Les banques, comparativement à la crise de 2008, sont aujourd’hui financièrement plus solides, mais doivent faire face à de nombreux défis et une baisse de leur rentabilité.
Quoi qu’il en soit, fondamentalement, les facteurs qui inquiétaient en 2008 étaient des facteurs de nature à remettre en cause l’existence d’une banque (liquidité et solvabilité), d’où les bail-in, ou sauvetages publics et parapublics.
Aujourd’hui, la solidité financière des banques en général est devenue beaucoup plus forte : hausse des fonds propres exigée par la réglementation (coussins de fonds propres, ratio de levier, nouveau ratio de solvabilité plus contraignant).
Par contre, les banques font face avec plus ou moins de brio à une remise en cause de leur business model, et à une baisse de leur profitabilité pour diverses raisons. Ce n’est pas la réglementation bancaire qui pourra résoudre ces problèmes (raison supplémentaire pour ne pas rejouer des scénarios de crise systémique bancaire).
On peut donc penser que pour le régulateur, pour un créancier obligataire de long terme ou pour un déposant, les banques ne devraient pas les empêcher de dormir. Par contre, les actionnaires de banques devraient désormais intégrer un nouveau paradigme : une baisse de la rentabilité structurelle des banques et des adaptations inévitables des business model bancaires.
Les excès de valorisation des banques constatés il y plus de 15 ans ont été largement corrigés. Les ratio price-to-book moyens de l’ordre de 0,9 sont inférieurs de 70% au reste de l’économie, selon McKinsey. C’est peut-être excessif, mais ceci traduit une réalité de fond.
Pour le secteur bancaire, la décennie 2010 post-crise financière fut celle de l’assainissement et de la restauration nécessaire des fondamentaux (ratios de solvabilité et de liquidité) et le sujet de la survie des banques et du risque systémique est globalement derrière nous. La décennie 2020 est et sera celle de l’adaptation et du réajustement à la baisse des niveaux de rentabilité des fonds propres.
Enjeu numéro 1 : les scénarios de taux sont presque toujours défavorables aux banques
Certes, la gestion de bilan bancaire (gestion des risques de taux et de liquidité) est une expertise éprouvée dans le secteur bancaire (même si l’on a vu récemment des banques régionales US disparaître pour manquements aux règles élémentaires de la gestion du risque de taux).
Pour avoir pratiqué et enseigné cette « matière » depuis de nombreuses années (dans le métier, on utilise le sigle ALM qui n’est rien d’autre que le terme anglo-saxon pour évoquer la gestion de bilan bancaire ou la gestion actif passif – ALM pour asset liability management), je peux vous dire qu’il est presque impossible de déterminer le scénario de taux optimal pour une banque. Contrairement à ce que l’on entend et lit souvent de manière simpliste.
Qu’on en juge. Il y eut pendant de nombreuses années les taux négatifs (courts et même longs), avec les difficultés pour le replacement rentable des liquidités des clients, pour le maintien de la marge d’intérêt sur l’activité de crédits des banques.
Alors, me direz-vous, tout devait s’arranger avec la hausse des taux… Mais ce n’est pas si simple. On entend beaucoup de choses sur les impacts des mouvements de taux sur la profitabilité des banques. Et il est nécessaire d’apporter certaines clarifications.
- De la même façon que le risque de baisse des taux longs durant la décennie 2010 avait mis sous pression la marge nette d’intérêts des banques sous l’effet d’une rentabilité plus faible de la banque commerciale sur la production future de crédits à taux fixe, ce devait donc être le contraire avec la hausse des taux longs. C’est ce qui est communément admis.
- Sauf que les choses ne sont pas aussi simples. Dans un contexte de translation à la hausse de toute la courbe des taux, il existe un risque temporaire de baisse des revenus lié au décalage entre la vitesse de réajustement plus rapide du coût du passif (les conditions de refinancement deviennent immédiatement plus onéreuses pour les banques) que du rendement des actifs (compte tenu de l’inertie dans la répercussion de la hausse des taux sur les barèmes de crédit).
- De plus, si un contexte de hausse des taux est en principe favorable à long terme à la rentabilité de la banque commerciale, ne perdons pas de vue qu’un tel contexte de marché est défavorable pour la rentabilité des portefeuilles investis en actifs financiers à taux fixe. Encore qu’il soit possible de limiter les dégâts : bonne diversification des portefeuilles d’actifs financiers (en allouant des liquidités sur des actifs qui profitent de la hausse des taux et de l’inflation) ; couverture même partielle du compartiment d’actifs à taux fixe par des dérivés qui immuniseront une partie du risque de taux.
En réalité, dans tous les scénarios de taux, les banques doivent être capables de trouver des sources alternatives de rentabilité indépendantes des courbes de taux ; elles doivent aussi mieux anticiper les comportements des clients suite à des mouvements de taux, lesquels comportements auront des impacts significatifs sur les profils de risque et de rentabilité des banques.
Quand les taux baissent continûment, les clients viennent de manière opportune rembourser par anticipation leurs crédits immobiliers, ce qui ,toutes choses égales par ailleurs, implique une baisse de leur marge nette d’intérêts (MNI) par une baisse de rendement de l’actif du bilan. Symétriquement (sans aucune espèce de linéarité pour autant), quand les taux montent continûment, les clients viennent de manière opportune réallouer leurs liquidités des dépôts vers des supports d’épargne de mieux en mieux rémunérés (livrets, comptes à terme), ce qui, là encore toutes choses égales par ailleurs, implique une baisse de leur marge nette d’intérêts (MNI) par une hausse du coût du passif du bilan.
Il ne s’agit bien sûr pas de pleurer sur le sort des banques, il s’agit plutôt pour elles d’adapter leur business model et de l’insensibiliser autant que faire se peut, au risque de taux. Il n’y a rien de bien nouveau, et tous les professionnels de la gestion actif passif le disent et le savent. Mais comme dans bien d’autres domaines chacun procrastine et est pris à contrepied lorsque survient un mouvement brutal sur toute la courbe des taux, dans un sens comme dans l’autre. En redécouvrant naïvement que l’eau ça mouille, et que le feu ça brûle…
Alors justement, et c’est notre deuxième risque et enjeu (pas nouveau non plus), les banques ont beaucoup de difficultés à s’adapter à des inflexions brutales et rapides de politique monétaire et donc à des mouvements de taux prononcés. Nous verrons dans notre prochain article les difficultés auxquelles sont confrontées les banques en période de hausse des taux.