A l’image des étoiles filantes, il n’aura fallu que quelques dixièmes de secondes (à l’échelle du capitalisme post-révolution industrielle, soit environ 250 ans) aux stars de la finance mondiale pour tomber du firmament vers les zones les plus obscures de l’horizon.
Oui, à un an de distance, c’est comme si une épidémie de virus "subprimo-dépresseur" avait frappé une typologie bien précise de participants au Forum de Davos : la majorité des financiers ayant basé leur expansion et leur munificence sur la spéculation et les effets de levier ont disparu de la liste des Maîtres du Monde.
Parmi les grands noms qui brillent… par leur absence, citons des habitués du Forum tels Richard Fuld Jr., ex-patron de Lehman Brothers, John Thain, ex-CEO de Merrill Lynch et directeur démissionnaire de Bank of America (jeudi dernier).
Parmi les survivants de la tempête d’octobre qui ont décliné l’invitation des organisateurs, nous notons la défection de Vikram Pandit et Lloyd Blankfein, les patrons de Goldman Sachs. Il y a aussi Sir Win Bischoff, le président de Citigroup, qui fera représenter la firme par Richard Parsons, l’ancien CEO du groupe Time Warner Inc.
Nous ajouterons à cette liste des absents de marque quelques milliardaires rapidement enrichis comme Ramalinga Raju, l’ex-patron de Satyam Computer (pour cause d’emprisonnement) ou Edgar de Picciotto, président de l’Union bancaire privée. Ce dernier a fait investir ses clients à hauteur de 700 milliards de dollars dans les fonds Madoff — autre figure éminente de l’élite capitaliste qui attend son placement imminent derrière les barreaux.
Le mot d’ordre cette année c’est : "ne dites surtout pas à Klaus Schwab (le fondateur du Forum économique) que je brasse de l’argent, il me croit militant alter-mondialiste ou sympathisant de l’ultra gauche allemande".
Les rois des marchés dérivés — patrons de hedge funds ou de salles de marché des divisions banques d’affaire — suscitaient la curiosité et l’admiration des politiques, des chefs d’entreprise (façon vieille école), des grands communicants et des journalistes qui façonnent l’opinion en se roulant dans le risque spéculatif comme d’autres se roulent dans la neige en sortant tout fumants d’un sauna.
** Et puisqu’on parle sauna, sachez que chaque établissement possédant un minimum de deux étoiles en est équipé à Davos. C’est un équipement devenu aussi incontournable dans l’hôtellerie helvétique que le salon de thé/chocolat chaud donnant sur la terrasse ou l’abri anti-atomique situé au deuxième sous-sol… mais la pratique suédoise consistant à courir nu dans la poudreuse avant de se jeter dans un trou d’eau foré dans la surface d’un lac gelé n’est pas encore très répandue dans le canton des Grisons.
Saint-Moritz n’est pourtant pas très loin et les moeurs — présence de l’élite anglaise oblige ? — y sont beaucoup plus dissolues… mais Davos demeure très sage, à part peut-être un afflux inhabituel de beautés blondes de type slave depuis une demi-douzaine d’années.
Puisque je viens d’ouvrir une petite parenthèse touristique, permettez-moi de vous faire partager une expérience inoubliable pour peu que les conditions météorologiques soient favorables (et que vous disposiez d’une voiture décapotable, avec ou sans bimbo russe sur le siège passager) : je vous recommande, en période estivale, de partir vers 14h de Davos pour entamer l’ascension du col du Stelvio. En laissant derrière vous la célébrissime station helvétique, vous ferez une brève incursion d’une demi-heure en Autriche avant d’entrer en Italie pour attaquer la fantastique ascension du second plus haut col routier d’Europe, situé à la frontière italo-helvétique.
Parvenus au sommet, vous prendrez le télécabine qui vous offrira un point de vue inoubliable sur les glaciers suisses et sur la vertigineuse succession de lacets que vous venez d’emprunter et qui serpente à travers les paysages minéraux du parc naturel "dello Stelvio"… Il vous restera encore à dévaler la magnifique vallée calcaire entrecoupée de gorges qui mène vers Bormio, soit un parcours représentant un total de 100 kilomètres mais qui compte certainement parmi les plus époustouflants de la planète.
** Vous devez vous demander pourquoi j’évoque aujourd’hui des cols alpins qui sont tous fermés à cette époque et qui ne sont praticables qu’en motoneige ou en "peau de phoque"… Eh bien c’est justement parce que ces endroits magnifiques sont aussi peu fréquentés par les touristes durant l’hiver que la bourse par les investisseurs en cette fin janvier.
L’autre point commun… c’est qu’été comme hiver, après en avoir bavé skis aux pieds ou sur son vélo pendant des dizaines de kilomètres, sans jamais avoir aperçu le sommet — avec un lourd sac rempli de moins-values sur le dos –, le moment "d’y croire" arrive enfin.
Très franchement, après les dernières heures désespérantes que nous avons vécues jeudi et vendredi dernier, avec l’impression d’être pris dans une bourrasque qui ne cessera jamais, j’éprouve soudain le même sentiment qu’en montagne, lorsque les nuages se déchirent et que je découvre que le but de la ballade n’est plus qu’à cinq petites minutes de marche. Encore un petit raidillon à gravir sur quelque méchante pierraille… et c’est la délivrance !
** Ces derniers pas un peu pénibles ont peut-être été accomplis symboliquement lundi matin avec un repli initial de 0,5% du CAC 40 ou de l’Eurotop 100. Après petite pause bien méritée au niveau de l’objectif, l’heure de s’abandonner aux lois de la gravité — en roue libre ou en grandes courbes dans la poudreuse, cela dépend de la saison — est enfin (bien)venue.
Certes l’analogie touristique avec l’évolution des marchés n’est pas parfaite, puisqu’il est maintenant question d’une remontée indicielle au lieu d’une descente aux enfers vers 2 650 puis 2 400 points à Paris ou 600 points sur le S&P à Wall Street… mais elle reste pertinente si vous retenez le basculement d’une période pénible vers une situation beaucoup plus confortable — voire euphorisante à condition que la route reste bien dégagée.
Et la comparaison sera d’autant plus adaptée si, comme nous l’anticipons, le mouvement qui s’amorce est rapide et peu étendu dans le temps. Rappelons que le précédent a duré près de 15 à 18 mois de Paris à Wall Street en passant par Tokyo.
Le marché parisien a rebondi ce lundi de 3,73% ; il efface ainsi trois journées et demi de pertes consécutives. Il ne faisait pas bon rester vendeur à découvert lorsque le CAC 40 a re-franchi les 2 920 points : l’indice n’a pas tardé à doubler la mise pour afficher +4% vers 16h30. Le signal du rebond est venu des valeurs bancaires, avec un titre BNP Paribas s’envolant de 17% au-dessus des 25 euros.
Les volumes d’échanges ont atteint 3,32 milliards d’euros à Paris. C’est relativement modeste par rapport à janvier 2008… mais c’est plutôt encourageant pour un lundi, bien qu’il ne soit pas encore question de rachats massifs.
Nous venons d’assister à un bear trap (scénario-piège pour les "ours" baissiers) puisque les planchers de l’année 2008 avaient été enfoncés par les principaux indices à la fois les jeudi 22 et vendredi 23 janvier.
** Il fallait par contre se méfier de la faible probabilité de voir un cycle record de 12 séances de repli sur une série de 13 (deux exemples seulement en 2008) se perpétuer encore 48 heures — surtout après une chute libre de 19% depuis le 7 janvier dernier, équivalente à celle observée à la même date en janvier 2008.
Les plus pessimistes ont pourtant vu leurs attentes se confirmer en début de séance avec un nouveau recul de Tokyo et l’anticipation d’une probable révision à la baisse des prévisions de croissance mondiale par le FMI pour 2009.
Cependant, les chiffres américains du jour ont démenti les plus sombres pronostics. L’indice des indicateurs avancés du Conference Board a en effet progressé de 0,3% à 99,5 au mois de décembre aux Etats-Unis, après une baisse de 0,4% en novembre ; les ventes de logements anciens ont quant à elles rebondi de 6,5% au mois de décembre. En outre, le stock de logements anciens prêts à la vente a décru de 11,7% à 3,68 millions
** Les indices américains étaient bien orientés à la mi-séance avec une hausse de 1,5% pour le Nasdaq et le S&P, et de 1,3% pour le Dow Jones. C’était bien le moins en cette journée de célébration du passage à l’année du buffle — il s’agit bien d’un taureau, même s’il est réputé pour sa docilité et sa persévérance dans l’effort, tandis que celui de Wall Street est sauvage et se contente de charger furieusement mais sur de courtes distances.
En tant qu’investisseur se tenant à l’écart de la tentation spéculative, je crois le buffle chinois (ou vietnamien) infiniment préférable au fauve à cornes qui sert d’emblème à la hausse outre-Atlantique : essayez donc de franchir un col alpin à ses côtés !
Philippe Béchade,
Paris