** Paris a entamé hier une consolidation de 2,60% après avoir aligné cinq séances de hausse consécutive et un gain cumulé de 6,5%. L’indice avait fait le grand écart entre 3 115 points et 3 320 points en un peu plus de 48 heures dans les circonstances assez singulières qui vous ont été décrites dès mardi matin.
Il était difficile de trouver dans le flux des actualités du début de la semaine matière à manifester une telle euphorie. Pourtant, le CAC 40 s’est hissé au-dessus des 3 300 points en clôture mercredi, pour la seconde fois depuis le 7 mai dernier.
La forte remontée du marché parisien s’est emballée — comme ailleurs en Europe — sans que les volumes suivent. Il ne s’est en effet échangé en moyenne que 2,9 milliards d’euros sur les 40 vedettes du CAC depuis jeudi dernier. Mais pourquoi diable les indices s’envolent-ils dans le vide alors que les mauvaises nouvelles recommencent à pleuvoir ?
** La récession atteint un rythme annuel de 4% au Japon comme en Espagne, le PIB russe dévisse de 7% au premier trimestre, celui du Mexique s’effondre de 8,2% — et reculera d’au moins 5,5% en 2009 d’après la Banque centrale de Mexico –, et Taïwan atteint le seuil technique de la dépression avec 10,2% (officiel).
Nous pouvons ajouter la dégradation hier matin de la note de la dette souveraine du Royaume-Uni par Standard & Poors (avec une perspective négative), ce qui fait plonger la livre sterling de 1,25% face au dollar et de 1,15% face à l’euro.
Comme le disait si bien le président Franklin Roosevelt : "à partir d’un certain degré d’enjeux financiers ou politiques, rien n’arrive par hasard".
** Coïncidence troublante, au moment où la tendance s’est retournée à la baisse mercredi soir à Wall Street, Kenneth Lewis, le CEO de Bank of America indiquait que sa firme venait de finaliser avec succès son augmentation de capital géante de 13,5 milliards de dollars. Cela devrait lui permettre de rembourser avant fin 2009 tout ou une partie des 45 milliards de dollars empruntés au TARP, suite au rachat financièrement chaotique de Merrill Lynch.
Il est tout de même amusant de constater que chaque fois que les marchés fusent à la hausse, les annonces de levées de fonds par les banques ou les industriels les plus endettés fusent dans la presse.
Mettre sur le tapis quelques centaines de millions de dollars à Wall Street pour en placer rapidement plusieurs dizaines de milliards sous forme d’emprunts ou d’émissions de titres, cela doit faire sens, ne croyez-vous pas ?
Mais bon, les économistes des banques dites "chefs de file" nous expliquent sans sourciller que si la Bourse monte, c’est parce que la confiance est en train de revenir. Il n’est donc pas surprenant de voir les investisseurs réserver un bon accueil aux émissions corporate d’entreprises en quête de liquidités.
A les suivre, nous assistons donc à une hausse 100% naturelle, sans colorant (rose) ni parfum (de scandale) artificiel et sans sucre ajouté. Si les indices rechutent malencontreusement dès que les opérations de renflouement seront achevées — et cela ne devrait plus tarder –, les stratèges nous feront observer que la hausse était également garantie sans conservateur.
** Un récent sondage, réalisé vendredi dernier par la presse financière américaine, révélait que plus de deux tiers des investisseurs sondés considèrent que la hausse actuelle est largement artificielle et ne correspond qu’à un rebond de bear market.
Ceux qui se rangent dans le camp des optimistes récitent comme un seul homme le discours bien rôdé des banquiers évoqués dans les deux paragraphes précédents.
Les opérateurs qui ont quelques années d’expérience estiment que tant qu’il existe une majorité d’opinion négative dans une phase de reprise, celle-ci a de fortes probabilités de se poursuivre.
Lorsque le gros des troupes passe dans le camp de la hausse, les marchés sont mûrs pour consolider. Vous avez déjà lu cela des dizaines de fois, et cela a effectivement fonctionné comme ça des dizaines de fois.
C’était en tout cas vrai du temps où Wall Street ne grimpait pas à coups de subventions du Trésor US garanties par l’argent du contribuable.
C’était aussi vrai à l’époque où ceux qui avaient vendu à temps pouvaient miser sur une embellie économique après la chute d’un peu de bois mort. Mais qu’en sera-t-il dans un contexte de reprise en "L" à la japonaise, avec un système financier peuplé de banques zombies — comme les baptise l’économiste Nouriel Roubini — qui vont devoir continuer d’assainir leur bilan en réduisant la taille de leur portefeuille de prêts durant une décennie ?
** Après l’effondrement de la bulle des créances bancaires, voici que débute celui des cartes de crédit. La Maison Blanche veut mettre fin à nombre de pratiques déloyales qui spolient les accros de la plastic money à leur insu et les acculent à la faillite.
Cette perspective n’a rien de réjouissant pour les principales banques émettrices qui sont le plus souvent — vous l’aurez deviné — anglo-saxonnes.
Ceci pourrait expliquer que Wall Street ou Londres se montrent beaucoup plus irréguliers que les autres places du Vieux Continent depuis une semaine avec une alternance de hausses et de consolidations tandis que Paris ou Francfort effectuaient un parcours sans faute. Le Dow Jones affichait un score de -1,54% hier soir. Les actions pourraient donc aligner une seconde semaine de consolidation : de quoi faire se retourner la tendance à la baisse d’ici fin mai.
** Le retournement de tendance intraday des indices américains mercredi soir — avec des écarts dépassant les -2,5% en valeur absolue sur le S&P 500 et le Nasdaq entre les extrêmes de séance — a également enrayé la belle mécanique haussière de l’Eurotop 100, au moment où les indices atteignaient des niveaux vertigineux de sur-achat.
La consolidation s’est enclenchée à la lecture des minutes de la Fed (réunion de politique monétaire des 28 et 29 avril) qui entérinent quelques signes d’amélioration conjoncturelle déjà mentionnés dans un précédent rapport mais qui sont assorties d’une réduction des prévisions de croissance en 2009.
La Fed se dit prête à renforcer son programme de rachats de bons du Trésor et autres titres de créance pour accélérer une sortie de récession. Tiens, tiens… cela pourrait signifier qu’une bonne rasade de potion magique va s’avérer nécessaire pour redonner du tonus à la croissance.
Mais n’oublions pas que la potion magique — ou tout autre remède miracle — ne donne de résultats probants que sur des êtres… vivants !
Philippe Béchade,
Paris