▪ Nous attendions avec une grande impatience d’identifier le moment à partir duquel Ben Bernanke perdrait de sa crédibilité auprès des marchés. Sa conférence du 22 juin pourrait bien marquer un tournant dans certains esprits plus agiles que d’autres. Il apparaît clairement qu’en dehors d’imprimer de la fausse mornifle, il n’a aucune stratégie de rechange, aucun plan B.
Le QE2 a été un échec total sur le front de l’emploi et de la croissance. Bernanke s’abstient de dresser un bilan précis et se contente d’affirmer que la Fed se rapproche des objectifs qu’elle s’était fixés… Un petit trou d’air conjoncturel vient simplement différer le constat d’une amélioration qui devrait se concrétiser au second semestre.
Pas d’allusion non plus aux tractations entre démocrates et républicains visant à définir une nouvelle enveloppe pour les déficits américains. Les négociations sont dans l’impasse, les Etats-Unis se retrouvent à six semaines d’un potentiel défaut de paiement et Ben Bernanke se lance dans une longue digression concernant la Grèce et le péril systémique que ce dossier fait peser sur l’économie mondiale.
Les 350 milliards d’euros d’endettement de la Grèce, voilà le vrai problème ! Les 35 000 milliards d’endettement des Etats-Unis (dont 14 500 milliards seulement sont officiels) ne doivent soucier personne.
▪ Cette sorte d’inconséquence de la Fed avait assommé les acheteurs dès hier soir à Wall Street. Cependant, le véritable électrochoc — qui a littéralement affolé les vendeurs — a été l’annonce surprise que l’AIE allait mettre une partie de ses stocks de pétrole sur le marché afin de calmer les tensions apparues après le déclenchement des troubles en Libye.
Curieusement, l’AIE n’avait pas bronché lorsque le baril de WTI tutoyait les 110 $ ; elle se réveille juste au moment où le cours entament leur rechute sous 95 $. Encore un exemple de « courageux absents » au plus fort de la bataille, qui volent soudain au secours de la victoire (des vendeurs à découvert).
Lorsque l’on connaît le poids indiciel des valeurs pétrolières et parapétrolières dans le S&P 500, il ne faut pas s’étonner qu’un trou d’air de -6% (le baril de WTI s’est enfoncé de 94,5 $ jusque vers 89,7 $) ait fait décrocher les indices historiques de 1,8% moins d’une demi-heure après la reprise des cotations.
Cet événement tout à fait imprévu aurait compté pour au moins la moitié des 25 points perdus par le S&P au plus fort de la vague de dégagement initiale.
▪ Parmi les autres motifs de déprime de Wall Street, on peut citer pêle-mêle le rebond de 15 000 du nombre d’inscriptions hebdomadaires au chômage… et la rechute inattendue des ventes de logements neufs (-2,1%) au mois de mai. Cela représente un stock de maisons neuves invendues de 166 000 unités, qui équivaut à 6,2 mois de réserves au rythme actuel des transactions.
C’est une goutte d’eau en regard des stocks de logements anciens détenus par les banques après saisie, en attente de trouver un acquéreur. Ils viennent s’ajouter aux millions de logements répertoriés dans les listings des agences immobilières.
▪ En Europe, « la pierre » ne se porte pas trop mal (sauf dans les pays accablés par l’éclatement de la bulle immobilière) et la croissance y affichait un score flatteur au premier trimestre.
Changement radical d’ambiance dès l’entame du second trimestre (Fukushima oblige)… Les mauvais chiffres économiques s’enchaînent depuis 48 heures : l’indice PMI flash composite Markit de l’activité globale dans l’Eurozone se replie de 55,8 en mai à 53,6 en juin.
Il atteint ainsi un plus bas de 20 mois et recule à un rythme qualifié d' »inquiétant » par Markit. L’indice flash manufacturier chute vers 52,4, son plus bas niveau depuis septembre 2009.
Le taux d’activité industrielle se maintient bien en Allemagne, alors que le moral des chefs d’entreprises ne cesse de se dégrader depuis deux ans d’après l’enquête ZEW publié hier. En revanche, la croissance ralentit fortement en France et elle est au point mort en Suisse — un pays dont la devise ne cesse de battre des records face au dollar et à l’euro.
Dans le reste de l’Eurozone (Benelux, Italie, Espagne, Slovénie, Portugal…), l’activité globale fléchit pour la première fois depuis novembre 2009. Cela fait beaucoup de mauvaises nouvelles en quelques heures.
▪ L’euro accuse le coup et rechute de 1,3% sous les 1,4150 $. La remontée symétrique du dollar peut être interprétée non comme une preuve flagrante de défiance vis-à-vis de la capacité de Bruxelles à résoudre le problème grec, mais comme une inversion des positions de carry trade euro/dollar. C’est le symptôme d’un soudain accès d’aversion au risque de la part des opérateurs.
Cette aversion se lit surtout dans l’explosion de la volatilité sur le VIX, le baromètre du stress adossé au S&P 500, qui s’envolait de 16% vers 21,50, contre 18,5 la veille. A la mi-séance, il caracolait encore au-delà des 20,5 alors que le Dow Jones affichait plus de 200 points de repli (sous les 11 900 points).
Wall Street s’achemine gaillardement vers une septième semaine de baisse sur une série de huit… Et c’est un sans-faute pour le Nasdaq 100, qui aligne un huit sur huit historique.
▪ En ce qui concerne le CAC 40, retour en territoire négatif sur l’ensemble de l’année 2011 (-0,45%). Et surtout, seconde plus mauvaise clôture depuis le 16 mars dernier, lorsque l’indice en avait terminé comme jeudi soir au contact des 3 787 points. Le seul élément un peu rassurant, c’est que les volumes (3,6 milliards d’euros) sont étrangement étroits compte tenu de l’intense volatilité observée la veille.
C’est ce qui autorise l’espoir d’un rebond technique pour cette dernière séance de la semaine. Il faudra toutefois reprendre au minimum 1% pour ne pas afficher un score hebdomadaire négatif.
Compte tenu du climat actuel, sauver les 3 805 points peut revêtir une importance primordiale : un rapide tour d’horizon des forums depuis la journée des « Quatre sorcières » (le 17 juin) suffit à ressentir que nombre de permabulls (optimistes systématiques qui se refusent à tenir compte de l’environnement réel) sont désormais au bord de la capitulation.
Les plus convaincus du potentiel illimité des actions, les plus solides psychologiquement, s’accrochent à l’espoir que le bal des trimestriels qui débute dans moins de 10 jours à Wall Street redonnera aux marchés l’envie de danser et de s’étourdir.
Mais Monkey Business Ben et son grand orchestre ont posé leurs instruments depuis le début du mois de mai. Ils observent sans broncher les fêtards qui réclament un rappel avec de moins en moins de conviction, leurs rangs étant de plus en plus clairsemés.
Beaucoup de commentateurs expliquaient au coeur de l’euphorie de la fin avril qu’il faudrait foncer vers les issues de secours dès que la musique aurait cessé de faire tourbillonner les danseurs à Wall Street.
Ce qui a trompé tout le monde, c’est que le Fabulous Fed Robotic Orchestra est toujours en place… A moins qu’il ne s’agisse que de robots habillés en queue de pie et portant des masques en latex imitant parfaitement l’aspect des visages humains.
Ils n’ont que faire des cris et des applaudissements du public : s’ils empoignent leurs instruments, les derniers danseurs se remettront à y croire.
S’ils se lèvent, le regard creux, sans saluer la salle, puis regagnent sans piper mot les coulisses, ce sera la panique !
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[…] Si un tel cas de figure se produisait, nous irions tout droit vers une capitulation comme nous l’évoquions — mais sans y croire — en guise de conclusion vendredi. […]
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