** Il ne se passait rien de passionnant hier sur les places boursières européennes ; cela s’est confirmé au fil des heures puisque la séance s’est conclue par un score d’une désarmante banalité, c’est-à-dire par une baisse de 0,33% sur le CAC 40. Nous avons donc décidé de nous abreuver aux meilleures sources d’inspiration, au premier rang desquelles nous plaçons, tel un vieux trognon de pomme oxydé sur un piédestal en argent massif, les discours du type « langue de bois ciselée dans de la racine de thuya » du patron de la BCE.
Comme d’habitude, nous avons donc perdu un précieux quart d’heure hier matin à suivre en direct l’intervention de J.C. Trichet devant la commission des finances du Parlement européen. Rien de nouveau sous le ciel bas et lourd de cette fin mars au climat totalement hivernal ; notre gloire monétariste nationale nous a délivré son inaltérable rengaine au sujet de l’impérieuse nécessité du maintien de la stabilité monétaire en anticipation d’un niveau d’inflation supérieur à 2% tout au long de l’année 2008.
La progression des salaires pourrait s’avérer problématique dans la mesure où elle risque d’alimenter une inflation de « second tour », liée à la hausse du pétrole (105,5 $ hier) et des matières premières. Quant à la chute régulière du pouvoir d’achat des ménages, elle ne fut même pas évoquée ; après tout ce problème ne concerne que les 350 millions d’individus qui composent le « tout venant » européen.
L’autre risque, c’est-à-dire celui d’un ralentissement économique induit par la récession qui frappe les Etats-Unis, ne fut évoqué qu’en toute fin de discours. Ce danger mineur fut expédié en une seule phrase : « les incertitudes concernant le rythme de la croissance se sont nettement renforcées ».
J.C. Trichet a rappelé que les liquidités demeurent abondantes même si la crise des subprime a gelé certaines transactions interbancaires. Il a aussi rappelé que les taux étaient parfaitement adaptés à la situation actuelle : aucun assouplissement n’est donc envisageable dans un avenir prévisible. Les cambistes en ont déduit que le « repo » devrait demeurer fixé à 4% quoi qu’il advienne.
Nous avons attiré à plusieurs reprises votre attention sur l’autisme de la BCE concernant le gonflement démentiel de l’encours des dérivés de crédit. En effet, elle n’a pas anticipé l’explosion de la bulle, ni déploré les conséquences pour les banques européennes et les emprunteurs potentiels en Zone euro après qu’elle ait éclaté.
La BCE continue de se désintéresser dans ses discours officiels de la dégradation de la conjoncture outre-Atlantique, et enterre les espoirs de baisse de 50 points de base de son taux directeur d’ici le mois de juin. Que la Fed se débrouille toute seule et qu’elle continue de créer de l’argent gratuit qui détruit la valeur du dollar !
** Vous nous objecterez que J.C. Trichet évoque les « contacts étroits » entre les principales banques centrales, c’est-à-dire la Fed, la Banque d’Angleterre et la Banque centrale helvétique ; mais à aucun moment il n’a employé le terme de « coopération », ni parlé de « recherche de solution » en commun avec Ben Bernanke : tout un symbole !
Autrement dit — et alors que chaque terme de ses interventions sont soupesés à la nuance sémantique près — la BCE se contente de « participer » aux efforts collectifs pour alimenter les marchés en liquidités mais ne revendique nullement un rôle d’initiatrice. Le service minimum est donc de rigueur.
Nous sommes prêt à parier que si la Banque d’Angleterre ne faisait pas preuve de sa solidarité coutumière avec la Fed — l’éclatement de la bulle immobilière a déjà fait sombrer Northern Rock et menace HBOS — et que si la BNS ne redoutait pas de voir s’effondrer le géant UBS, la BCE traînerait ouvertement les pieds dans le cadre des prises en pension de créances immobilières, invendables sur le marché, en échange de Bons du Trésor libellés en dollars.
Si nous comparions la noyade du système bancaire américain à un épisode d’Alerte à Malibu, J.C. Trichet n’enfilerait le célèbre maillot rouge que parce que des milliers de baigneurs — horrifiés par ce dramatique spectacle — le pressent de se jeter à l’eau pour secourir leur idole, Ben Bernanke, qui se débat au milieu des éléments déchaînés.
Il se conterait alors de lui maintenir la tête hors de l’eau — quitte à l’étrangler un peu au passage — pour le ramener jusqu’à la plage. Et pas question ensuite de lui prodiguer un bouche à bouche ou un massage cardiaque. En effet, la priorité demeure la surveillance de l’avancement de la marée, qui affichera une amplitude supérieure à 2,5% voire 3% en 2008 avant un reflux graduel en 2009.
** Outre-Atlantique, Henry Paulson réaffirmait, quelques heures plus tard, que l’extension des pouvoirs et moyens d’action de la Fed, via la prise en pension de créances immobilières et l’ouverture de guichets de liquidités permanents accessibles aux principaux établissements bancaires du pays — mais pas aux acteurs de seconde division — constituait une initiative sans précédent, destinée à écarter le risque d’un blocage du système et d’un credit crunch.
Il s’agit cependant de mesures temporaires qui seront suspendues aux premiers signes de rétablissement d’un fonctionnement normal des marchés financiers. La Fed assume depuis 10 jours le rôle d’un prêteur en dernier ressort. Elle se retrouve donc engagée dans la garantie de montants de dettes titrisées d’une ampleur inégalée depuis sa création en 1913. La Fed fait tout ceci avec l’aval de la Maison-Blanche, où Ben Bernanke semble avoir pris ses quartiers depuis la mi-janvier.
Nous aurions aimé vous exposer les initiatives communes de la BCE et des plus hautes instances économiques et gouvernementales de l’Euroland… mais chuuut ! C’est un secret !
Mais non, rassurez-vous, nous plaisantons… nous ne vous cachons rien ! Et c’est bien ce qui nous consterne : il n’y a rien à cacher ! La BCE agit seule, ne prend conseil auprès de personne et n’a de compte à rendre à personne. Son triomphe ne sera pas d’avoir ramené la croissance ou le plein emploi — même en l’espace de deux ou trois courtes années bénies dont nous pourrions nous souvenir avec émotion — mais bien d’avoir fait mordre la poussière au dollar !
Ce dernier rechute brutalement sous les 1,5750/euro et les 99,1 yens, occasionnant un rebond symétrique du baril de pétrole au-delà des 105 $. Vous avez dit inflation de second tour ?
** Allez, pour nous agacer un petit peu les nerfs, nous qui payons nous-même notre plein de carburant contrairement aux inégalables hauts fonctionnaires de la BCE, nous vous communiquons quelques extraits du tableau du prix moyen de l’essence de 2003 à 2008.
Grâce à la « stabilité des prix » que nous confère l’euro, nous avons vu passer le tarif du sans plomb 95 de 0,98 euro le 31 décembre 2003 à 1,06 euro au 31 décembre 2004, puis à 1,36 euro au 31 décembre 2007 et à 1,45 euro à présent, prix moyen constaté sur les autoroutes françaises et dans les stations de l’agglomération parisienne lors du week-end de Pâques.
C’est pire pour le gazole qui affichait 0,78 euro fin 2003, 0,88 euro fin 2004, puis 1,25 euro fin 2007 et 1,35 euro à fin mars 2008… soit +75% en quatre ans et trois mois. Le fioul domestique a connu la même sanction.
Sachant que les prix de l’immobilier ont flambé de 33% dans l’Hexagone sur la période post-invasion de l’Irak, nous éprouvons quelques difficultés à expliquer à nos lecteurs — en quelques formules simples et intelligibles — en quoi l’action de la BCE constitue un bouclier contre l’inflation et pourquoi il reste impératif de contenir la hausse des salaires.
** Notre monde est décidément paradoxal et parfois cruel. Alors que l’inaction de la BCE comble de félicité les patrons allemands — l’indice IFO (baromètre des milieux d’affaires outre-Rhin) rebondit de façon inattendue en mars (+0,7 points à 104,8)… les multiples initiatives — désespérées ? — de la Fed se soldent par un accès de pessimisme sans précédent depuis 35 ans des ménages américains.
Si les chiffres publiés aux Etats-Unis mardi dernier furent franchement consternants, l’ordinaire s’est un peu amélioré hier avec un rebond de 8,2% du prix de vente des maisons neuves en février. Le nombre de transactions, quant à lui, a reculé de 1,8%, ce qui est moins pire que prévu. Ces chiffres n’ont pu éclipser durablement la première mauvaise statistique inscrite au tableau du 26 mars : les commandes de biens durables chutent de 1,7% en février, contre une hausse de 0,5% anticipée. Le repli aurait pu être encore plus brutal sans la hausse de 5,4% des commandes aéronautiques.
Cela dit, nous n’avons pas tout perdu : l’or effectue une belle remontée à 950 $ l’once… mais avec un dollar sous les 1,58/euro, la hausse du Napoléon reste anecdotique !
Philippe Béchade,
Paris