Par Sylvain Mathon (*)
La théorie du découplage a-t-elle vécu ?
Après l’euphorie des JO, l’onde de choc arrive-t-elle pour l’Empire du Milieu ? La Banque centrale chinoise l’anticipe, en baissant un de ses taux de 27 points de base. Le plongeon hypothétique du marché chinois peut s’expliquer aussi par la fuite des capitaux hors des marchés émergents. Pour faire face aux pertes subies sur les marchés occidentaux, les investisseurs tentent de sauver ce qu’ils peuvent, en soldant leurs positions encore bénéficiaires.
D’autre part, l’intervention militaire musclée des Russes en Géorgie — près des pipelines ! — a été très mal ressentie par la communauté financière internationale. On en voit les effets à la bourse de Moscou, dont les investisseurs étrangers retirent leurs capitaux en masse. Une telle méfiance pourrait s’étendre à la Chine : c’est dans les moments difficiles que l’Occident commence à s’interroger sur ses "grandes amies" les superpuissances émergentes… un peu trop puissantes à son goût, et pas si "super" que ça.
Les premiers sortis du marché chinois s’en tirent honorablement. En revanche, les suivants pourraient voir leurs profits s’évanouir d’un seul coup, et devoir tout vendre dans la panique. La spirale infernale serait alors lancée : la fuite des capitaux pèserait sur l’investissement intérieur chinois, entraînant une baisse de la consommation… Sans parler de la "poudrière sociale" que constitue la Chine d’aujourd’hui.
Même si elle ne s’inscrit pas encore dans les faits, la question doit être posée dès maintenant : à quand une crise de confiance en Asie ? A l’heure où j’écris ces lignes, les marchés asiatiques réagissent en tout cas au "coup de tabac" déclenché par la faillite de Lehman et les événements qui ont suivi. Difficile à ce stade de mesurer l’ampleur de la casse. Mais ce qu’illustre clairement cette réaction en chaîne, c’est que la théorie du découplage a vécu : la majorité des opérateurs a cessé d’y croire.
Les fonds pourraient toucher le fond
Il n’y a pas que les banques américaines qui soient en danger : nombre de fonds spéculatifs pourraient éprouver des difficultés similaires. N’ayant pas su anticiper le retournement baissier sur les commodities, Ospraie Management (détenu en partie par Lehman) qui figure parmi les plus gros intervenants sur les marchés de matières premières (notamment énergie et métaux de base) a dû fermer en catastrophe son emblématique et plus gros fond. Après 38,6% de pertes cette année, Ospraie ne gérait plus que quatre milliards de dollars, pour des encours totaux qui en valaient plus du double en mars. Sans parler de tous les autres hedge funds, moins réputés, qui ont lâché sur les commos leurs milliards acquis durant le grand rally des années 2003-2006…
Grands gagnants des rallys, les spéculateurs sont aussi les premières victimes des retournements. Des rumeurs de défaillances concernant le fonds Atticus ont circulé : pour l’instant démenties… Il est probable que l’on rentre dans une dynamique d’assainissement. Comme toujours dans ces circonstances, les petits pâtiront davantage ; et les leaders sortiront renforcés d’une vague de consolidation qui s’annonce violente.
Par ailleurs, l’idée d’encadrer la spéculation financière est un des thèmes récurrents de la campagne électorale américaine : et avec l’immobilier, les matières premières énergétiques — devenues une sorte de symbole de l’ère Bush — sont en ligne de mire. Pas sûr que les politiques aient les moyens d’y parvenir, mais ils ont le soutien du peuple. Les Etats-Unis aiment les entrepreneurs, mais pas les spéculateurs : souvenez-vous d’Enron. Quand les circonstances l’exigent, les Etats-Unis peuvent se montrer d’un interventionnisme à faire rougir Bruxelles ! On ne peut pas exclure que les prochaines élections portent un coup de gel au marché florissant de la finance des commos. Les fonds spéculatifs y perdraient beaucoup ; au contraire, les acteurs encore attachés au physique — industries, prospecteurs, distributeurs — sortiraient renforcés de cette inflexion politique.
L’Amérique qui trébuche, l’Europe qui titube, la Chine qui vacille : l’économie mondiale ne marche pas droit. Je serai franc : tout cela n’est pas de bon augure, à court ou moyen terme, pour notre secteur de prédilection. A plus grande échelle, en revanche, les fondamentaux physiques reprendront le dessus, d’autant que le marché aura été purgé de ses éléments les plus spéculatifs. Reste à savoir comment négocier ce virage… et pour vous y aider, continuez votre lecture !
Meilleures salutations,
Sylvain Mathon
Pour la Chronique Agora
(*) Globe-trotter invétéré et analyste averti, Sylvain Mathon, est un peu "notre" Jim Rogers… Après avoir travaillé durant dix ans au service de grandes salles de marché, il met depuis février 2007 toute son expertise en matière de finances et de matières premières au service des investisseurs individuels dans le cadre de Matières à Profits, une lettre consacrée exclusivement aux ressources naturelles… et à tous les moyens d’en profiter. Il intervient régulièrement dans l’Edito Matières Premières.