La question des dettes divise la Zone euro – et invoquer tous les fantômes de l’Histoire ne changera rien à l’affaire. Une rupture se profile…
Il y a deux semaines, au cours de trois jours et deux nuits de téléconférence, les ministres des Finances de la Zone euro ont prétendu avoir trouvé un chemin vers une réponse concertée à la pandémie de Covid-19.
Les pays périphériques (Portugal, Italie, Grèce, Espagne) visaient haut avec une demande de solidarité. Ils voulaient que les Etats de la Zone euro partagent le fardeau de la crise par le lancement d’un instrument de dette émis conjointement, appelé coronabond.
Le cœur (Finlande, Autriche, Pays-Bas, Allemagne) les a repoussés, proposant que chaque membre de l’union monétaire assume seul ses dettes.
Le ministre néerlandais des Finances Wopke Hoekstra n’y est pas allé par quatre chemins. Il a, comme ont dit les commentateurs, « joué le mauvais flic ». Il a rejeté toute « obligation mutualisée » garantie par tous les Etats.
Il a fait valoir que c’était la faute de l’Italie si elle avait une dette publique tellement élevée qu’elle ne pouvait pas se permettre de payer elle-même ses dépenses pour faire face à la pandémie. Il a déclaré ne pas ne faire confiance à des « débauchés » comme l’Italie.
Cela fait écho à la position de l’Eurogroupe contre la Grèce lors de la crise de la dette en euros, de 2012-2015.
On ne laisse personne de côté ?
Les Etats du sud, appuyés par la France, ont protesté contre cette position du ministre néerlandais. Ils ont soutenu qu’elle s’opposait à l’idée même du projet européen censé unir les nations européennes en un tout intégré et harmonieux.
« Nous ne laissons personne de côté », avait déclaré la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, dans son discours d’ouverture devant le Parlement européen début 2020. « Nous devons redécouvrir le pouvoir de la coopération », a-t-elle déclaré au World Economic Forum de Davos il y a trois mois. Le projet européen est « fondé sur l’équité et le respect mutuel. C’est ce que j’appelle la géopolitique des intérêts mutuels… C’est ce que représente l’Europe. »
Hmm, hmm…
Cet échec des Européens a rapidement disparu des journaux et ses résultats sont passés à la trappe. Il n’a même pas fait la une, à part quelques phrases dans les éditoriaux insipides des eurocrates béats, soucieux comme d’habitude d’esquiver tout ce qui ne va pas dans leur sens européiste.
Emmanuel Macron s’est montré véhément ; il s’est plaint de la décision des ministres des Finances de l’euro. Il a averti que l’Union européenne risquait de s’effondrer à moins qu’elle n’embrasse la « solidarité financière ».
Sa solution était la mise en place d’un fonds commun de soutien face au virus, fonds qui « pourrait émettre une dette commune avec une garantie commune » afin de financer les Etats membres en fonction de leurs besoins plutôt que de la taille de leurs économies.
« Vous ne pouvez pas avoir un marché unique où certains sont sacrifiés », a-t-il ajouté. « Il n’est plus possible […] d’avoir un financement qui n’est pas mutualisé pour les dépenses que nous entreprenons dans la bataille contre Covid-19 et que nous aurons pour la reprise économique. » Il sait que c’est « contre tous les dogmes, mais c’est ainsi ».
Tout et n’importe quoi
Macron a jugé bon, triturant et sollicitant l’Histoire comme à son habitude, de rappeler « l’erreur colossale et fatale » commise par la France en demandant des réparations à l’Allemagne après la Première guerre mondiale, ce qui a déclenché une réaction populiste allemande et le désastre qui a suivi :
« C’est l’erreur que nous n’avons pas commise à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le plan Marshall, les gens en parlent encore aujourd’hui […] et nous disons : ‘Il faut oublier le passé, prendre un nouveau départ et regarder vers l’avenir.’ »
Sans le dire, Macron veut une sorte de plan Marshall généreux, un dérivé de « l’argent par hélicoptère ».
Macron a fait écho aux propos de Keynes dans sa critique des réparations imposées par la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis à l’Allemagne après la Première guerre mondiale.
Keynes avait appelé à un programme de relance du crédit européen où l’Allemagne émettrait des obligations et où les anciennes nations ennemies garantiraient les obligations allemandes individuellement et conjointement, dans certaines proportions spécifiées.
Cette solution keynésienne est plus ou moins ce qui est proposé actuellement avec les coronabonds de l’UE.
Tout cela n’est ni séduisant ni très sérieux… et en plus Macron savait que ses propositions n’avaient aucune chance d’être acceptées.
Alors pourquoi persévérer dans cette voie alors qu’il est évident qu’elle conduit à une impasse ?
C’est ce que nous verrons dès demain.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
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« Macron a jugé bon, triturant et sollicitant l’Histoire comme à son habitude, de rappeler « l’erreur colossale et fatale » commise par la France en demandant des réparations à l’Allemagne après la Première guerre mondiale, ce qui a déclenché une réaction populiste allemande et le désastre qui a suivi :
« C’est l’erreur que nous n’avons pas commise à la fin de la Seconde guerre mondiale. Le plan Marshall, les gens en parlent encore aujourd’hui […] et nous disons : ‘Il faut oublier le passé, prendre un nouveau départ et regarder vers l’avenir.’ » »
C’est faux. Je conseille aux gens de lire » La paix calomniée ou les conséquences économiques de M. Keynes » . d’Etienne Mantoux. Il savait combien nous avait coûté la décision prise en 1918 de ne pas l’envahir. Contrairement à ce qu’avait dit Keynes, les questions matérielles n’avaient pas été laissées de côté lors de la Conférence de paix qui avait précédé le Traité de Versailles. Il est vrai, par contre, que les enjeux de frontières et de souverainetés étaient considérés comme prioritaires. Etienne Mantoux, après Bainville, justifiait une telle hiérarchie. L’être primait l’avoir. L’un conditionnait l’autre. De fait, souligne l’auteur, dix ans après la signature du Traité, «la production européenne avait largement dépassé son volume d’avant-guerre, et le niveau de vie en Europe n’avait jamais été plus élevé».
Le montant des réparations ne fut fixé qu’en 1921, à 132 milliards de marks-or payables en trente annuités. L’estimation faite deux ans avant par Keynes, comprise entre 1,6 et 3 milliards de livres annuels, était donc juste. Qu’en fut-il? Outre que 80 milliards des 132 n’étaient pas destinés à être réellement payés, l’Allemagne, d’aménagements en aménagements, ne paya finalement que 20 milliards de marks-or jusqu’à l’arrêt définitif des paiements en 1932.
Selon Etienne Mantoux, la somme imposée n’avait pourtant rien d’irréaliste. En termes de revenu national annuel, l’Allemagne, qui connut dans les années 1920 une production industrielle et des taux de croissance tout à fait satisfaisants, paya bien moins que la France à la Prusse à la fin du XIXème siècle. En attirant aussi l’attention sur les prêts reçus par l’Allemagne, supérieurs au montant des réparations qu’elle devait verser après les accords Dawes et Young, Etienne Mantoux osait même écrire: «il n’y a jamais eu, sauf en 1929-1930, d’expérience des réparations».
La puissance économique allemande fut, bien sûr, entravée par les conséquences de la guerre et par la crise de 1929 mais il serait bien malhonnête de les considérer comme les produits du traité de Versailles.