▪ Toujours rien, cher lecteur.
Toujours pas de signe de krach. Les marchés battent de nouveaux records presque quotidiennement.
Les intervenants suivent la tendance avec un aveuglement qui, vu de nos bureaux, semble quasi-suicidaire — tels des lemmings se pressant vers le bord d’une falaise.
Toujours pas de signe que la Fed mette un jour fin à l’assouplissement quantitatif.
Toujours pas de signe de reprise économique non plus, ceci dit.
Comme le résumait Bill jeudi, « la Fed a […] donné plus d’argent à l’économie — le QE1, le QE2, et désormais le QE3. Dans la version actuelle du QE, elle imprime 58 milliards de dollars supplémentaires par mois et les injecte dans le système bancaire ».
« Cet argent n’a pas beaucoup aidé l’économie réelle — le chômage a baissé, mais uniquement parce que des gens abandonnent la recherche d’emploi ; en revanche, il a fait des merveilles pour les prix des actions ».
Peu importe. Le Japon n’est-il pas en train de prouver qu’on peut avoir le beurre et l’argent du beurre ? Sa guerre contre le yen semble porter ses fruits, avec une hausse de 3,5% de son PIB au premier trimestre 2013.
▪ Mais comme le disait Dan Denning hier, quelques frémissements inquiétants semblent se faire entendre au Pays du Soleil Levant :
« [On] ne peut pas semer la pagaille sur un marché de 10 000 milliards de dollars et s’attendre à ce que tout se passe éternellement sans heurt », explique Dan. « Le rendement des obligations d’Etat japonaises est en hausse. […] Le problème c’est la liquidité. Au plus fort des ses efforts lors de son premier QE, la Fed a acheté 60% des nouvelles obligations émises par le Trésor américain. Au Japon, la chiffre actuel s’approche plutôt de 70%, à en croire le Wall Street Journal. C’est là le problème ».
« Lorsque la banque centrale commence à être le principal acheteur sur un marché, elle empêche tous les autres d’y entrer. Avec de moins en moins d’emprunts d’Etat japonais qui s’échangent chaque jour, les obligations qui se négocient effectivement semblent être plus réactives à ce qui se passe dans l’économie. Paradoxalement, le chiffre du PIB peut provoquer des peurs inflationnistes, auquel cas une chute du prix des obligations et une hausse des rendements sont exactement ce à quoi on devrait s’attendre ».
« Le problème pour le Japon est que c’est ce qui est en train d’arriver, trop tôt. Il faut plusieurs trimestres de croissance solide du PIB avant que le marché obligataire ne commence à avoir peur de l’inflation. Mais c’est là le problème lorsqu’on sème la pagaille dans de grands marchés d’obligations d’Etat. On ne sait pas quelles seront les conséquences involontaires ».
A quelles autres « conséquences involontaires » devons-nous nous attendre — pas seulement au Japon, mais aux Etats-Unis, en Europe, en Chine (et ailleurs) — des politiques non-conventionnelles employées par nos banquiers centraux bien-aimés ?
Comme le disait Simone Wapler à ses lecteurs dans La Stratégie de Simone Wapler, nous naviguons à présent dans des eaux inconnues.
Sur les anciennes cartes anglaises, les océans encore inexplorés portaient la mention Here be dragons [« Là, il y a des dragons », ndlr.].
Nous savons aujourd’hui que les dragons n’existent pas… mais les krachs obligataires, les faillites d’Etats et l’hyperinflation, eux, sont bien réels. Alors, cher lecteur, même si la vigie continue de signaler « toujours rien »… veillez à préparer votre canot de sauvetage — on ne sait jamais !
Meilleures salutations,
Françoise Garteiser
La Chronique Agora