▪ Un scandale, une véritable catastrophe nationale, un fiasco titanesque, des choix techniques critiquables, des erreurs de management impardonnables, des conséquences incalculables, toute une population qui crie sa colère, des années pour s’en remettre et un traumatisme qui n’est pas près de s’effacer des mémoires… Les médias n’en font plus leur Une, mais des dizaines de milliers de barils de pétrole continuent de s’échapper chaque jour du fond du golfe du Mexique. Ils vont venir pendant des mois, et même probablement des années, souiller les côtes américaines.
Le calvaire de l’équipe de France, de ses supporters et de ses sponsors s’est achevé par une ultime humiliation (un grand bravo tout de même à l’Afrique du Sud, classée au 83ème rang mondial, qui bat une équipe encore classée seconde au lendemain de la précédente Coupe du monde 2006). Le calvaire des riverains de la Louisiane et de la Floride, en revanche, est loin d’être terminé.
Pendant que la France comptait les ballons au fond de ses filets, les pêcheurs du golfe du Mexique ont continué de remballer les leurs : ils ne leur serviront plus avant longtemps ! Les experts ont de nouveau revu à la hausse, avec l’approbation tacite de BP, le débit du puits accidenté il y a deux mois jour pour jour.
D’une estimation initiale (émanant de BP) de 1 500 barils par jour, nous voici enfin parvenus à un chiffre de 40 000 jugé plus proche de la réalité. Ce qui choque le plus l’Amérique, c’est l’énormité du mensonge du pétrolier britannique : il connaissait naturellement, à quelques centaines de barils près, le débit pompé quotidiennement par la plate-forme Deepwater Horizon.
Se tromper de 25%, c’est déjà une marge d’erreur significative. Se tromper de 25 fois, c’est carrément un aveu de désinformation caractérisé… mais qui a eu son utilité : si la vérité avait été connue dès les trois premiers jours, BP aurait perdu le tiers de sa valeur en une poignée de séances, et 50% avant fin avril.
La lenteur relative de la chute initiale des cours a probablement permis à beaucoup de gérants méfiants (ou bien renseignés) de liquider leurs positions en réalisant encore de beaux gains par rapport au début de l’année 2010.
▪ Rétrospectivement, l’administration américaine et les actionnaires qui se sont fiés à la communication du groupe BP réalisent qu’ils ont été floués ; les moyens matériels déployés initialement devant les caméras étaient complètement dérisoires.
Les riverains du golfe ont vite compris qu’en dehors du caprice des courants marins, rien ne pouvait les protéger du déversement des 1,5 à deux millions de barils de pétrole (estimation minimum) qui se sont déjà échappés des abysses… Et plus de 15 000 barils continuent de déborder quotidiennement de l’entonnoir mis en place il y a 15 jours.
A raison de 2 500 $ d’amende par baril perdu dans l’océan (en vertu du Clean Water Act), les dirigeants de BP peuvent faire un rapide calcul. Avant même d’avoir indemnisé le premier pêcheur de crabes de la Nouvelle-Orleans ou le premier hôtelier de Floride, l’addition se monte déjà à près de six milliards de dollars. Elle atteindra probablement plus de neuf milliards avant qu’un puits de dérivation en cours de forage soit opérationnel… et encore un milliard ou deux avant que le colmatage soit considéré comme achevé et 100% efficace.
Les frais de récupération, d’épandage de dispersants, d’études techniques, de livraison d’une nouvelle plate-forme et d’indemnisation des victimes de l’explosion se chiffrent déjà à plus de deux milliards de dollars. Il faut y ajouter le manque à gagner — c’est-à-dire ce qu’aurait rapporté la vente du pétrole extrait par Deepwater Horizon en deux mois.
Tous les bénéfices de 2009 (17 milliards de dollars) et du premier trimestre 2010 (quatre milliards de dollars) vont y passer et ne seront pas distribués, soit. Mais les opérations de nettoyage et les indemnisations vont sans doute représenter des sommes bien supérieures. En se basant sur les coûts induits par la marée noire de l’Exxon-Valdez, et à dollar constant, le chiffre qui circule depuis début juin dans les salles de marché tourne plutôt autour de 50 milliards… et personne ne peut savoir formellement si les frais s’arrêteront là.
▪ En revanche, il commence à se murmurer qu’au-delà d’une ardoise de 50 milliards de dollars, BP aurait tout intérêt à se saborder façon équipe de France et à privilégier un scénario de faillite. L’actuel PDG pourrait démissionner (la rumeur circule avec insistance), d’autres hauts dirigeants pourraient l’imiter rapidement… et l’Etat américain n’aurait plus grand monde en face de lui pour demander des comptes et exiger des réparations d’ici la fin de l’année 2010.
L’image du groupe BP est déjà tellement flétrie aux Etats-Unis que la question de la poursuite d’une activité industrielle et commerciale avec un tel passif mérite réflexion. Pour reprendre le parallèle avec l’équipe de France : "du passé faisons table rase et repartons sur de bonnes bases".
Sauf que le maillot de l’équipe de France sera toujours bleu… tandis que le logo jaune/vert écolo de BP (façon tournesol), tout le monde l’a désormais en horreur outre-Atlantique — comme tout ce qui évoque l’équipe de France dans l’Hexagone.
▪ Si nous évoquons aussi longuement le cas de BP, c’est parce que les actualités sur le thème exploration/exploitation pétrolière off-shore se sont révélées décisives mardi soir sur les marchés américains.
Wall Street a évolué d’abord modérément à la hausse puis nettement à la baisse au gré d’annonces contradictoires concernant le moratoire de six mois décrété par l’administration Obama sur les forages en eaux profondes.
Un tribunal de la Nouvelle-Orléans, probablement ému jusqu’aux larmes par le recours d’une douzaine de compagnies pétrolières opérant dans la région, a prononcé la suspension de cette interdiction de forer en rond… au grand soulagement des actionnaires des groupes parapétroliers.
Mais hélas pour eux, la Maison Blanche a fait savoir dans les minutes qui ont suivi qu’elle allait faire appel de cette décision. Beaucoup de spécialistes du secteur soupçonnent qu’après les années de laxisme de l’ère Bush/Halliburton, la législation va être prochainement durcie et les garanties de sécurité fortement étendues… ce qui va entraîner des surcoûts considérables pour les compagnies concernées.
C’est ainsi que Wall Street a vu chuter Chesapeake et Peabody Energy de 3,3%, Anadarko, Halliburton et National Oilwell de 4%, Range Resources de 5,4%, sans oublier -2% sur Exxon et -2,3% sur Chevron.
Le baril de pétrole quant à lui n’a cédé que 1,5% à 77,5 $. Après tout, cette denrée risque finalement de se faire rare si l’exploitation est freinée dans le golfe du Mexique.
▪ Sur le front des statistiques, et dans un tout autre registre, les mauvaises surprises s’enchaînent dans le secteur immobilier américain. Les reventes de logements anciens ont rechuté de 2,2% en mai (contre -2% attendu) ; les constructeurs de maisons individuelles ont été laminés. Pulte Homes, Lennar, Beazer Homes ou DR Horton affichaient des replis s’étageant de 3% à 3,3%.
Tout ceci n’a pas été sans conséquences. Les indices américains se sont alignés sur leurs homologues européens en milieu d’après-midi (-0,8% vers 21h après avoir fait illusion à la hausse en début de matinée). Ils ont ensuite fini par amplifier leurs pertes au cours de la dernière heure.
Ils affichaient en clôture des scores sans appel, bien à l’image de l’équipe de France à l’issue de ses deux derniers matchs : le Nasdaq Composite chutait de 1,2% et le S&P 500 de 1,6%.
Et tout comme à la mi-janvier puis à la mi-avril se pose la question suivante : compte tenu d’une actualité quotidienne qui n’invite guère à se ruer durant neuf séances consécutives sur les actions… ces dernières n’ont-elles pas été arrachées cyniquement à la hausse uniquement pour mieux rebaisser ?
Les supporters de l’équipe de France se posent la même question au sujet de certains joueurs payés jusqu’à 10 000 euros par jour, non compris les contrats publicitaires et les redevances provenant du droit à l’image, versées net de frais dans des paradis fiscaux.
Il ne manquerait plus que ces derniers soient souillés par une marée noire !