▪ Soit la naïveté des analystes est confondante… Soit ils alimentent en toute connaissance de cause une hausse boursière factice destinée à endormir l’opinion alors que de nouveaux risques de krach boursier et monétaire menacent directement le système financier américain.
Voilà que les sherpas de Wall Street s’enthousiasment soudain pour les résultats « en amélioration » de Citigroup. Certes, la banque fait état de quelques progrès à l’international (elle surfe sur la croissance des émergents en Amérique du Sud)… Mais l’essentiel de l’embellie de son haut de bilan (2,2 milliards de profits) provient d’une réduction spectaculaire (-2 milliards de dollars) du montant des provisions pour « pertes sur crédits ».
Personne ne remet en cause cette évaluation hédoniste de sa situation comptable. Pourtant, elle lui permet de faire des centaines de millions d’économies sans avoir à consentir d’autres efforts que celui d’arborer un large sourire devant les journalistes venus recueillir la bonne parole.
Imaginez un garagiste — et nous ne stigmatisons pas cette profession — qui déclarerait que la carcasse de sa Bentley, victime d’un carambolage à l’automne 2008, vaut 100 000 euros alors que toutes les pièces nécessaires à sa réparation n’ont pas encore été réunies.
L’épave avait été estimée à 15 000 euros l’année dernière — presque au poids de la ferraille, plus quelques pièces moteur encore intactes. Mais cette année, la voici comptabilisée unilatéralement pour 100 000 euros ; le lecteur du bilan du garagiste en question en déduira que la Bentley est prête à reprendre la route… mais pour l’instant, elle continue de rouiller au fond de l’atelier.
Il en coûtera probablement 100 000 euros pour la retaper — et le garagiste peut seulement prier pour qu’un amateur s’engage à l’acheter un beau jour 115 000 euros. Cependant, cela suppose que la cote des Bentley ne s’effondre pas dans l’intervalle parce que les Chinois viennent d’en fabriquer une copie quasi-conforme vendue au prix d’une petite berline familiale allemande (et nous n’avons pas choisi cette allégorie par hasard !).
▪ L’annonce de Citigroup permet opportunément d’occulter un scandale majeur qui risque de carboniser les profits des plus grandes banques américaines pour de nombreux trimestres. Il s’agit de la fabrication à la chaîne de faux dossiers de crédit immobilier hypothécaires — y compris par le biais de faux en écriture à grande échelle.
Ils étaient enregistrés par le biais d’un programme informatique baptisé « MERS », et mis sur pied dès 1997 par les deux organismes parapublics bien connus : Freddie Mac et Fannie Mae.
Ce système informatisé permettant de lister sans plus de formalités les achats et ventes d’hypothèques conclues à la chaîne par les établissements de crédit (dont Countrywide, racheté en catastrophe par Bank of America) est en quelque sorte « réversible ». Il permet en effet d’automatiser les procédures de saisies immobilières en cas de défaut de remboursement d’emprunteurs impécunieux.
Une robotisation des foreclosures (saisies immobilières), souvent suivies de procédures d’expropriation, a fait surgir un certain nombre de conflits entre les créanciers eux-mêmes, dans le cadre de prêts conclus auprès d’émetteurs multiples. C’est une véritable mine d’or pour les avocats.
Mais cela pourrait également le devenir pour tout emprunteur qui pourrait démontrer que son dossier de crédit a été falsifié à son insu (la fraude pourrait porter sur des centaines de milliers de dossiers)… ou que les procédures d’expulsion — pas moins de 100 000 rien qu’au mois de septembre, record toutes catégories en la matière depuis fin 2007 — sont entachées d’irrégularités.
Sur 3,5 millions de logements confisqués à leurs propriétaires, combien font l’objet de défauts de procédure ? Le chiffre total pourrait donner le vertige !
▪ Comme le New York Times l’a mis en lumière, Bank of America, Ally et JP Morgan ont déjà reconnu que des saisies et des expulsions avaient été menées sans que les dossiers aient été correctement vérifiés.
La totalité des 50 états américains s’apprêtent à soutenir une enquête parlementaire qui pourrait être bientôt qualifiée de « Foreclosure Gate« . Le ministre de la Justice US, Eric Holder, a ainsi annoncé qu’il allait se faire communiquer les preuves de signatures en chaîne — sans lecture — des dossiers immobiliers et d’irrégularité des ordres d’expropriations.
Les organisations de défense des consommateurs réclament un moratoire sur les saisies en attendant la fin de ces enquêtes. JP Morgan y a déjà répondu favorablement et d’autres banques devraient suivre. Cependant, Barack Obama refuse d’imposer un moratoire national au motif que cela pourrait paralyser la reprise du marché immobilier (le temps d’évaluer les pertes potentielles et les enjeux juridiques pour les banques) — et donc la reprise de l’économie américaine.
▪ Pendant que le scandale enfle, que la Fed rachète les émissions du Trésor américain (6,5 milliards de dollars ce lundi) et monétise sans vergogne la dette au détriment des possesseurs de dollars, Wall Street poursuit imperturbablement sa hausse amorcée il y a de cela sept semaines.
Le Nasdaq a entamé la semaine sur une note positive. L’indice cumule plus de 17% de gain en ligne droite depuis le 31 août, sans aucune correction intermédiaire — même pas un seul pullback technique symbolique d’une amplitude supérieure à 1,5%.
Cette « obnubilation haussière » témoigne là aussi d’une robotisation des échanges et de l’éradication impitoyable de toute forme de psychologie. Le moindre accroc baissier dans la tendance pourrait provoquer une vague de dégagements incoercibles, tant la majorité des opérateurs a bien conscience que les indices progressent pour de mauvaises raisons.
C’est le fameux paradoxe de l’ambulance : les marchés se mettent à grimper lorsqu’ils aperçoivent le gyrophare… Ils s’envolent si les infirmiers sortent le matériel de réanimation et préparent les seringues d’adrénaline… Mais ils rechutent aussitôt si jamais ils voient le patient refuser les perfusions et en ressortir sur ses deux pieds.
Les places européennes se montrent un peu plus méfiantes depuis un mois. L’Eurotop 100 n’a pas encore renoué avec ses sommets du 20 septembre dernier. L’indice DAX 30 pulvérise en revanche ses sommets annuels (+2,9% la semaine passée, +0,4% ce lundi) comme s’il surfait lui aussi sur la chute du billet vert.
▪ Le parcours de la bourse de Francfort présente en fait de troublantes similitudes avec celui de la bourse de Shanghai, le baromètre de la santé du principal partenaire de l’Allemagne dans les pays émergents.
La bulle immobilière menace d’exploser à tout moment en Chine, pour cause d’excès de crédit en général et de corruption des gouvernements régionaux. Ces derniers se sont jetés à corps perdu dans la spéculation et la cavalerie financière (avec les promoteurs et les banques pour complices) afin de doper artificiellement la croissance dans les métropoles industrielles, tout en accroissant spectaculairement les inégalités.
Ils pourraient à leur tour se retrouver, comme les banques américaines, embarqués pour un interminable et angoissant périple de 20 000 lieues sous les « MERS ».