Après les turbulences touchant deux banques régionales, la crainte d’une crise plus large ressurgit, illustrant les risques liés à la concentration des banques et à une économie surendettée.
En période d’incertitude, tout événement peut faire l’effet d’une bombe. Il ne s’agit pas ici de la nouvelle menace brandie contre la Chine sur le front de la guerre commerciale, bien que la rhétorique de Trump soit désormais bien connue de tous. Mais plutôt d’une crise qui démarre sur le marché du crédit bancaire américain.
Malgré la récente baisse des taux de la Fed, deux banques régionales américaines connaissent aujourd’hui de fortes turbulences à la suite de créances douteuses. Les plus grandes banques américaines, dont UBS et JPMorgan, étant exposées, la crainte d’une contagion refait surface.
Depuis des siècles, l’économie mondiale a toujours évolué de la même manière, à quelques différences près : à des périodes de forte croissance succèdent des périodes de crises qui donnent lieu à de nouveaux cycles, dans un mouvement de destruction créatrice permanent. Dans la fin de cycle que nous vivons, des accidents financiers deviennent donc une évidence. Nous en parlions il y a plus d’un an, et c’est ce que nous prouve aujourd’hui la crise des deux banques régionales américaines, Zions Bancorp et Western Alliance.
En seulement une journée, les deux banques ont ainsi perdu respectivement 13 % et 11 % en Bourse, entraînant dans leur sillage les autres banques régionales et les marchés financiers américains.
Leur cas n’est toutefois pas isolé.
En 2023, les Etats-Unis avaient connu d’importantes secousses après la chute de la Silicon Valley Bank, alors l’une des plus importantes du pays. Ces mouvements avaient déclenché une vague de faillites qui avait contraint la Fed à intervenir avec un programme sans précédent, déjouant par la même occasion toutes les règles établies.
En à peine quelques jours, la banque centrale américaine avait injecté près de 300 milliards de dollars, soit un montant supérieur à celui mobilisé lors de la crise de 2007-2008. Les plus grandes banques du pays, dont JPMorgan, en avaient alors profité pour racheter ces établissements à vil prix, renforçant encore le cannibalisme financier et la concentration inhérente au système bancaire. Beaucoup pensaient que les choses avaient changé, que ce type de crise ne se reproduirait plus et que les investisseurs pouvaient désormais prendre tous les risques possibles, d’autant que le gouvernement américain interviendrait toujours en dernier recours.
Voilà où nous en sommes aujourd’hui…
Par ailleurs, les marges de manœuvre de la Fed sont désormais limitées : l’inflation repart à la hausse aux Etats-Unis, tandis que l’économie américaine ralentit. La Fed est donc incitée à baisser ses taux plus rapidement que prévu, mais, par effet mécanique, les prix augmenteraient davantage, le dollar continuerait de se déprécier et l’or atteindrait de nouveaux records. Ce sont donc le contribuable américain et le dollar qui en paieraient le prix, le premier par la hausse des coûts, le second par la perte de valeur et la baisse de confiance dans le système monétaire américain.
Cet événement laisse également craindre le risque d’une crise bancaire de plus grande ampleur dans les semaines à venir. Etant donné les conditions du marché et des taux encore très élevés, l’enjeu s’étend désormais à l’ensemble du marché du crédit. Rappelons que si la dette publique américaine représente 120 % du PIB, la dette privée est, elle, encore plus importante. D’autant que cette crise touche aussi d’autres établissements bancaires : c’est notamment le cas de la célèbre banque américaine Jefferies, affectée par la faillite de l’entreprise automobile First Brands, directement concernée par l’application de nouveaux tarifs douaniers.
Une fois encore, cette faillite s’est accompagnée d’une manipulation de ses résultats financiers. La dette de First Brands avait été estimée à 6 milliards de dollars, alors que sa mise en faillite a révélé un endettement réel de 12 milliards, soit le double. Une telle manipulation n’est pas anodine : elle permet aux banques de continuer à prêter en fermant les yeux sur les risques encourus. La Grèce avait connu un mode opératoire similaire en 2008, lorsque son déficit fut sous-estimé avant d’être à l’origine de la célèbre crise des dettes souveraines. D’une certaine manière, les pays européens se trouvent aujourd’hui dans une situation comparable : leur dette publique est jugée stable, alors qu’elle menace en réalité de déclencher une crise financière à tout moment.
Aux Etats-Unis, la situation actuelle est d’ailleurs nettement plus délicate qu’il y a deux ans. Malgré des réserves plus importantes chez les banques régionales, leurs clients sont aujourd’hui davantage endettés, et à des taux d’intérêt plus élevés — à l’image d’un pays dont la dette publique croît à un rythme devenu incompréhensible pour le plus grand nombre. D’où le risque accru de défauts de paiement. De plus, les banques américaines sont tenues de détenir des bons du Trésor, ce qui accentue leurs fragilités, alors même qu’elles supportent plus de 395 milliards de dollars de pertes latentes et que la valeur de leurs obligations continue de diminuer.
Au fond, le premier problème est celui de la concentration du système bancaire américain. Cette concentration est le symptôme d’une économie surendettée, qui fonctionne désormais à bout de souffle. Deux chiffres édifiants : le nombre de banques régionales américaines a diminué de 40 % depuis 2008 (et de 70 % depuis 1980), alors qu’elles distribuent près de 38 % des crédits aux Etats-Unis. Quand on sait que la monnaie n’est créée que par la dette et que la distribution de crédits constitue le principal moteur de la croissance, cette concentration freine tout développement économique. Les banques régionales sont le poumon de l’économie d’un pays. Un modèle décentralisé permet de soutenir le tissu productif et l’ensemble de l’économie nationale, et pas seulement ses principaux centres. C’est grâce à cette politique que l’Allemagne avait notamment réalisé un « miracle » au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et que la Chine de Deng Xiaoping avait accompli un rattrapage économique historique après son investiture en 1978.
Pour inverser cette trajectoire, les Etats-Unis devraient faire de la décentralisation une priorité. Premièrement, en s’attaquant véritablement à la dette du pays et à celle de ses Etats fédéraux, de manière concrète et avec un plan d’action à moyen terme. Ensuite, en créant de nouvelles banques de petite et moyenne taille, et en augmentant le nombre de banques régionales pour distribuer des crédits à l’ensemble des entreprises du pays. Egalement, en transférant certaines administrations fédérales ou agences hors de Washington vers les Etats fédérés, afin de donner davantage de pouvoir aux localités. Ces exemples ne sont pas exhaustifs. En revanche, la décentralisation demeure une condition nécessaire pour que le système bancaire américain, et plus largement l’économie du pays, reste pérenne encore un certain temps.