Que se passera-t-il, par exemple pour les géants du numérique américains, le jour où l’Europe mettra en œuvre les taxes carbones aux frontières ?
Apple demeure envers et contre tout le groupe le plus détenu par l’ensemble des plus grands fonds de la planète revendiquant le label ESG, à commencer par Berkshire Hattaway (plus de 40% du fonds), BlackRock et Vanguard.
Le fait qu’Apple soit le seul des « GAFAM » à ne pas avoir enfoncé sa moyenne mobile 200 à périodes rassure les chartistes. Le voir recommandé à l’achat par Goldman Sachs – pour la première fois en 6 ans – rassure les gérants « value ». Pourtant, le titre valait à peine 34 $ début mars 2017, il en vaut 120 $ de plus à présent, et la capitalisation flirte avec les 2 500 Mds$, c’est-à-dire la capitalisation totale du CAC 40 au 8 mars 2023.
C’est donc un étonnant réveil de Goldman Sachs, alors que le titre se paye près de cinq fois le prix affiché il y a 6 ans : ont-ils raté quelque chose, où veulent-ils se ménager une sortie à bon prix ?
ESG : un score parfait
De leur côté, les gourous de l’ESG et de l’économie décarbonée continuent d’ignorer le problème de l’extraction du cobalt par des enfants esclaves en RDC, mais aussi les dizaines de milliers de salariés retenus prisonniers sur leur lieu de travail, dans les usines de Foxconn, lors des super-confinements chinois de fin 2022. Voilà résolue la question du « S » de social.
Ils préfèrent également oublier l’empreinte carbone de la fabrication en Chine des smartphones, iPads, Macbooks, Apple Watches, etc. Ce qui remplit très bien la condition du « E » d’environnemental.
Et ils ferment enfin les yeux sur l’évasion fiscale massive pratiquée par la première multinationale de la planète (par sa capitalisation boursière, et c’est également la championne des rachats de titres) : voilà pour le « G » de gouvernance.
Mais nul classificateur n’ose gratter le verni de respectabilité et de conformité des normes ESG auxquelles semble satisfaire cette icone : Apple s’avère en effet « intouchable », tout comme l’étaient Enron jusqu’au 2 décembre 2001, ou Bernard Madoff jusqu’en décembre 2008.
Bien sûr, Apple ne trompe ni n’escroque ses clients, comme le faisaient Enron ou Madoff… mais, si le fisc de tous les pays dans lesquels Apple vend ses produits creusaient un peu la piste de la fraude, ils pourraient se demander par quel miracle – légal – les plus gigantesques profits réalisés par la plus grande multinationale sur l’ensemble de la planète sont également les moins imposés.
Ils découvriraient un système de « boîtes aux lettres » qui attestent d’une présence « juridique » dans de nombreux paradis fiscaux – où un chiffre d’affaires colossal est déclaré – alors que l’activité industrielle et commerciale y est quasiment nulle, et où Apple ne rémunère pratiquement aucun salarié.
Réforme fiscale
A une époque où l’argent magique disparaît (sauf s’il s’agit d’aider l’Ukraine) et où il faudrait travailler deux ans de plus pour économiser 12 Mds€… il y a certains « non bénéfices » réalisés en France (recettes de TVA symboliques) qui finissent par agacer.
Mais Apple reste largement épargné par les enquêtes fiscales. Peut-être parce qu’une majorité d’enquêteurs potentiels possède un iPhone dans sa poche et se félicite d’avoir pu s’en procurer un sans devoir supporter une cascade de taxes qui alourdiraient considérablement le prix d’achat ?
Combien de temps Apple va-t-il continuer de passer entre les gouttes ?
Que se passera-t-il le jour où l’Europe mettra en œuvre les taxes carbones aux frontières ? Comment seront accueillis les iPhones, iPads et autres MacBooks fabriqués en Chine, et peut-être demain en Inde, laquelle présente le handicap d’un mix énergétique bien plus carboné que l’empire du Milieu ?
La Commission et le Parlement européens sont en train de plancher sur la réforme du marché européen du CO2 pour la prochaine décennie. L’objectif de réduction de 55% des émissions à l’horizon 2030 (contre 40% antérieurement) déposé auprès de l’ONU devrait déboucher sur un net renchérissement du prix du quota carbone en Europe, et surtout pénaliser les produits de base ou semi-finis réimportés (parce que délocalisés à l’origine) depuis des pays identifiés comme grands pollueurs.
Quels quotas pour le carbone ?
Les industriels qui émettent du CO2 sur notre sol étaient les premiers visés (c’est pourquoi ils ont beaucoup délocalisé) mais ils ne seront bientôt plus les seuls : quiconque importe du carbone « produit ailleurs » sera à son tour soumis au système d’échange des quotas (aux frontières cette fois).
Les « quotas », ce sont des droits à émettre une tonne de CO2 : chaque année, les industriels doivent restituer autant de quotas qu’ils ont émis de CO2. S’ils ne réalisent pas leur objectif de neutralité, ils payent une pénalité dissuasive.
En pratique, ils s’en sortaient facilement en rachetant des quotas aux pays produisant peu de tonnes de CO2. Or il se trouve que cette stratégie va être plus sévèrement encadrée, et il a notamment été décidé de diminuer chaque année le nombre de quotas négociables.
La demande va désormais émaner à la fois des producteurs et des importateurs de carbone, la trace carbone de chaque produit importé étant analysée.
Que pensez-vous qu’il va se passer pour Apple lors du diagnostic carbone aux frontières de ses gadgets bourrés de cobalt (extrait en Afrique), lithium (à 60% raffiné en Chine) et métaux rares (à 90% raffinés en Chine) ?
Bien sûr, Apple n’est pas le seul fabricant d’objets électroniques concerné, mais il reste le n°1 mondial et en tant que première multinationale taxable aux frontières – par la valeur marchande des produits importés. Pour cette raison, sa stratégie « d’évitement » de la taxe carbone va être intéressante à décrypter.
1 commentaire
Merci pour votre pertinence dans les analyses…