record de hausse annuelle. Celle-ci résulte toutefois d’un rush ponctuel avant la date d’expiration du crédit d’impôt de 8 000 $, prévue pour la fin novembre. Les dépenses de construction aux Etats-Unis affichent en revanche un repli de 12,1% par rapport à la même période en 2008, même après le rebond de 0,8% du mois de septembre.
De tels chiffres peuvent apparaître contradictoires ; une partie du mystère a été résolue lors de la publication d’articles de presse évoquant de nombreuses fraudes visant à capter la ristourne fiscale sans avoir réellement contracté de crédit.
N’oubliez pas cette maxime helvétique pleine de bons sens : chaque fois que vous découvrez une statistique ou des profits trimestriels apparaissant trop beaux pour être vrais, c’est que c’est effectivement trop beau pour être vrai… ou bien ?