** Le Dow (+0,77%) et le S&P (+0,35%) ont aligné une septième séance de progression d’affilée… mais cela fait franchement petit joueur par rapport au Nasdaq qui a inscrit une dixième hausse consécutive.
Cela signifie que les investisseurs respireraient de l’azote depuis 63 heures de cotations placées sous le régime univoque de la hausse — et cela sans jamais éprouver de maux de tête, ni un phénomène de saturation ou de fatigue nerveuse.
C’est évidemment impossible pour un organisme et un cerveau humain. Ces limites sont toutefois transcendées par la magie et la puissance des outils informatiques (logiciels de trading automatisés) qui systématisent les mouvements de hausse et parviennent à les étirer sur des laps de temps de plus en plus longs.
Chaque record battu constitue un nouveau triomphe pour les champions des algorithmes : c’est une démonstration éclatante de la supériorité de la machine sur l’homme (ah, le pauvre petit être humain et ses humeurs changeantes)… mais nous ne sommes pas certains que les investisseurs y gagnent au change.
En ce qui concerne la transparence des opérations qui mènent aux résultats plutôt singuliers que nous constatons, n’y songez même plus. Les autorités de surveillance de Wall Street viennent de décider que certains intervenants — les plus actifs sur le marché naturellement — ne seront plus tenus de dévoiler le détail des leurs dizaines de milliers de transactions quotidiennes.
De toutes façons, il y a de quoi s’y perdre… Et nul n’oserait soupçonner ceux qui jouent avec l’argent prêté par les contribuables (les fonds TARP) de manipuler les cours des actions ou des matières premières — alors qu’ils sont encore tout honteux d’avoir ruiné le système financier en spéculant sur des dérivés de créances pourries avec la même inconséquence que s’il s’agissait de billets de Monopoly.
** En ce qui concerne la valeur boursière d’une entreprise… elle correspond d’abord à un cours, et la théorie prétend que "tout est dans le cours".
Nous sommes parfaitement d’accord. Nous y trouvons la litanie des avis d’analystes qui sont haussiers lorsqu’un titre monte et d’un pessimisme noir lorsque les marchés reculent… des rumeurs souvent fallacieuses qui entretiennent des fluctuations artificielles le temps de réaliser de fructueux allers-retours… et des stratégies d’arbitrage incompréhensibles pour le commun des mortels, qui postulent que l’on ne saurait détenir A sans vendre B, fusse-t-il également de grande qualité.
Autrement dit, il y un pourcentage impressionnant d’erreur et de fausseté dans la fixation du prix d’un actif. Dans ce cas, pourquoi ne pas marginaliser la composante "subjectivité" et la remplacer par "l’objectivité quantique" ? Ce serait plus équitable pour tout le monde, non ? Le seul problème, c’est que la frontière est très ténue entre la maîtrise mathématique du hasard et la manipulation de cours pure et simple.
** Aujourd’hui, une majorité d’analystes techniques écarquillent les yeux devant l’un des plus spectaculaires exemples de tendance en ligne (hausse continue, gérée par des logiciels qui régulent les mouvements directionnels) de la décennie.
Pour ceux qui nourrissaient encore quelques doutes, le comportement robotique du marché prouve de façon éclatante qu’il n’existe plus aucun contre-pouvoir réel face aux machines.
Les programmes de trading automatisés règlent avec une précision de géomètre l’angle de progression du canal ascendant. Une fois verrouillé le rythme de la hausse du sous-jacent (actions, indices, matières premières), un champ d’opportunités infinies s’ouvre aux opérateurs. Ils peuvent arbitrer en temps réel sur l’ensemble des catégories de dérivés : options, warrants, CFD, contrats sur indices.
L’effondrement de la volatilité consécutif à la disparition de toute correction technique — là encore, un phénomène qui démontre que toute trace de psychologie humaine est impitoyablement gommée par les ordinateurs — tendrait à démontrer que les opérateurs affichent une confiance absolue dans un contexte où cours de Bourse et conjoncture sont totalement déconnectés.
Et le grand public applaudit cette aubaine qui dépasse son entendement… en s’imaginant que le marché manifeste ainsi sa foi dans la reprise économique.
** Lui qui n’avait pas misé un centime sous les 2 900 points sur le CAC 40 en mars dernier pourrait bien se laisser tenter en cas de franchissement confirmé des 3 300 points, histoire de ne pas acheter au plus haut à 3 400 points !
Le passage à l’acte pourrait être encouragé par une série de trimestriels meilleurs que prévus. Les bonnes surprises sont devenues tellement systématique que certains observateurs soupçonnent que les anticipations des analystes dévoilées aux médias avaient été volontairement minorées.
Ceci permet de compenser une autre réalité moins souriante : l’effondrement des chiffres d’affaires… Mais là encore, on assiste à une succession de "c’est moins pire que prévu".
Si les chiffres sont mauvais, il a toujours un lot de consolation, comme de très bonnes surprises au niveau des projections pour le second semestre — il ne coûte rien de voir l’avenir en rose…
Caterpillar a par exemple relevé ses prévisions de bénéfices pour l’ensemble de l’exercice 2009. Cela détourne l’attention de la chute de 66% du profit net, qui s’établit à 371 millions de dollars sur le trimestre écoulé, contre 1,10 milliard de dollars un an plus tôt.
La ruse a fonctionné : le titre a bondi de 7,7% car le marché n’a retenu que l’anticipation d’une embellie malgré "un grand degré d’incertitude dans le monde actuel", selon les propres termes du PDG.
Le numéro un des spécialités chimiques américain DuPont voit son bénéfice net plonger de 61% et son chiffre d’affaires reculer de 24% à sept milliards de dollars. Mais avec la prise en compte d’éléments exceptionnels, le profit par action ressort à 61 cents, contre 53 cents anticipés… d’où le sentiment que DuPont fait "mieux que prévu" ; son concurrent Rhodia s’envolait d’ailleurs mardi soir de 8,5% à Paris.
** Les commentateurs ne voient plus ce qui serait susceptible de ramener Wall Street à la dure réalité de la récession, des pertes d’emplois, des baisses de salaire (les journalistes du quotidien Boston Globe viennent d’accepter une réduction de 6% de leur salaire et le non paiement de toute journée de chômage technique).
Imaginez le désastre économique qui pourrait résulter de l’instauration d’une spirale baissière sur les salaires de type tendance en ligne aux Etats-Unis et en Europe !
Et surtout… dans quel sens pensez-vous que les logiciels quantiques orienteront le marché lorsque l’effondrement de la consommation et de l’immobilier commercial commencera à provoquer des dommages économiques menaçant de devenir trop visibles ?
Philippe Béchade,
Paris