▪ Nous avons vu vendredi que la tontine présentait de nombreux avantages… mais aussi des inconvénients. Que faire par exemple si l’un des deux tontiniers « s’incruste » dans les lieux et de surcroît ne paye nul loyer ou indemnité d’occupation ? C’est à cette question qu’ont dû répondre les juges de la Cour d’appel d’Amiens (15 mai 2014, n°13/00895).
Sur le plan de l’occupation, la réponse des juges est claire : l’obstiné doit une indemnité. Dans l’affaire en question, le Tribunal de grande instance (TGI) de Laon avait identifié à défaut d’une indivision de propriété, une indivision de jouissance, et qu’à ce titre « sans modifier la convention des parties ni y ajouter, lorsqu’en cas d’impossibilité de jouissance commune, il impose à celle qui occupe privativement le bien, à l’exclusion de l’autre, de verser une indemnité ».
Sur le plan de l’occupation, la réponse des juges est claire : l’obstiné doit une indemnité |
L’autre tontinier, resté dans les murs, soutenait que la rupture du couple ne signifiait pas pour autant une impossibilité absolue de jouir du bien d’autant que c’était la compagne qui avait délibérément fait ses valises. De façon équitable, les juges confirment la première décision et précisent que si « l’économie de la convention est exclusive d’une indivision relativement à l’immeuble entre les acquéreurs, tant que la condition du prédécès de l’un des deux n’est pas réalisée, ceux-ci ont sur l’immeuble des droits concurrents qu’il appartient au juge d’organiser en cas de séparation ». Et donc « que Monsieur X. qui jouit privativement de l’immeuble commun, est redevable envers Madame Z. d’une indemnité d’occupation à compter du 9 décembre 2008 [date de son départ, ndla.] » dont le calcul au regard de la valeur locative est confiée à des experts.
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Reste le devenir du bien sur fond de discorde, sachant qu’en l’absence d’indivision, aucun des tontiniers ne peut le vendre, le donner voire l’hypothéquer.
C’est l’unanimité qui sera requise : à défaut d’être restés d’accord sur tout, les tontiniers devront au moins tomber d’accord préalablement à la mise en vente pour renoncer à la clause d’accroissement, ou bien s’orienter vers le rachat par l’un de la participation de l’autre.
l’esprit de la tontine est de donner au survivant un toit ou une poire pour la soif dans une démarche de prévoyance et non de transmission |
Aucun texte n’indique s’il faut un partage suivant une proportion « 50/50 » ou bien s’il faut rechercher quelle part exacte avait été financée par l’un et l’autre des tontiniers au temps des amours.
Une autre solution, consisterait à stipuler une tontine à durée déterminée. Il faudra cependant éviter de fixer une date exacte. Car l’esprit de la tontine est de donner au survivant un toit ou une poire pour la soif dans une démarche de prévoyance et non de transmission ; j’insiste sur la nuance car il faut toujours exclure toute référence à une donation dans un tel acte. Certes vous m’objecterez que l’on peut, tout comme pour un CDD dans le droit du travail, prévoir un renouvellement de la tontine à une date convenue… sauf que si l’état de santé de l’un des deux tontiniers s’est dégradé, vous vous heurterez de plein fouet au défaut d’aléa dont on a vu la sanction cinglante : la nullité du contrat.
Vous pourriez à la limite prévoir qu’un événement tel que la rupture de vie commune entre les deux tontiniers termine le pacte tontinier. Etant donné que le Code civil est muet concernant la tontine, qui est surtout le fruit de la pratique notariale, ce genre de stipulation « sur-mesure » se situe à mon sens dans la zone de ce qui est autorisé puisque pas interdit… !
▪ La fiscalité de la tontine : aucune logique juridique
Inconnue formellement parlant dans le Code civil, la tontine n’est pas absente du Droit fiscal. Mais elle illustre l’opportunisme de l’Etat à taxer au coup par coup, ce qu’il veut comme il le veut… en s’affranchissant des logiques juridiques. Bref, le régime fiscal tontinier est fait d’oukases !
▪ Transfert de richesse : il reste un trou dans le maillage législatif et fiscal…
Malgré le caractère aléatoire de la mort, pour le survivant des tontiniers, le pacte d’accroissement constitue une bonne affaire.
Son patrimoine s’agrandit d’un coup de la totalité du bien. Comme il ne s’agit pas d’un contrat gratuit mais aléatoire, par principe les droits de mutations à titre gratuit (DMTG) ne sont pas applicables, et doivent céder leur place aux droits de mutations à titre onéreux (DMTO) dont le taux est bien plus intéressant. Là où les DMTG entre non-parents (ex. des concubins) atteignent le chiffre faramineux de 60%, les DMTO ne s’élèvent qu’à 5,09% ! Au début des années 1980, l’Etat est hélas venu tempérer cet optimisme en instaurant l’article 754 A du Code général des impôts.
Ce texte prévoit cumulativement que seule la tontine d’un bien servant de résidence principale aux tontiniers et sous réserve que sa valeur n’excède pas 76 000 euros pourra se voir soumis au taux avantageux de 5,09%. Dans tous les autres cas, la tontine se voit frappée des DMTG lesquels comme vous le savez peuvent atteindre 60%.
Alors, retour à la case départ ? Pas vraiment car un bien peut aussi être acquis par une société, et notre Rapport spécial SCI vous expliquera tout sur l’interposition sociétaire et la tontine… et comment faire pour en toute légalité bénéficier du taux réduit des DMTO.
Suite et fin dès mercredi !