** Il fallait passer un sérieux coup de balai dans les couloirs et sur le floor à Wall Street après la bruyante surboum de jeudi et vendredi derniers. Les gérants s’y emploient depuis lundi avec un zèle réjouissant, faisant le ménage dans les portefeuilles, toilettant leurs stratégies de couverture — amputées par la suppression des ventes à découvert — et lustrant les valeurs qui leur semblent les plus défensives.
Adeptes du tri sélectif, ils n’oublieront pas en repartant de sortir les poubelles remplies de déchets obligataires toxiques. La Fed et le Trésor US se sont engagés à leur en racheter le contenu à un prix "correct".
Mais personne, et même pas le Congrès américain, n’a aujourd’hui la moindre idée de ce que valent les créances en train de pourrir et de fermenter au fond des portefeuilles. Des portefeuilles farcis d’ABS, de CDO et autres RMBS "collatérilisés". Si vous ne savez pas encore ce que ces acronymes recouvrent, sachez que ceux qui les détiennent pourraient difficilement vous expliquer à quoi cela correspond en termes intelligibles… et encore moins ce que cela vaut !
Le patron de la Fed et le secrétaire au Trésor mettent l’accent sur le "caractère d’urgence" de la mise en place d’un fonds de defeasance. Les paris sont ouverts sur l’épaisseur de l’enveloppe adéquate : 1 000, 2 000 milliards de dollars… ou plus ? A votre bon coeur chers contribuables américains… Cependant, nombre de sénateurs influents du Congrès, démocrates comme républicains, estiment que le plan dévoilé jeudi dernier ne marchera pas en l’état.
Et ce pressentiment est d’autant plus fondé que si une structure ad hoc était mise sur pied aux Etats-Unis pour faire l’inventaire et le chiffrage des actifs toxiques, le décompte s’arrêterait aux créances détenues en propre par les organismes financiers installés sur le sol américain. Ainsi, des milliers de milliards de dollars d’engagements à terme conclus avec des contreparties basées dans des paradis fiscaux resteraient totalement inaccessibles à toute forme d’investigation.
Limiter le grand ménage aux seules banques ayant pignon sur rue à Wall Street ne résoudrait que la moitié du problème — en étant optimiste. De nombreuses voix, et parmi les plus éminentes, s’élèvent pour réclamer plus de transparence. Mais aux Bermudes ou aux îles Caïman, la seule chose qui soit transparente, c’est l’eau des lagons et les cocktails à base de rhum ou de vodka — après tout, les milliardaires russes ont droit eux aussi à se désaltérer sans renoncer à leurs bonnes habitudes, même à 12 000 km de Moscou.
** Même en imaginant que le contribuable américain, européen ou chinois sauve les pauvres banques de l’Oncle Sam dans le besoin, cela redonnera-t-il un coup de fouet à la consommation outre-Atlantique ? Il est permis d’en douter. Le premier à le faire c’est Ben Bernanke et il l’a encore réaffirmé hier : la toile de fond macroéconomique est des plus sombre.
Il se montre "très inquiet" au sujet des risques de ralentissement de l’activité et de contagion de la crise financière à la sphère économique. Il rejetait encore fermement cette hypothèse un an auparavant ! Il souligne cependant, qu’à sa grande surprise, la contamination se propage très lentement au sein de l’économie réelle — il y en aurait donc une irréelle ? Et il se réjouit de constater que la consommation résiste encore à l’entame du second semestre 2008.
Si les raisons d’un tel miracle lui échappent, vous n’auriez aucun mal à lui rafraîchir la mémoire : aurait-il oublié les 140 milliards de dollars généreusement distribués par le fisc américain au printemps dernier ?
Cet argent a certainement contribué à payer des millions de pleins d’essence (à 4 $ le gallon) et à permettre aux contribuables de ressortir de chez Wal-Mart avec des caddies correctement remplis. Mais cette manne providentielle n’a en rien contribué à soutenir le secteur immobilier qui est pourtant l’origine désignée de tous les maux de l’Amérique.
** Le climat de l’immobilier ne s’est pas réchauffé au mois d’août. Les ventes de logements anciens aux Etats-Unis se sont encore contractées de 2,2%, soit 4,91 millions d’unités négociées, et de 10,7% par rapport au chiffre d’il y a un an.
En Europe également, l’activité dans le secteur immobilier s’effondre avec une chute de 33% en un an en France et de 40% en Espagne. Le moral des chefs d’entreprise suit le mouvement. Les indicateurs économiques publiés hier ont de fait confirmé la déprime des milieux d’affaire allemands avec un indice IFO en deçà des attentes à 92,9 et une confiance des industriels en France au plus bas depuis le début des années 2000 — c’est le plus mauvais chiffre depuis octobre 2003.
** C’est donc très logiquement que Paris aligne une troisième séance de repli consécutive, dans un marché redevenu moins volatile mais également moins actif. 4,5 milliards d’euros ont ainsi été négociés, soit 20% de moins que la veille et avec un chiffre d’affaires inférieur des deux tiers à vendredi dernier.
Le CAC 40 a rebondi à un quart d’heure de la clôture sur le palier des 4 100 points alors qu’il avait, vers 16h30, touché 4 097 points au plus bas. Le repli global s’est trouvé réduit d’un tiers (à -0,61%), une performance très comparable aux places européennes. Elles perdaient 0,65% en moyenne même si Amsterdam lâchait 1,9%.
A Paris, les valeurs bancaires ont ralenti la décrue du CAC 40. Elles ont en effet profité d’une actualité favorable sur Goldman Sachs et Lehman Brothers. Crédit Agricole gagnait ainsi 5,1%, Société Générale 2,5%, BNP Paribas 1,3% et Dexia 0,8%.
A Wall Street, la tendance demeurait indécise à la mi-journée. Le Dow Jones oscillait de 50 points de part et d’autre des 10 850 points et affichait un repli symbolique de 0,2%.
** Les hésitations des indices américains mercredi soir s’expliquaient aisément par l’enquête pour fraude ouverte par le FBI sur les groupes Fannie Mae, Freddie Mac, Lehman Brothers et AIG.
La justice américaine s’intéresse pour l’heure à 26 groupes américains qui ont investi dans des actifs hypothécaires. La liste est susceptible de s’allonger et de s’étendre à d’autres acteurs qui seraient jugés complices de malversations et de tromperie.
La question est de savoir quelle est la part de responsabilité des dirigeants dans ces faillites à répétition… et si des prises de risques excessives n’ont pas été accompagnées de la communication de fausses informations aux marchés
** Les Européens prennent quant à eux leurs distances avec le Trésor US en expliquant qu’il n’est pas nécessaire d’envisager le rachat des actifs pourris pour soulager les banques. Ils estiment en outre que la priorité doit être accordée à l’amélioration de la régulation des marchés et au renforcement des ratios de solvabilité des établissements de crédit.
Joaquin Almunia critique le manque de transparence des institutions bancaires… mais il vaudrait mieux s’interroger sur les moyens de contrôler la nature des flux de capitaux transitant par des entités offshore.
Et cerise sur le gâteau, les agences de notation sont désormais dans le collimateur de Bruxelles. L’honneur restera sauf sur le Vieux Continent car elles sont toutes de nationalité américaine ! Serait-ce une invitation à faire le ménage tous azimuts outre-Atlantique ? C’est ce qu’avait entrepris Elliott Spitzer en 2007, avant d’être contraint à la démission par un scandale sexuel le 13 mars dernier, c’est-à-dire 48 heures seulement avant l’effondrement de Bear Stearns
Philippe Béchade,
Paris