▪ Ouf, nous l’avons échappé belle : les marchés semblaient bien partis pour consolider lundi matin… mais ils ont heureusement pu se raccrocher à deux mauvaises nouvelles pour repartir de l’avant avec une détermination qui semblait encore leur faire défaut vendredi après-midi. Il a suffi que Ben Bernanke prenne la parole à 14h pour que les indices boursiers ressortent brusquement de leur torpeur — et, pour la plupart d’entre eux, de la zone rouge.
Dès que le patron de la Fed a ouvert son micro et jeté un regard circulaire sur la salle, les indices boursiers du Vieux Continent ont repris +0,5% en une poignée de secondes. Les logiciels algorithmiques ont commencé à « payer le marché » bien avant qu’il n’ait achevé son discours… dont il est par ailleurs bien difficile de tirer la moindre conclusion.
Le diagnostic économique de Bernanke, notamment concernant l’emploi, reste des plus réservés et des plus incertains… mais c’est cela qui plaît aux marchés !
Ils sont convaincus que face à la profusion de signaux contradictoires, la Fed va faire son possible pour soutenir une croissance qui demeure trop timide et un marché du travail qui reste étroitement dépendant du niveau de la consommation interne.
Nous l’avions souligné dès lundi matin : la remontée de Wall Street vendredi soir — qui n’était étayée par aucune raison économique valable — démontrait qu’il existe de fortes attentes concernant la mise en oeuvre d’un QE3 ciblant les créances immobilières. Il y a urgence à faire rebaisser les taux longs, ça dérape dangereusement depuis 15 jours…
Vous avez remarqué à quel point les opérateurs semblent certains de leur coup depuis le milieu de l’automne 2011. C’est à croire que la Fed leur a déjà dévoilé son plan d’action avec force détails. Nous sommes convaincu que certains partenaires de la Fed sont en effet très bien renseignés sur ses intentions mais également sur le timing.
La hausse anachronique des indices américains ce lundi (soudain doublement des gains initiaux à +1,1%), après la publication à 16h du mauvais indicateur concernant les promesses d’achats de logements neufs (-0,5% au lieu d’une progression de 1% attendue au mois de février), laisse présager un lancement imminent des rotatives de la Fed.
Wall Street savoure déjà mentalement l’odeur de l’encre se dégageant de milliers de liasses de dollars fraîchement imprimées.
▪ L’Europe fait valser les milliards
Revenons quelques heures en arrière, lorsque les places européennes semblaient encore un tant soit peu connectées au monde réel. Elles avaient entamé la journée de lundi sur une note morose, et n’ont pas tardé à se replier de 0,5% en moyenne une fois achevés les reliquats de programmes d’achat de vendredi soir — Madrid chutant de 2% en une heure.
Car c’est l’Espagne qui sème une nouvelle fois le trouble : les promesses du gouvernement de M. Rajoy concernant un retour à un déficit de 3% d’ici fin 2013 sont jugées peu crédibles. Il aurait fallu pour y parvenir réaliser 80 milliards d’euros d’économies en deux ans — dont 30 milliards dès cette année (c’est l’explosion sociale assurée) pour tenir l’objectif initial des 4,4%. Par ailleurs, rien ne permet de parier à coup sûr que le cap des 5,3% négocié avec Bruxelles sera tenu en 2012.
Mais oublions bien vite ces scories de la crise des dettes souveraines : Angela Merkel a confirmé que l’Allemagne pourrait assouplir sa position sur la fusion des sommes figurant encore sur le FESF (environ 220 milliards d’euros) avec les 500 milliards prévus pour le futur MES.
Nous admirons avec quelle aisance l’Europe parvient à faire valser les milliards au gré des calendriers électoraux… Réjouissons-nous cependant de ce que nos élites admettent la nécessité de mettre en place un pare-feu efficace au cas où la situation se gâterait (officiellement.. parce qu’en réalité, c’est déjà panique à bord) du côté du Portugal et de l’Espagne.
▪ Un peu d’arithmétique… à la sauce BCE
Reprenons : le FESF + le MES = 750 milliards d’euros (pour arrondir). Le FMI pourrait mobiliser 250 milliards d’euros, abondés en grande partie par les contributeurs solvables de l’Eurozone — soit au total 1 000 milliards d’euros (voilà un chiffre qui sonne bien) pour tirer la Zone euro de la mouise.
Fort bien !
Mais tout cet argent, d’où va-t-on le sortir en cas de besoin ?
Parce que pour ce qui est des 107 milliards d’euros de dette grecque effacée fin février, c’est le contribuable européen qui paye la note… et elle est déjà salée pour le salarié français ou allemand.
S’il faut couvrir les 750 milliards d’un plan de sauvetage activé en faveur d’un pays victime de méchants spéculateurs qui doutent de sa capacité à rembourser ses dettes, nous estimons que cela représentera une facture de 150 milliards d’euros pour l’Allemagne et de plus de 100 milliards pour la France.
Nous réitérons donc la question : d’où va-t-on sortir tous ces milliards ?
En vendant le Louvre et la Joconde au Qatar… ou Volkswagen à l’Arabie Saoudite ? Ce serait le bon moment, le titre du constructeur est au plus haut historique !
▪ Roulement de tambour sur les marchés !
La Bourse de Francfort a renoué ce lundi avec les 7 100 points, un score qui n’est guère éloigné des plus hauts absolus. Tous les commentateurs n’hésitent pas une seconde à vous asséner la « bonne explication » : c’est dû à l’amélioration inattendue du climat des affaires en Allemagne au mois de mars… alors qu’une stagnation était anticipée.
Bigre, il doit y avoir « du lourd » pour justifier une envolée de 1,2% du DAX 30 ! Alors attention, accrochez vous à votre souris… roulement de tambour… et maintenant, laissez-vous transporter par au torrent d’allégresse : l’IFO a progressé de… 0,1 point d’indice.
C’est moins de 0,1%, le plus petit écart mesurable. Il passe de 109,7 à 109,8 (nouveau roulement de tambour et coup de cymbale !).
L’indice IFO, comme nous l’avons maintes fois signalé, est fortement corrélé historiquement à l’évolution de la Bourse de Francfort ; un score positif est tout sauf une véritable surprise. Mais les opérateurs nous en ont brodé des tonnes sur le registre « vigueur inattendue du moral des chefs d’entreprises, les anticipations ressortent bien meilleures que prévues (avec un sous-indice qui ‘explose’ de +0,5%), les marchés reprennent confiance ».
C’est consternant de débilité ! Le CAC 40 a repris 0,75% dans un volume d’à peine 2,2 milliards d’euros : retranchez 1,7 milliard de trading intraday sur algorithmes, et cela vous laisse 500 millions d’échanges véritables, un chiffre d’affaire titanesque… comparable à la Bourse de Kuala-Lumpur au mois d’août !
Mais où sont donc ces bataillons de gérants affamés de papier et censés réinvestir massivement sur les actions à la moindre consolidation ?
Et quand va-t-on cesser de nous prendre pour des imbéciles ?