** Les places boursières occidentales semblent se diriger tout droit vers une sixième semaine consécutive de repli — et une septième sur une série de huit. La bourse de Paris en fournit la meilleure illustration : un bilan hebdomadaire redevenu négatif de 0,8% après la chute de 2,5% survenue hier — avec des volumes que nous qualifierons de relativement modestes puisque 5,2 milliards d’euros seulement ont changé de mains, ce qui trahit surtout la capitulation des acheteurs.
Le CAC 40, lanterne rouge parmi les indices phares de l’Euroland, vient d’inscrire une plus basse clôture annuelle ainsi que de tester un nouveau plancher (4 210 points) qui remonte au 25 juillet 2005. Le support des 4 224 points (des 3 et 8 juillet) a été nettement enfoncé en fin d’après-midi, alors que l’indice phare affichait une perte voisine de 3%. Quelques rachats techniques de dernière minute lui ont cependant permis d’en terminer juste au-dessus des 4 230 points.
La perte globale se monte maintenant à 25% depuis le 1er janvier ; ce score semble enfin impressionner la direction de l’information des grandes chaînes nationales. La chute des marchés survenue jeudi 10 juillet arrivait en troisième position dans le sommaire de la "grand’messe" du 20h… juste derrière la passe d’arme de l’après-midi au Parlement européen entre Nicolas Sarkozy et Daniel Cohn-Bendit au sujet de la présence du chef de l’Etat français aux J.O. de Pékin et l’enquête sur les meurtriers présumés de deux jeunes Français à Londres.
Les journalistes du 20h de France 2 ont consacré un sujet de plus de deux minutes à la capitulation boursière en Europe sur fond de crise du système bancaire américain, à la déprime des ménages (leur moral est au plus bas depuis 20 ans) et aux craintes de conflit avec l’Iran — maintes fois évoquées dans nos Chroniques depuis la mi-juin.
Ces trois soucis majeurs engendrent d’importants mouvements de "ventes à tout prix" où le seul impératif est d’accroître le montant des liquidités dans les portefeuilles.
Les indices paneuropéens chutaient jeudi de 1,9% en moyenne. Francfort a tenté de résister avec -1,3% mais le FT 100 a dévissé de 2,2% à Londres.
La Banque d’Angleterre a maintenu son taux directeur inchangé à 5% alors que, selon Halifax, le marché immobilier britannique (prix et activité) chute au rythme le plus rapide observé depuis 20 ans. Les médias économiques anglais somment les autorités monétaires de trouver un moyen d’éviter que la correction prenne une ampleur catastrophique qui déboucherait sur un effondrement de la croissance et de la consommation… sans oublier un lot de nouvelles victimes bancaires d’un syndrome de type Northern Rock, HBOS ou Bradford & Bingley.
** Ils ont quelques bonnes raisons de vouloir prendre les devants car l’exemple des Etats-Unis donne froid dans le dos : le Congres s’inquiète ouvertement de l’avenir de Fannie Mae et Freddie Mac.
Les plus hautes autorités de l’administration américaine et la Fed sont à leur chevet. Ben Bernanke et Henry Paulson conviennent que la situation économique est pour le moins "très tendue"… mais Freddie Mac et Fannie Mae seraient, selon le patron de la Fed, "suffisamment capitalisés".
Nous avons vu Bernanke — car le débat était retransmis en direct sur les chaînes économiques américaines — répondre avec une gêne évidente, le regard se perdant dans le vague, les mains crispées… et la tournure employée était tout sauf empreinte de conviction : "à mon avis, ces institutions seraient [appréciez cette mise au conditionnel] en mesure d’assurer leur mission, la solidarité du gouvernement avec les établissements de crédit est totale [tout comme leur impuissance à régler le problème ?], une bonne partie de leurs créances hypothécaires sont intégralement garanties par l’Etat" — depuis peu, mais elles le sont à hauteur de 200 milliards de dollars, si nos souvenirs sont bons.
Au-delà du débat sur une éventuelle recapitalisation — à la charge du contribuable d’une manière ou d’une autre –, c’est le fonctionnement de tout le marché du crédit immobilier qui est en jeu… et donc la crédibilité de Ben Bernanke et Henry Paulson !
Les réponses parfois évasives de ces deux éminents personnages n’ont pas convaincu Wall Street. Les anticipations de faillite de Fannie Mae et Freddie Mac ne s’estompent pas. Les deux titres ont plongé de respectivement 13,8% et 22% hier soir. Freddie Mac s’effondre même de 50% en une semaine et de 90% en un an, passant de 68 $ à 6,75 $ au plus bas en début de séance.
Les effets psychologique d’une banqueroute de ces deux géants — les montants en jeu dépassent 1 500 milliards de dollars d’encours — seraient comparables à l’effondrement des caisses d’épargne américaines au début des années 1990 puis en 1994.
La crise du l’immobilier américain étant loin d’être terminée, le secteur du crédit a reçu une nouvelle volée de bois vert. Lehman a plongé de 12% (soit -75% depuis le 1er janvier), Washington Mutual de 11% (-62% en sept mois), Wachovia et AIG de 8%.
Mais AIG n’est pas un spécialiste du crédit, c’est le numéro un de l’assurance aux Etats-Unis… que fait-il dans cette liste ? Posez-vous seulement la question de la composition du portefeuille de créances détenu par cet assureur. Fannie Mae et Freddie Mac sont les premiers émetteurs d’obligations du secteur commercial au monde et AIG l’un des plus gros acheteurs de ce type de papier noté triple A… mais pour combien de temps encore ?
** Lorsque la peur de l’avenir s’empare des marchés, alimentée par la diffusion des images du succès des tirs de missiles de croisière par l’armée iranienne, le pétrole fait instantanément figure de valeur refuge, à plus forte raison lorsque la situation géopolitique se tend comme depuis ce 10 juillet. Il a donc bondi de 5% à 142 $.
Le billet vert rechutait symétriquement sous les 1,58 face à l’euro malgré la contraction de 2,6% de la production industrielle en France au mois de mai 2008. Hors énergie et alimentation, l’indice a baissé en mai de 2,5% par rapport à avril après une hausse de 1,7% le mois précédent.
Le dollar est sur la mauvaise pente mais cela ne semble pas inquiéter grand monde — tout du moins, pas sincèrement ! Il y a cependant une heureuse exception, qui s’incarne dans la personne du député du Texas, Ron Paul. Il n’hésite pas à ruer dans les brancards et pointer d’un doigt accusateur Ben Bernanke et Henry Paulson devant la fine fleur des membres de la commission financière du Congrès, peu habitués à ce genre d’éclats.
** C’est l’image du jour et nous allons tenter de vous la résumer. Laissez-nous d’abord vous brosser un rapide portait de Ron Paul, éphémère dernier rival du sénateur McCain à l’investiture du parti républicain en 2008. Original, un franc tireur, il est, à notre connaissance, le seul représentant du parti libertarien du Congrès.
Cet ancien médecin obstétricien est un adepte de thèses économiques très radicales qui renvoient aux conceptions américaines originelles de la libre entreprise — inspirées du discours fondateur de Thomas Jefferson. Il s’était rendu célèbre en février 2006 en prononçant un discours qui marqua les esprits devant la Chambre des représentants. Son titre ? Ah oui, bien sûr… c’était The end of the dollar hegemony ["La fin de l’hégémonie du dollar", ndlr.].
Un des temps forts de son discours fut la démonstration que les derniers projets de guerre ou de coups d’état mis sur pied par les Etats-Unis visaient des pays, hier l’Irak et le Venezuela, à présent l’Iran, qui prônent ou militent aujourd’hui encore en faveur de l’abandon du dollar comme monnaie de règlement des exportations pétrolières !
Mais revenons-en à son intervention du jour, que nous avons pris un grand plaisir à suivre en direct et dans son intégralité car elle ne durait que cinq minutes, soit le temps alloué à chaque membre du Congrès pour poser ses questions au patron de la Fed. Nous vous livrons un petit résumé des meilleurs moments. Ron Paul a attaqué par l’interpellation suivante : "mais qui est en charge du dollar dans ce pays ?".
"Cela fait 10 ans que le dollar perd de son pouvoir d’achat, 10 ans que la banque centrale imprime des billets verts alors que le pays ne produit pas de richesses et s’enferre dans les déficits commerciaux — et ne parlons pas du coût de la guerre en Irak" [Ron Paul est ouvertement pacifiste et opposé aux opérations en cours, NDLR]
"Mais comment en est-on arrivé à des taux à 2% (ou 1% trois ans auparavant) alors que l’inflation réelle avoisine 10% ou 12% pour les ménages [ce sont les chiffres qu’il a cités… ils sont donc bien pires que les nôtres] ? Pourquoi la Fed ne tente-t-elle rien pour endiguer les bulles successives qui éclatent les unes après les autres ?"
Et de répondre dans le même élan "tout cela parce que chaque fois que l’économie menace de ralentir, vous [la Fed] injectez plus d’argent, baissez des taux déjà trop bas, puis vous [la Maison-Blanche, représentée par Henry Paulson, NDLR] réduisez la fiscalité, alors que le budget fédéral est déjà en lourd déficit !"
"Que comptez-vous faire alors que le dollar est au bord du gouffre ? Et vous, Monsieur Paulson, quelle est votre position à ce sujet ?"
L’interpellé a senti qu’il était temps de répliquer de façon puissante, de se fendre d’une réponse de gabarit historique. Il a donc pris son air le plus inspiré, a plaçé la main sur son coeur et a déclaré : "je souhaite un dollar fort". Et d’expliquer qu’il "avait foi dans la capacité des Etats-Unis à se tirer des plus mauvais pas grâce à son extraordinaire capacité d’adaptation aux crises".
Et les crises de rire face à de telles assertions creuses, hors sujet et grandiloquentes, cela se soigne comment, Monsieur Paulson ?
Philippe Béchade,
Paris
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