** Les investisseurs semblent paniquer à l’idée que la croissance aux Etats-Unis pourrait se contracter en 2008. L’opérateur AT&T (-2,5% ce mercredi) perçoit des « signes de faiblesse » du côté de la demande aussi bien des consommateurs que des entreprises ; Virgin Media, quant à elle (-8%), ne se montre pas plus rassurante sur la conjoncture dans le secteur des télécoms au cours des mois à venir.
Les titres des compartiments « biens de consommation » et « distribution » continuent de dévisser alors que les ventes durant la période des fêtes de fin d’année prennent à contre-pied les anticipations optimistes formulées lors du rush de Thanksgiving.
Les chiffres annoncés par Amazon et les perspectives plus incertaines concernant 2008 font plonger le n°1 mondial des ventes en ligne de 7,5%. Par ailleurs, les profit warning se sont multipliés ces derniers jours : à la Bourse de Londres, le titre Marks&Spencer dégringolait de 18,5% après avoir fait état d’une baisse de 2,2% de ses ventes au troisième trimestre. Au Danemark, l’action du fabricant de hi-fi haut de gamme Bang&Olufsen plongeait de 21%.
La concurrence des pays asiatiques dans le secteur des écrans plats est impitoyable. Les fabricants coréens ou chinois accomplissent des progrès spectaculaires dans le domaine du design futuriste et épuré, une spécialité jusqu’alors plutôt nordique. De surcroît, la technologie LCD tend à s’imposer progressivement face à la technologie plasma, y compris dans les grands formats : Bang&Olufsen va devoir s’adapter au plus vite.
** En ce qui concerne plus généralement la croissance et la consommation au sens large, le soudain réveil des consciences parmi les analystes les plus influents de Wall Street nous étonne. Les stratèges de Goldman Sachs s’attendent désormais à ce que l’économie américaine entre en récession en 2008, contaminant directement l’Europe, où un ralentissement significatif de l’activité est anticipé au premier semestre 2008.
L’étude de Goldman met l’accent sur la crise actuelle du crédit, laquelle renforce les craintes « quant à un impact de la conjoncture sur les résultats des entreprise, indépendamment de la santé relativement bonne de leur bilan » (dont rien ne garantit qu’ils ne se dégraderont pas rapidement en cas de retournement de cycle).
Un de ses baromètres de la confiance des investisseurs indique que l’appétit pour le risque atteint des niveaux aussi faibles que ceux observés lors de la récession de 2002.
Concernant l’Europe, les stratèges de Goldman évaluent entre 30% et 40% la probabilité d’un atterrissage brutal (hard landing) de l’économie dans l’Union européenne cette année. Selon eux, l’indice DJ-Stoxx 50 devrait encore reculer de 16% pour totalement intégrer un tel scénario — ce qui signifie un repli global voisin de 20% des indices européens en 2008.
** Les marchés semblent soudain ouvrir les yeux… à moins que la chute des indices — le Nasdaq aligne une dixième séance de repli consécutif et plonge sous les 2 420 points — ne les amène à induire que la situation est beaucoup plus sérieuse qu’ils se plaisaient à l’imaginer 10 jours auparavant lorsque le Dow Jones caracolait à proximité des 14 000 tandis que le S&P 500 flirtait encore avec les 1 500 points (le 26 décembre dernier).
Nous avons du mal à croire que les gérants les plus « visionnaires » aient fait preuve de tant d’angélisme, négligeant cet automne une succession de signaux économiques alarmants (crise immobilière, recul de la production industrielle, des créations d’emploi, du taux de retour sur chaque dollar investi…) — sans oublier les commentaires prudents de nombreux chefs d’entreprise cet automne à propos des perspectives à six ou neuf mois aux Etats-Unis.
Avec les interventions à répétition de la Fed, Wall Street a pu surfer à outrance, depuis la mi-août, sur l’effet psychologique des anticipations de détente des taux. Les entrées au capital des banques américaines orchestrées par des fonds souverains étrangers ont pu convaincre les épargnants que le système financier, alors aux abois, échapperait sans doute au credit crunch, dans la mesure où les liquidités demeuraient abondantes à l’échelon international.
Il fallait également exclure des calculs l’urgence dans laquelle se trouvent les détenteurs de dollars à s’en défaire ou à les transformer en quelque chose d’utile et de tangible.
Il est par ailleurs assez troublant d’observer le raffermissement du dollar à 1,4650/euro alors même que le Dow Jones perdait ce mercredi près de 100 points à la mi-séance, à 12 500 points. Mais que sont devenues les anticipations de baisse des taux dans l’urgence… alors que Wall Street se retrouve en bien plus mauvaise posture que la veille ou l’avant-veille ?
** Cette hypothèse a été complètement évacuée sur les places européennes mercredi : le CAC 40 abandonnait 1,1% dans de copieux volumes d’échanges supérieurs à 7,8 milliards d’euros ; Paris inscrivait sa plus mauvaise clôture annuelle.
A 5 435 points, l’indice phare s’appuyait très précisément sur un important support oblique moyen ou long terme unissant tous les plus bas depuis avril 2005.
Le plancher annuel des 5 420 points a par ailleurs été testé par deux fois ce mercredi, peu après l’ouverture puis en début d’après-midi. De nombreuses vedettes du marché parisien enfoncent des planchers datant de l’été ou de mars 2007 (Michelin, Cap Gemini, Air France, Accor, PPR perdaient entre 5,3% et 6,1%).
Mais ce sont les valeurs moyennes qui payaient à nouveau le plus lourd tribut à cette nouvelle journée de repli puisque le SBF 80 dévisse de pas moins de 2,3% (soit -8,6% depuis le 1er janvier). En Allemagne, l’indice des technologiques a plongé de 3,6% et accuse une baisse de 8% depuis le 1er janvier, dans le sillage du Nasdaq 100. Ce dernier enfonce à présent le seuil des 1 900 points, après celui des 2 000 une semaine auparavant.
** Au-delà des explications macro- ou micro-économiques, la montée en puissance du candidat Barack Obama dans les sondages (même si Hillary Clinton remporte de justesse la primaire du New Hampshire) pourrait également déstabiliser les milieux d’affaire.
L’ex-First Lady fait figure de « moindre mal » aux yeux des ultra-libéraux et des néo-conservateurs : souvenons-nous que lors d’un récent meeting à Des Moines, dans l’Iowa, Barack Obama fustigeait ces patrons et ces brasseurs d’argent qui gagnent en 10 minutes ce que leurs propres salariés gagnent en un mois… voire parfois en un an si l’on tient compte des bonus distribués par certaines firmes cotées à Wall Street.
Il existe maintenant une autre source d’inquiétude, d’ordre géopolitique : les principaux médias US montent en épingle, sur injonction du Pentagone et de la Maison-Blanche, les « provocations » de vedettes rapides iraniennes dans le Golfe persique (certains communiqués officiels les qualifient même de harcèlement). Le petit jeu de la guerre des nerfs est pourtant une pratique courante dans cette zone depuis le début de des opérations militaires en Irak — et la disproportion des forces en présence rend presque comique la posture de victime de la marine américaine.
Il y a aussi eu la singulière « divulgation » (une fuite organisée, en réalité) du déplacement des ogives nucléaires tactiques américaines vers certains ports militaires de la côte est — qui servent de base de départ aux navires se rendant dans la zone stratégique du Proche-Orient). Il est désormais permis de s’interroger — alors que George W. Bush est en visite en Israël — sur la volonté manifeste de la Maison-Blanche de justifier une escalade des tensions et des mesures de rétorsion à l’encontre de l’Iran.
La flambée de l’or (+10% depuis Noël) pourrait d’ailleurs bien y puiser sa source, plutôt que dans les anticipations inflationnistes qui sont le plus souvent évoquées dans les salles de marché.
Wall Street serait-il victime de harcèlement… et de la peur du changement ?
Philippe Béchade,
Paris