La chute du régime syrien de Bachar El Assad marque un tournant majeur au Moyen-Orient, entre ambitions internationales, rivalités régionales et bouleversements géopolitiques.
Les médias mainstream/atlantistes français se réjouissent quasi unanimement de la chute de Bachar El Assad, dernier héritier d’une dynastie de dictateurs qui n’auront pas laissé que de bons souvenirs à notre diplomatie depuis 40 ans.
Les relations diplomatiques ont même été rompues en mars 2012 (et pas rétablies depuis) : ce fut l’une des dernières initiatives diplomatiques significatives de Nicolas Sarkozy, largement éclipsée par la réintégration de la France dans l’OTAN.
A peine 18 mois plus tard, à l’automne 2013, alors que Bachar El Assad venait d’ordonner l’utilisation des armes chimiques contre sa population – une « ligne rouge » qui devait déboucher sur une opération conjointe franco-américaine visant à faire tomber le régime –, les Etats-Unis de Barack Obama décideront de ne pas intervenir, privant d’appui l’armée française qui était déjà en phase opérationnelle pour aller procéder à des bombardements.
S’agissait-il d’une vengeance par rapport au camouflet infligé par Jacques Chirac aux warmongers de l’administration Bush ?
Toujours est-il que François Hollande se retrouva contraint de renoncer à frapper Damas seul.
Mais la Syrie sera rapidement « victime » d’une attaque de divers « mouvements de résistance » salafistes, depuis l’intérieur (Jaich al-Islam), puis de l’extérieur (ISIS depuis l’Irak).
Parmi les plus célèbres groupes de rébellion contre Bachar El Assad, il y avait Jaich al-Islam, soutenu par l’Arabie saoudite et le Qatar, puis Jaich al-Fateh, téléguidé depuis la Turquie (y bénéficiant de bases arrière) et soutenu par divers pays du Golfe persique ; puis – plus redoutable encore –, il y avait le Front al-Nosra, la branche armée d’Al-Qaida, « canal historique » (stratégie internationaliste), et enfin la puissante organisation rivale ISIS, ou EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant), désigné également sous l’appellation « Daech », orthographié Daesh par les médias anglo-saxons).
Daech était dirigée par Abou Bakr al-Baghdadi (tout juste sorti d’une prison américaine en Irak) qui établira son « califat » à cheval sur l’est de la Syrie (Raqqa) et le nord-ouest de l’Irak (Mossoul), se finançant via la contrebande de pétrole et de gaz naturel (du Kurdistan syrien), le racket et les rapts (rançons), les pillages de sites archéologiques et le trafic d’êtres humains (vente d’esclaves).
ISIS/Daech – d’obédience sunnite/salafiste – s’imposera durant des années comme la principale force hostile à Bachar El Assad et au Hezbollah, donc à l’influence Chiite dans la région, d’où une forme de mansuétude de la part des Etats-Unis et d’Israël, malgré tous ses crimes contre l’humanité et la persécution des chrétiens Yézidis commis durant l’occupation d’une partie de la Syrie (l’ennemi de mon ennemi… vous connaissez le principe).
Abou Mohammed al-Joulani, celui que les médias occidentaux nous présentent aujourd’hui comme le leader « star » de la rébellion contre Bachar al-Assad, fut initialement membre du groupe djihadiste Al Qaeda, avant de faire sécession en 2012 et devenir un des commandants d’Al-Nosra (vaincu et dispersé par l’intervention russe en Syrie en 2016), puis de s’imposer comme l’émir d’une nouvelle milice salafiste en 2017 : Hayat Tahrir Al Cham (« HTS »), organisation classée comme terroriste par les Etats-Unis, sa tête étant mise à prix pour 10 M$ (ce qui n’est pas de la petite monnaie).
Et oui, c’est bien le même homme, interviewé par CNN ce samedi 7 décembre (à la demande et par l’entremise de la CIA, qui a garanti sa sécurité) qui nous est présenté comme un « libérateur » ayant mis fin à la tyrannie de Bachar El Assad (bien sûr, c’en était une – comme dans pratiquement tous les pays de la région depuis leur indépendance).
Abou Mohammed al-Joulani promet de mettre fin au chaos dans le pays, de le réunifier, à commencer par la réorganisation de l’armée, de lui fournir un nouveau cadre constitutionnel et légal qui respecte le droit des minorités (autrement dit, pas d’instauration de la Charia comme dans les zones contrôlées par Al-Nosra il y a 8 ans) ethniques et confessionnelles.
Il se pose en leader éclairé, expliquant que Hayat Tahrir Al Cham n’est pas une fin en soi, et fut d’abord un moyen de mettre à bas le régime de Bachar et que ce qui importe, c’est de faire repartir le pays sur de nouvelles bases.
En ce qui concerne son classement comme terroriste et le « reward » de 10 M$ mis sur sa tête, il rétorque que c’est de la rhétorique, du verbiage politique et que lui-même, à travers son parcours et ses actes, n’a jamais rien commis qui puisse relever du terrorisme, tel que les Occidentaux le définissent.
Et il se dit instruit par l’exemple du chaos irakien (ère post-Saddam Hussein) : il fera tout pour que la Syrie échappe au même sort (dislocation de l’Etat, guerre civile dans plusieurs régions).
Al-Joulani s’exprime bien, avec « beaucoup de modération ». L’interview a été bien préparée, questions et réponses sont d’une fluidité très palpable, les bons éléments de langage et les bonnes réfutations sont déroulés dans le bon « timing » et dans le bon ordre. En quelques minutes, il apparaît dédiabolisé, et en même temps légitimé par cette interview sur une grande chaîne américaine.
D’où ces questions : qui est vraiment Al-Joulani ? Quels appuis logistiques a-t-il reçu pour mener à bien une offensive éclair aussi décisive – et heureusement bien moins sanglante que l’irruption de l’Etat islamique en Syrie 12 ans auparavant ? Qui est son protecteur au Proche-Orient (sinon il serait déjà mort), et éventuellement de qui reçoit-il ses ordres ?
La chute du régime syrien s’explique largement par la non-intervention de la Russie pour prolonger de quelques semaines ou quelques mois le régime moribond de Bachar El Assad. Cette décision de Vladimir Poutine de ne pas pilonner la « rébellion » (comme Al Nosra et ISIS, 8 ans auparavant) a épargné beaucoup de vies.
Y aura-t-il une contrepartie occidentale ?
De notre point de vue, c’est une nouvelle ère qui s’ouvre : Israël coupe l’axe Iran-Syrie qui permettait à Téhéran de soutenir le Hezbollah au Liban.
Mais surtout, Israël a déjà lancé les opérations en vue de s’emparer de la partie syrienne du plateau du Golan, alors qu’il n’y a plus d’armée syrienne pour s’opposer à l’avancée des chars de Tsahal : Israël est en train d’agrandir son territoire par le nord et peut être en train d’encercler totalement le Liban.
Avec un blocus maritime, le Liban serait complètement, à terme, coupé de tout approvisionnement par l’Iran.
Washington fait perdre à la Russie son accès hautement stratégique à la Méditerranée avec le port de Tartous et il n’y a plus d’Etat syrien pour contester l’exploitation du pétrole du Kurdistan par des compagnies américaines.
Enfin, le Qatar va pouvoir relancer son projet de gazoduc avec la Turquie : le refus de Bachar de participer à cette entreprise en 2012 (qui aurait nui aux intérêts iraniens) aurait été à l’origine du déclenchement des mouvements de déstabilisation de la Syrie et du début de la guerre civile.
La Turquie d’Erdogan n’avait pas fait mystère de son intérêt pour reprendre le contrôle d’anciennes régions : Kurdistan, Idlib, Lattaquié (qui abrite une base aérienne russe, située sur la côte méditerranéenne), Alep, vallée de l’Euphrate/Lac Assad, etc.
De quelle portion de la Syrie Al-Joulani sera-t-il le « libérateur », une fois que les puissances voisines auront fini de dépecer le pays ? Ne deviendra-t-il pas rapidement un obstacle à leurs plans s’il s’avisait de « jouer au patriote » ?
En ce qui concerne la France, elle apparaît totalement hors-jeu !
Et même après l’éviction de Bachar El Assad, elle reste plus que jamais dans l’incapacité de peser sur le destin de son ancien protectorat, le Liban.
4 commentaires
Syrie : Remplacement vraisemblable d’une dictature par une autre. Heureusement, y compris pour nous, qu’Israël surveille tout cela et conserve une capacité militaire infiniment supérieure à tous les pays environnants.
En ce qui concerne la France, elle apparaît totalement hors-jeu !
Quelle surprise, ça, c’est un scoop !
EM est hors jeu à l’intérieur comme à l’extérieur!! Comment peut il etre de quelque utilité que ce souit !!!S’il lui restait un once de fierté ,il démissionnerait et s’expatrierait !!!
P.Béchade pose les vraies et seules intéressantes questions. ( Cf alinea 18). Pour le reste il ne s’agit que d’un épisode de la guerre mondiale initiée en l’an 632. un mondialisme avant l’heure.