▪ Peut-être y a-t-il de fantastiques opportunités d’achat d’actions en cette période de doute sur l’avenir de la Grèce. En dehors des valeurs bancaires dont nul n’est capable d’évaluer le risque qu’il court en les détenant (l’affaire J.P. Morgan en apporte une nouvelle démonstration), la plupart des titres (et ils sont nombreux) qui pulvérisent leurs planchers de septembre ou novembre 2011 ne réalisent pas un euro de leur chiffre d’affaire en Grèce et n’ont qu’une exposition parfaitement marginale en Espagne.
Certains groupes qui ont un carnet de commandes rempli jusqu’en 2017 — et sont pratiquement en situation de monopole dans leur secteur respectif — ont vu leur cours chuter de 40 à 50% ces deux derniers mois.
Il existe également une longue liste d’entreprises dont le rendement représente deux à trois fois celui des OAT — c’est-à-dire six à huit fois celui des Bunds allemands.
Mais par le jeu d’une logique dont seuls les marchés ont le secret, plus des titres sont absurdement survendus, plus l’algotrading s’acharne à les faire baisser davantage. A tel point que leur valorisation est aujourd’hui inférieure à tout ce qui a pu être mesuré au cours des 30 dernières années, y compris au lendemain du krach de 1987, 2002 ou 2008.
▪ Un grand jour pour Facebook
Si nombre d’opérateurs soulignent à quel point certains dossiers méritent d’être plébiscités (luxe, spiritueux, aéronautique), ils s’abstiennent de tenir le moindre raisonnement sensé concernant des titres dont la valorisation représente parfois la moitié de leur trésorerie et le tiers de leur chiffre d’affaires.
L’argument qui leur semble imparable, c’est que si tout va mal, ce cash se volatilisera en l’espace de quelques trimestres.
Mais si tout va vraiment mal, que vont devenir les profits des entreprises qui se payent 20 fois les bénéfices ?
Dans le climat actuel, il apparaît pertinent de payer aujourd’hui (c’est le jour tant attendu de l’IPO du siècle) Facebook 25 fois son chiffre d’affaire et 100 fois ses profits 2011. Pourtant, les plus gros annonceurs potentiels (comme General Motors) renoncent à passer de la pub sur ce réseau social qui touche essentiellement une population jeune… et osons le dire, généralement peu fortunée.
Si l’étalon de la capitalisation boursière, c’est la notoriété et le succès auprès des adolescents, alors Lady Gaga devrait introduire son blog en Bourse (500 millions de jeunes aiment Lady gaga) ; le maillot de Lionel Messi devrait être coté sur les marchés à terme (un milliard d’amateurs de foot admirent le triple ballon d’or argentin).
Dans l’univers boursier de 2012, une quasi start-up employant une poignée de salariés rémunérés en stock-options et réalisant le chiffre d’affaires d’une grosse brasserie munichoise peut valoir un milliards de dollars du jour au lendemain, c’est-à-dire le tiers de la capitalisation du groupe PSA ou le quart d’Areva.
▪ Areva au plus mal
En ce qui concerne le numéro un mondial du nucléaire (excusez du peu, car elles ne sont pas nombreuses les entreprises françaises à revendiquer un titre de numéro un planétaire), c’est une entreprise contrôlée à 83% par l’Etat — c’est-à-dire le contribuable français — qui voit sa valeur chuter de moitié en moins de deux mois.
Cela représente quatre milliards d’euros évaporés dans l’indifférence générale. Et cela va même jusqu’à milliards d’euros en deux ans puisqu’Areva affichait une capitalisation de 12 milliards d’euros en mai 2011, après avoir déjà perdu pas mal de terrain suite à la catastrophe de Fukushima.
Imaginez que le gouvernement annonce avoir subi une perte de trading de 8 milliards d’euros sur le marché de l’énergie, vous imaginez le scandale !
Les deux cas, Areva et Facebook, représentent la caricature de ce qu’est devenue la Bourse du XXIe siècle. Un mélange de panurgisme intégral (au nom de la rationalité mathématique), de culte des extrêmes et de déconnection avec la sphère du réel.
Mais aussi et surtout la négation de la notion de marché qui vise à fixer la plus juste valeur d’un actif et non un prix totalement absurde qui permet à quelques manipulateurs de cours (ou d’opinion) de maximiser une stratégie de trading incompréhensible pour le commun des mortels.
Le résultat de ce processus est édifiant aux Etats-Unis : Wall Street est devenu une Bourse sans épargnants, où les 1% des plus riches détiennent 50% des actions.
Ceux-là ne sont jamais obligés de les vendre pour financer leur retraite… et quand les cours chutent, ils achètent.
Au bout du compte, les 90% d’Américains les plus pauvres ne détiennent plus que 10% des actions contre 40% au milieu des années 80 : spectaculaire écrémage !
Et cela continue en 2012 car chaque fois que les actions subissent un effondrement de 50% sans raison valable, les épargnants jettent l’éponge par milliers.
▪ Le VIX proche du « mode crise »
Le niveau de stress est en train de franchir un nouveau cran à Wall Street : le VIX tutoie le seuil des 23 au-delà duquel les marchés américains passent en mode crise.
Il n’y a plus aucune marge de sécurité pour encaisser un nouveau choc de confiance de part et d’autre de l’Atlantique.
Le CAC 40 (-1,2%) en a terminé jeudi pratiquement au plus bas du jour (3 012 points), de la semaine et même des six derniers mois. Paris se retrouve à moins de 1% de son plancher de la mi-décembre 2011. L’Euro-Stoxx 50, quant à lui, l’a déjà allègrement enfoncé.
Les LTRO de la BCE n’auront permis que de gonfler une nouvelle bulle boursière (entre 2 975 et 3 600 points) qui s’est totalement dégonflée en moins de deux mois.
Il n’y a jamais eu de vrais acheteurs pour justifier l’envolée du premier trimestre (juste de la spéculation au jour le jour) et il n’y avait pas davantage d’opérateurs guettant le moindre repli pour monter en marche dans le train de la hausse.
Plus les cours baissent, moins il y a d’acheteurs mais plus il y a de spéculation long short qui consiste à surpondérer un titre « A » pour vendre à découvert un titre « B ». Le résultat, ce sont des valorisations absurdes que nous avons décrites plus haut.
Cette séance des « Trois sorcières » va confirmer à quel point le mois de mai justifie sa mauvaise réputation. En effet, certains indices américains alignent 10 replis sur une série de 11 et même 100% de séances de baisse depuis le 3 mai dernier pour les technologiques, ce qui constitue une première historique.
Le risque de catastrophe boursière semble tellement palpable que Wall Street fait le pari que la Fed ou la BCE vont sortir un lapin de leur chapeau en marge du G8 qui se tient ce week-end à Camp David, sous le haut patronage de Barack Obama.