▪ Existe-t-il quelque part sur terre un pare-choc que les autorités financières n’aient pas encore percuté ?
Les dirigeants sont perdus sans boussole. Ils essaient de remonter une rivière sans pagaie. Ils sont devant le distributeur automatique sans leur code secret. Toutes leurs théories, sans exception, ont été discréditées. Pas une seule de leurs expériences ne les contredit pas.
En 2006, ils n’ont pas vu venir la crise. En 2008, ils n’ont pas su la comprendre. En 2009-2011, ils n’ont pas pu la résoudre. Leurs théories leur disaient qu’ils ne pouvaient pas repérer une bulle — qui était évidente pour à peu près tout le reste du monde. Même nous, nous avons pu en prévenir nos lecteurs. Ensuite, l’élite financière a confondu le problème avec un manque d’argent liquide. Mais quasiment tous les ménages américains savaient quel était le vrai souci : un excès de dettes.
Ensuite, alors que chacun sait qu’on ne peut pas régler un excès de dette en ajoutant plus de dette, les autorités sont passées complètement à côté. Depuis qu’elles ont commencé à appliquer leurs remèdes, la dette nationale italienne a grimpé de 360 milliards de dollars (Mds$). La dette nationale du Japon a gonflé de 1 100 Mds$, et les Etats-Unis ont ajouté plus de 2 000 Mds$ à la leur. Ils ont peut-être réussi à balayer le problème sous le tapis… mais des bosses commencent à apparaître. Et la semaine dernière, ils ont trébuché dessus.
Rien que pour ces trois plus grands débiteurs au monde, le problème est désormais 3,5 Mds$ plus grave. Et ce n’est qu’une partie de la situation. Ces chiffres ne comptent pas les milliers de milliards d’autres sparadraps monétaires et budgétaires appliqués par les autorités. Ron Paul, membre du Congrès US, met le chiffre pour les Etats-Unis à 5 000 Mds$ ; il en a parlé à M. Bernanke.
Que pensez-vous avoir obtenu en l’échange de tout cet argent, a-t-il voulu savoir. Le président de la Fed est resté fidèle à ses illusions. L’argent n’a pas été dépensé, a-t-il protesté ; il a été « investi ».
Dans ce cas, quel a été le retour sur investissement ? Selon toutes mesures, l’économie américaine est dans un pire état qu’avant le début des plans de relance et autres miroirs aux alouettes. Après des pertes de 7 000 Mds$, l’immobilier chute encore. L’emploi est pire. Le taux de chômage large — qui comprend les personnes ayant cessé de chercher un emploi, les travailleurs à temps partiel ne trouvant pas de plein-temps, etc. — est passé de 15,8% à 16,2% en juin.
Le nombre d’Américains ayant un emploi a baissé d’un quart de million, passant à 153,4 millions de personnes. La recherche d’emploi dure désormais plus longtemps que la période moyenne après laquelle un chômeur cesse de chercher — 39,8 semaines, un record. Les salaires horaires ont chuté. Les heures travaillées aussi.
Alors que le problème concerne les ménages aux Etats-Unis, en Europe, ce sont les banques, les renflouages et les usines à gaz qui causent des remous. Moody’s, le géant de la notation, a jeté la dette irlandaise dans la poubelle des junk bonds, après avoir dégradé la notation de la dette portugaise la semaine précédente.
La dette grecque a le statut de junk bond depuis des mois, mais cela n’a pas empêché Fitch de la dégrader une nouvelle fois ; il y a quelques jours, les notes grecques à 10 ans se vendaient avec une décote de 48%. La dette à deux ans rapportait 36% à l’heure où nous écrivions ces lignes. Et Moody’s a récemment annoncé qu’elle examinait aussi le cas de la dette américaine ; une dégradation finira par arriver tôt ou tard.
Plus la pile de dette augmente, plus elle pue. La semaine dernière, les investisseurs ont remarqué une mauvaise odeur provenant d’Italie, le troisième plus grand débiteur au monde. Les deux autres grands débiteurs de la planète — les Etats-Unis et le Japon — ont 26 000 Mds$ de dette souveraine combinée. Ajoutez l’Italie, le total se monte à près de la moitié du PIB mondial. Ce sont des chiffres considérables ; ils ne vont pas disparaître.
L’Italie n’a rien de particulièrement terrible. A 120% du PIB, sa dette gouvernementale se situe, officiellement, entre celles des Etats-Unis et du Japon. Officieusement, elle est à peu près à égalité avec les Etats-Unis. En ce qui concerne les déficits, l’Italie est un modèle d’intégrité. Son déficit n’est que de 4,5% du PIB, à comparer avec les 11% des Etats-Unis.
Si l’on se fiait uniquement à ces chiffres, on pourrait en déduire que le coût de l’emprunt pour l’un de ces paniers percés serait à peu près le même que pour les autres. Mais les investisseurs ont récemment décidé que la dette italienne pouvait être aussi dangereuse que les concombres espagnols. Ils l’ont vendue. En agissant de la sorte, ils ont envoyé les rendements des obligations italiennes à 10 ans au-delà des 6%. L’Espagne a percé les 6% peu après. Dans la mesure où 7% est considéré comme une limite supérieure, cela a mis toute l’Europe à 100 points de base de l’Apocalypse.
Les autorités observaient les événements comme un chat domestique regarde le journal de 20h : elles ont vu les images. Elles ont entendu les mots. Elles n’ont rien compris de ce que cela signifiait.
Aux Etats-Unis, dans le même temps, le jour du jugement approche aussi. Dans quelques jours, à moins que la limite réglementaire soit levée, les Etats-Unis cesseront de payer leurs dettes.
Ce sera « pire que la banqueroute Lehman », déclare l’ancien Secrétaire au Trésor US Larry Summers. L’Apocalypse en d’autres termes. Mais si l’on se fie à tout ce que leurs remèdes ont provoqué jusqu’à présent, l’Apocalypse semble une alternative de plus en plus attrayante.
Meilleures salutations,
Bill Bonner
La Chronique Agora