Le comité de politique monétaire de la Fed (FOMC) doit se réunir les 15 et 16 mars prochains, sous la houlette de Janet Yellen. Les économistes et le marché des Fed fund futures (contrats à terme sur les taux américains) s’accordent à dire que la Fed ne relèvera pas les taux. Pour ma part, je pense que le relèvement des taux est encore à l’ordre du jour.
Le débat est intéressant mais, en vérité, cela n’a aucune importance. L’économie américaine, en fait l’économie mondiale, s’oriente vers une récession dans le courant de l’année. Que la Fed relève les taux ou bien fasse une pause, cela ne changera rien. Les mesures de la Fed peuvent affecter les marchés à court terme, ainsi que le timing exact de la récession, mais l’issue demeurera la même. L’économie dépasse largement les mesures prises par la Fed et n’en fera qu’à sa tête.
L’argument en faveur du relèvement des taux est simple. La création d’emploi demeure forte aux Etats-Unis, où le taux de participation à la main-d’oeuvre a commencé à augmenter.
Certes, la progression des salaires est faible, et les emplois créés ne correspondent pas à des postes à haut salaire en mesure de stimuler la demande globale. Tout de même, mieux vaut ce type d’emplois que pas d’emplois du tout. D’ailleurs, ce second mandat d’Obama est en passe d’enregistrer la même prouesse, en termes d’emploi, que les années Reagan et Clinton. L’indicateur GDPNow de la Fed d’Atlanta prévoit à présent que le PIB US du premier trimestre est en passe de progresser de 2,2%.
C’est un progrès par rapport à une année 2015 relativement faible et à un quatrième trimestre particulièrement médiocre |
Ce n’est pas une croissance remarquable, mais elle est conforme à la tendance enregistrée depuis 2009. Surtout, c’est un progrès par rapport à une année 2015 relativement faible et à un quatrième trimestre particulièrement médiocre.
L’indice des prix à la consommation (hors alimentation et énergie), le Core CPI, a affiché 2,2% par rapport à l’année dernière. Les coûts liés à l’emploi civil ont enregistré une augmentation de 2% (nominale) pour toute l’année 2015.
Récession probable
Les cours du pétrole et des matières premières semblent avoir décollé de leurs plus bas. Janet Yellen s’est ridiculisée en qualifiant de « passagère » la chute des prix de l’énergie enregistrée au cours de ces 32 derniers mois. Malgré tout, rien ne dure éternellement, et si les cours du pétrole se stabilisent puis augmentent, l’inflation ne sera pas loin derrière. Janet Yellen a insisté sur le fait que la Fed devait avoir une longueur d’avance sur l’augmentation des prix pour la bonne raison que la politique monétaire agit largement à retardement.
La combinaison du chômage à 4,9%, d’une croissance du PIB de 2,2% (avec une tendance à la hausse) et d’une inflation de base de 2,2% (avec une tendance à la hausse) remplit — voire dépasse — les critères de relèvement des taux énoncés par Janet Yellen lors de son discours de Providence (Rhode Island) du 22 mai 2013. Ce discours était sa feuille de route vers un relèvement des taux, lequel s’est produit en décembre dernier. Il constitue toujours un bon indicateur de l’état d’esprit de Janet Yellen concernant la nécessité de normaliser les taux d’intérêt.
Les arguments en faveur d’un scénario où il ne se passerait rien au cours de cette réunion de mars du FOMC sont tout aussi nets. Les marchés actions ont subi des turbulences entre le 1er janvier et le 11 février 2016, conséquence directe du relèvement des taux de décembre 2015, et de la perspective qu’un dollar renforcé pénaliserait les exportations et les recettes réalisées à l’étranger.
Un grand nombre d’autres indicateurs pointent vers une probable récession. Les échanges internationaux se contractent (circonstance très inhabituelle et presque toujours associée à la récession ou à la dépression). Aux Etats-Unis, les indices de la production manufacturière affichent également une contraction.
Or les emplois liés à la production manufacturière payent mieux, en moyenne, que les emplois liés aux services. Par conséquent, un ralentissement de la production manufacturière a un effet disproportionné sur la demande globale.
Aux Etats-Unis, le ralentissement de la production manufacturière produit un effet domino sur le secteur des services |
Dans tous les cas, aux Etats-Unis, le ralentissement de la production manufacturière produit un effet domino sur le secteur des services.
La Fed et ses hésitations
Traditionnellement, le rôle de la Fed est de relever les taux lorsque l’économie s’emballe et de les baisser lorsque l’économie ralentit trop vite. Tout bien pesé, cela n’a pas de sens de relever les taux face à la faiblesse économique globale que révèlent les données.
Pourtant, la Fed n’a jamais pu prévoir une récession de façon précise. Il n’est pas évident que les modèles de la Fed soient capables de prévoir des récessions, car ils se servent d’hypothèses fondées sur l’équilibre pour mesurer l’impact des changements de politique. Même si la Fed ne devrait pas relever les taux en période de récession, il se peut qu’elle les relève quand même car elle n’aura rien vu venir.
En résumé, ce sont les arguments pour ou contre un relèvement des taux. Le camp du relèvement des taux voit une inflation imminente provoquée par la tension sur le marché de l’emploi. Le camp du non-relèvement des taux voit une récession imminente, provoquée par le ralentissement de la production manufacturière et la force du dollar. C’est ironique, mais les deux camps ont peut-être raison. Il existe un terme pour qualifier une hausse de l’inflation en période de récession. Il s’agit de la « stagflation » : la dernière fois qu’elle s’est produite aux Etats-Unis, c’était à la fin des années 1970.
Voilà qui me ramène à ma première question. Qu’est-ce que cela changera, que la Fed relève ou non les taux ?
Enormément de preuves apparaissent actuellement démontrant l’inefficacité de la politique monétaire en termes de stimulation de croissance. Lorsque Ben Bernanke a lancé le premier assouplissement quantitatif (QE), il s’est appuyé sur « le canal de rééquilibrage des portefeuilles » (portfolio channel effect, en anglais : des taux bas ou à zéro appliqués à des valeurs refuges sont censés forcer les investisseurs à s’orienter vers les actions et l’immobilier), et « l’effet de richesse ».
Désormais, cette politique est largement considérée comme un échec. Le canal de rééquilibrage des portefeuilles a fonctionné mais pas l’effet de richesse (cela s’explique par l’effondrement de la vitesse de circulation de l’argent : phénomène psychologique qui dépasse les compétences de la Fed). Cela a provoqué des bulles boursières et immobilières, contexte dans lequel Janet Yellen évolue désormais à ses risques et périls.
De même, les taux d’intérêt négatifs ne fonctionnent pas comme on voudrait bien le faire croire. L’idée, c’est que les taux d’intérêt négatifs sont censés freiner l’envie d’épargner. Du coup, les épargnants sont censés dépenser plus, plutôt que de laisser leur argent à la banque.
Les banquiers, eux, sont censés prêter de l’argent plutôt que de l’entreposer dans leurs réserves excédentaires. La combinaison de ces prêts et de ces dépenses effectués par les banques, les consommateurs et les entreprises, en réaction aux taux d’intérêt négatifs, était censée stimuler les économies ayant tenté cette politique.
Ce qui s’est passé en réalité
En fait, les taux négatifs ont envoyé un signal indiquant que la déflation représentait une menace réelle. Les consommateurs ont réagi en épargnant plus (pour compenser la perte liée aux intérêts), et en dépensant moins (en attendant une future baisse des prix). Par conséquent, on a plus épargné et moins dépensé : exactement le contraire de ce que souhaitent les banques centrales.
Si la politique monétaire ne peut stimuler l’économie, et si l’économie s’oriente vers une récession (pour des raisons échappant au contrôle de la Fed), alors le fait de ne rien faire le 16 mars 2016 n’empêchera pas la récession.
Les cours se sont déjà ajustés en anticipant que les taux ne seraient pas relevés en mars |
En fait, les cours se sont déjà ajustés en anticipant que les taux ne seraient pas relevés en mars. Si cela se produit effectivement, cela ne fera ni grimper les actions, ni baisser le dollar, car les mouvements de marché ont déjà eu lieu sur l’anticipation qu’il n’y aurait pas de relèvement. Nous l’avons déjà eu, notre assouplissement.
Certes, si Janet Yellen relève les taux en mars, cela produira un choc qui fera chuter les actions, grimper les obligations et le dollar. En fait, les cours des actions, obligations et devises se réajusteront rapidement en se basant sur cette action inattendue de la Fed.
La Fed ne se soucie peut-être pas de ce réajustement. Aujourd’hui, elle se soucie de piloter l’économie américaine, pas de soutenir les marchés actions. (Les tentatives d’effet de richesse ont disparu depuis longtemps).
En réalité, le fait que les marchés actions aient considérablement augmenté depuis mi-février offre à la Fed une sorte d’amortisseur permettant de les faire chuter à nouveau sans pour autant atteindre des seuils critiques (disons un S&P 500 à 1 650 points), au cas où elle déciderait de relever les taux. C’est toute la puissance des boucles de rétroaction entre la Fed et les marchés.
Dernièrement, Larry Summers a estimé que la Fed devait être en mesure de baisser les taux de 300 points de base afin de compenser les effets d’une récession. En partant des 25 points de base actuels, et en adoptant une approche progressive, il semble impossible que la Fed puisse obtenir ces 300 points de base avant que la prochaine récession ne s’abatte.
D’un autre côté, rien qu’en relevant les taux, la Fed pourrait accélérer cette récession qu’elle redoute tant. Pourtant, si elle ne relève pas les taux à présent (afin d’avoir des munitions) alors quand le fera-t-elle ? Peut-être bien jamais.
Ces forces compensatoires et arguments contradictoires laissent penser que cette semaine est un moment propice pour vendre des actions. Si la Fed ne relève pas les taux, le potentiel de hausse sera faible car les cours ont déjà été ajustés en fonction de ce scénario. La récession arrivera, quoi que la Fed fasse. Si la Fed relève bien les taux, les cours des actions se réajusteront violemment à la baisse, reproduisant ce qui est arrivé en janvier (et en août dernier).
D’une façon ou d’une autre, pour les actions, le temps se gâte. Il est temps de vendre et de vous réorienter vers les liquidités, les obligations et l’or. Ensuite, bottez en touche, ne bougez pas et regardez ce qu’il va se passer.
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