De puissants biais inflationnistes se propagent dans toute l’économie, contrairement à tout ce qui s’est passé depuis des décennies. La Fed ne semble cependant pas prête à les combattre.
Les autorités ont été forcées pour des raisons politiques de faire quelque chose contre l’inflation, elles ont tenu le grand discours de la rigueur au niveau public, au niveau des conditions financières perçues du marché. Mais, en parallèle, elles ont encouragé le laxisme des conditions financières au niveau de l’autre segment, celui des conditions financières réelles, le segment bancaire !
Plus de crédits, plus de monnaie
Pour remettre les choses en perspective, voici quelques chiffres qu’il faut avoir en tête :
La croissance des prêts a été en moyenne de 363 Mds$ par an sur la période de 2000 à 2019. Au cours du seul deuxième trimestre 2022, les prêts bancaires ont augmenté à un taux fulgurant de 17,3%. Pour l’année écoulée, ces prêts ont augmenté de 10,5%. En ne comptant que la première moitié de l’année, la croissance des prêts en 2022 (721 Mds$) a déjà dépassé le record de 685 Mds$ de 2005.
Les « crédits à la consommation » ont augmenté des 281 Mds$ au cours des quatre derniers trimestres, soit 12,7 %, dépassant le record annuel de 2010 de 269 Mds$. La croissance annuelle a atteint en moyenne 77 Mds$ de 2000 à 2019. Les prêts hypothécaires bancaires ont augmenté de 222 Mds$, ou 14,9% en rythme annualisé, dépassant le précédent record trimestriel de 156 Mds$, datant du deuxième trimestre 2004. Les prêts hypothécaires bancaires ont augmenté de 417 Mds$, ou 7,3%, au cours de l’année écoulée.
Le boom des GSE (entreprises parrainées par le gouvernement) se poursuit aussi sans relâche. Les obligations émises par ces entreprises ont augmenté de 269 Mds$ au cours du trimestre, soit 9,8% en rythme annualisé, pour atteindre un record de 11 195 Mds$. Il convient de noter que la plus forte croissance annuelle de ces titres au cours de la période 2009 à 2019 était de 317 Mds$, en 2019.
Pourtant, en parallèle, les émissions de bons du Trésor ont chuté de façon spectaculaire, à seulement 34 Mds$ au cours du deuxième trimestre – atteignant tout de même un nouveau record de 26 051 Mds$ au total.
Du côté des entreprises, il n’est pas surprenant, compte tenu du contexte de marché, que la croissance des obligations d’entreprise ait été modérée. Les 54 Mds$ supplémentaires du T2 ont tout de même inversé la contraction de 28 Mds$ du T1. Sur un an, ces obligations ont augmenté de 370 Mds$, ou 2,5%.
L’effet repo
Les « repo » (les rachats de titre à très court terme par la Fed, en théorie pour fournir des liquidités aux banques dans l’urgence) ont bondi de 30% en rythme annualisé. Dans le sens inverse, les passifs « reverse repo » de la Réserve fédérale ont bondi de 448 Mds$, avec une croissance sur un an de 135%. Depuis juin, ils dépassent les 2 Mds$ chaque jour.
Pour mettre en perspective l’énorme croissance de ces « reverse repo », il faut tenir compte de la baisse correspondante des réserves du système bancaire détenues à la Fed. Les « réserves des institutions de dépôt » de la Fed ont ainsi chuté de 642 Mds$ au cours du trimestre.
Lorsque la Fed achète des titres (c’est-à-dire qu’elle fait du QE), elle paie ces transactions en émettant des « fonds immédiatement disponibles » – ou « reconnaissances de dette » de la Fed – qui circulent dans le système bancaire, où ces fonds deviennent des réserves détenues par la Fed. Les phases de QE successives ont inondé le système bancaire de fonds/réserves.
Avec l’introduction de son « reverse repo », la Fed a essentiellement créé une nouvelle reconnaissance de dette qui circulerait en dehors du système bancaire. Plutôt que de traiter les liquidités de la Fed via le système bancaire (où elles sont devenues des réserves bancaires supplémentaires), les entreprises de Wall Street, les fonds du marché monétaire et les GSE pourraient simplement échanger des fonds immédiatement disponibles contre le « reverse repo » de la Réserve fédérale.
Le bilan de la Fed diminue à peine
C’est essentiellement la Fed qui échange une reconnaissance de dette contre une autre. Sur trois trimestres, le « reverse repo » a augmenté de 725 Mds$, tandis que les « réserves des institutions de dépôt » se sont contractées de 904 Mds$.
Le total des passifs de la Fed a tout de même diminué de 43 Mds$ au cours du deuxième trimestre pour atteindre 8 918 Mds$. Mais, sur un an ce passif a augmenté de 830 Mds$, ou 10,3%. Dans l’une des inflations monétaires les plus spectaculaires de l’histoire, les passifs de la Fed ont bondi d’un montant sans précédent de 4 700 Mds$, ou 111%, au cours des 10 derniers trimestres.
Si le bilan de la Fed baisse à peine, ce n’est pas le cas de la valeur nette des ménages, qui a diminué de 6 100 Mds$ au cours du deuxième trimestre pour s’établir à 143 763 Mds$.
Et tandis que la valeur nette a été touchée par la chute des cours boursiers, il convient de noter que les avoirs immobiliers des ménages ont gonflé 1 422 Mds$ au cours du trimestre, pour atteindre un record de 45 531 Mds$.
Malgré des poches de faiblesse dans le financement, l’inflation des crédits se poursuit sans relâche. Sur une base désaisonnalisée et annualisée (SAAR), la dette non financière a augmenté à un rythme de 4 316 Mds$ au cours du deuxième trimestre. C’est plus du double de la moyenne annuelle de 1,846 Mds$ pour la décennie 2010 à 2019, et le record de 2020, de 6 796 Mds$, devrait être battu.
Fini le bricolage
En somme, il existe de puissants biais inflationnistes qui se propagent dans toute l’économie – contrairement à tout ce qui s’est passé depuis des décennies. Il est important de noter que les marchés des valeurs mobilières ne dominent plus complètement et ne dictent plus les conditions financières du système.
Les prêts et le crédit bancaire sont devenus de puissants moteurs de la croissance du crédit, ainsi que les dépenses déficitaires en cours et les GSE expansionnistes.
Alors qu’ils préfèrent ne pas évoquer la croissance du crédit, les responsables de la Fed connaissent sans aucun doute ces chiffres. Ils doivent également savoir que l’inflation ne reviendra pas vers leur objectif de 2% tant qu’ils n’auront pas orchestré un ralentissement marqué du crédit (avec une myriade de conséquences négatives).
Ils ont été forcés d’abandonner l’idée que bricoler avec les conditions financières du marché ferait l’affaire. Maintenant, la Fed se diriger vers avec un cycle de resserrement majeur jusqu’à ce que quelque chose fonctionne. Et entre l’état des comptes financiers des Etats-Unis et la récente dynamique spéculative du marché, il n’y a certainement aucune raison de revenir sur l’idée que « ils augmenteront les taux jusqu’à ce que quelque chose casse ».
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]