Retour sur le cas de la Grèce et des mécanismes de sauvetage mis en place lors de la crise de 2010… et ce qu’ils peuvent nous enseigner pour la situation actuelle.
Face à la crise du Covid-19, la Zone euro risque la déstabilisation. Nous avons vu hier que les autorités se mobilisent – à commencer par une nouvelle itération du Mécanisme européen de stabilité (MES).
Ce n’est pas tout ce qu’elles ont dans leur arsenal, cependant…
Des dispositifs de sauvetage supplémentaires mis en place par d’autres institutions européennes
Au-delà du MES, l’accord du 9 avril dernier sollicite d’autres institutions. Lors de cette réunion de l’Eurogroupe, un certain nombre de décisions de financement ont été actées.
Ainsi, la Banque européenne d’investissement (BEI) portera à 200 Mds€ ses moyens d’intervention en faveur des PME européennes.
Certes, la situation est urgente, mais ceci ne doit pas exonérer de s’interroger sur les modalités de renforcement de la capacité de prêts de la BEI. Il s’agira de faire appel à ses actionnaires pour qu’ils augmentent leurs contributions.
Oui mais voilà : les actionnaires sont les Etats de l’Union européenne.
Aussi absurde que cela puisse paraître, nous vivons en permanence dans cette finance de crise : les malades que sont les Etats sont pris en charge par un médecin (une banque centrale ou une institution supranationale), lui-même soigné par le malade qu’il cherche à guérir.
Depuis le Brexit, la BEI a vu son nombre d’actionnaires passer de 28 à 27 membres de l’Union européenne (UE). Les actionnaires les plus significatifs sont l’Allemagne, la France et l’Italie (18,7% chacun, soit autour de 46,7 Mds€ puisque le capital souscrit total est de 248,8 Mds€, dont 21 Mds€ de capital effectivement versé et 227,8 Mds€ de capital libérable ou appelable).
Cet actionnariat souverain ainsi que l’importance du capital libérable expliquent que les obligations émises par la BEI bénéficient de la meilleure notation possible par les agences, AAA.
La force de frappe en matière de financement de cette institution reste considérable. Même si l’on imposait à la BEI de respecter une norme de solvabilité à 12% (ce qui est tout à fait théorique puisque cette institution n’est pas une banque de « droit commun » et, en plus, serait une norme très contraignante), cela signifierait que les encours d’engagements sur des entreprises pourraient monter jusqu’à près de 1 900 Mds€ (capital libérable divisé par 12%).
Les solutions structurelles déjà évoquées il y a 10 ans ne sont toujours pas activées
Il y a 8-10 ans, les autorités politiques et monétaires européennes évoquaient déjà un certain nombre de dispositifs (et nous écrivions alors sur ces sujets à l’époque) plus performants et plus structurants que les solutions MES-BEI-UE – certes utiles mais financièrement limités à la capacité de ces institutions à lever de la dette sur les marchés financiers.
Parmi ces dispositifs, on peut évoquer de nouveau la création d’un fonds monétaire européen ou la mise en place des fameuses émissions mutualisées de dette commune à l’ensemble des pays de la Zone euro : ce que l’on appelait hier les Eurobonds et que l’on appelle de manière un peu cavalière aujourd’hui les Coronabonds.
On peut imaginer que si ces solutions n’ont jamais vu le jour, c’est qu’elles sont politiquement très compliquées à mettre en place.
Les avantages d’un fonds monétaire européen
La création d’un fonds monétaire européen modèle FMI à ressources monétaires et non empruntées disposerait de capacités de financement impressionnantes :
Soit il s’agit de quotes-parts d’Etats à l’image du fonctionnement du FMI…
… Soit il s‘agit de création monétaire ex-nihilo alimentée par la banque centrale – donc par définition sans « limites », mais il s’agit-là d’une évolution peu réaliste. De toute façon, la BCE fait déjà tellement en termes d’impression de monnaie.
On sait que le FESF (Fonds européen de stabilité financière) puis le MES sont des véhicules qui disposent de garanties apportées par les Etats membres de la Zone euro et qui interviennent dans le financement des plans de sauvetage grâce à des ressources empruntées sur les marchés et donc dépendent (même si leur notation est bonne) de l’environnement des marchés financiers.
Au contraire, un fonds monétaire type FMI dispose de ressources qui ne dépendent pas des émissions réalisées sur les marchés. Ceci dit, la création d’un fonds monétaire européen est difficile car elle amputerait nombre de pouvoirs et prérogatives de l’actuel FMI…
Rappelons que chaque pays dispose au FMI, en fonction de son poids économique, de ce que l’on appelle les droits de tirage spéciaux (DTS). Ces droits ne sont pas vraiment nouveaux. Ils ont été créés par le FMI en 1969 pour jouer un rôle de réserves de change additionnelles pour les Etats.
Le cas de la Grèce
En 2010, lors du déclenchement de la crise des dettes souveraines, l’Allemagne disposait de 13 Mds$ de DTS, la France de 10,7 Mds$… Pour l’ensemble de la Zone euro, ce montant s’élevait à 50,4 Mds$ de DTS (soit avec une parité à l’époque autour de 1,15 € pour 1 DTS, un total de 58 Mds €).
Cette capacité de financement fut d’ailleurs utilisée durant la crise des dettes souveraines en Zone euro au début de la décennie 2010. Dès le mois de mai 2010, un premier plan de sauvetage de la Grèce sera mis en place :
– création d’un fonds de stabilisation de 750 Mds€ : 60 Mds€ apportés par l’Union européenne, 440 Mds€ apportés par les Etats et justement 250 Mds$ apportés par le FMI ;
– un plan de soutien spécifique pour la Grèce composé de 80 Mds€ de prêts bilatéraux des Etats de la Zone euro [et de 30 Mds€ de prêts accordés par le FMI.
A quoi ont correspondu les aides de 280 Mds € de la part du FMI (dont 30 destinés immédiatement aux finances grecques) ? Jusqu’alors, il existait une règle qui fixait la « limite » de financement à 10 fois les quotes-parts.
Cela signifiait donc que l’ensemble de la zone avait théoriquement la capacité de lever jusqu’à 580 Mds€… Il faut interpréter sans doute ces 280 Mds€ comme une partie de cette capacité.
Autant dire que, sans que l’on en ait trop parlé à l’époque, il y avait déjà une forme de mutualisation des plans de sauvetage des pays les plus fragiles de la Zone euro, puisqu’en 2011, des pays comme le Portugal et l’Irlande bénéficieront des plans d’assistance du FMI (en plus du FESF).
La solution des Eurobonds ou l’impossible fédéralisme fiscal
Il est vrai que la mutualisation qui intéresse les marchés financiers et nombre de responsables politiques (plutôt en Europe du sud, France comprise) est celle des dettes nationales (ou en tout cas d’une partie d’entre elles). Cela serait accompagné de programmes d’émissions d’Eurobonds et de la mise en place d’un début de fédéralisme fiscal (budget commun et levée d’impôts communes).
L’idée est simple sur le papier : la Zone euro est solvable prise dans sa globalité – ce qui n’est pas forcément le cas de certains Etats pris isolément dans un contexte de remontée des taux. Par conséquent, créer une agence européenne en charge des émissions pour les besoins de refinancement de l’ensemble des pays de la zone en lieu et place des émetteurs nationaux casserait définitivement les risques de spéculation sur des dettes publiques « périphériques ».
Cette idée a toujours été rejetée parmi les pays à excédents budgétaires que sont l’Allemagne et les Pays-Bas.
Aujourd’hui encore, en pleine crise du coronavirus, ces pays résistent à cette idée pour plusieurs raisons qui se justifient : la notation des Eurobonds serait plus basse que celle du Bund allemand et, partant, le taux d’intérêt plus élevé. On assisterait également à un nivellement par le bas avec un relâchement des disciplines budgétaire et fiscale en Zone euro post-crise du coronavirus.
Les messages politiques en France et en Italie qui parlent de l’égoïsme national des allemands et hollandais sont absolument insupportables. Les gouvernements français et italien devraient reconnaître la chance qu’ils ont de voir une partie de plus en plus importante de leur dette publique rachetée systématiquement par la création monétaire de la BCE – de façon certaine pour les déficits publics conjoncturels en forte hausse en 2020 et peut-être même au-delà.