Ce qu’une génération apprend est vite oublié et remplacé par la suivante…
« Nous ne faisons pas qu’étudier le passé : nous en héritons, et l’héritage apporte avec lui non seulement les droits de propriété, mais les devoirs de la fiducie. Les choses pour lesquelles certains se sont battus ou sont morts ne devraient pas être inconsciemment dilapidées. Car elles sont la propriété d’autres personnes, qui ne sont pas encore nées. »
~ Roger Scruton
En fin de semaine dernière, nous avons vu notre vieil ami Nassim Nicolas Taleb dans un journal télévisé. Selon lui, l’enfer est inévitable : il va falloir payer pour « quinze ans de taux d’intérêt nuls. Presque toute une génération a oublié que le crédit a un prix. Aujourd’hui, elle le découvre à nouveau… Et ça va être douloureux ».
« Autant d’argent que nous le voulons »
Aux Etats-Unis, la douleur vient à peine de commencer à se faire ressentir. En Angleterre, la situation est déjà très problématique. Voici un récent article de Bloomberg sur le sujet :
« Le marché hypothécaire britannique est devenu un spectacle d’épouvante pour les emprunteurs et le gouvernement : la flambée des taux d’intérêt est une menace à la fois pour les ménages et pour l’économie.
[…] L’inflation ne ralentit que lentement, ce qui a contraint la banque centrale à agir avec fermeté jeudi, via une hausse plus importante que prévu qui a porté le taux directeur à 5%.
[…] Le resserrement de l’économie se répercute sur les revenus, et prive donc les ménages de l’argent qu’ils auraient pu dépenser dans les magasins, les bars et les restaurants ; ceci pèse sur l’économie qui ne devrait croître que de 0,2% cette année. Seule l’Allemagne devrait enregistrer une performance plus faible, parmi les principales économies développées. »
Durant son intervention télévisée, Taleb avait un message à faire passer :
« Mon conseil aux investisseurs est de se retirer des grandes actions du secteur de l’IA… et de rester à l’écart de l’immobilier. »
« Mais nous avons accès à la monnaie de réserve mondiale », a protesté le journaliste. « Nous pouvons imprimer autant d’argent que nous le voulons. »
Taleb a ri.
Bordeaux, Bourgogne et bulles
Nous nous trouvons actuellement en France, dans un château poitevin délabré que nous avons acheté il y a près de 30 ans. Nous y avons vécu pendant plus de dix ans. Aujourd’hui, nous y sommes revenus pour repeindre les volets et rassembler toute la famille. La maison est grande. Il y a donc beaucoup de place pour nos six enfants, et leurs familles qui s’agrandissent.
Actuellement, nous n’avons qu’un seul de nos petit-fils avec nous. A 15 ans, il est l’aîné de nos petits-enfants. Il apprend à parler français avec un de nos voisins, à faire de la menuiserie avec son grand-père… et à faire la bise avec sa grand-mère. Mais surtout, nous lui transmettons des compétences vitales, comme faire la distinction entre une bouteille de Bordeaux et une bouteille de Bourgogne… et comment repérer une bulle qui se forme sur les marchés.
La Fed a fait une pause. Alors, nous allons faire une « pause » à notre tour. C’est une belle journée d’été dans la campagne française. Il ne fait pas trop chaud, ni trop froid. Il y a des oiseaux dans les arbres, et des amoureux, nous supposons, dans les bras l’un de l’autre. Nous allons donc nous asseoir au soleil, comme un écrivain à la retraite, et faire le point.
Notre objectif ici à La Chronique Agora, est de « relier les points entre eux ». Mais il y en a des millions… au moins autant que les étoiles dans le ciel. Comment les comprendre ? Nous étudions les amas d’étoiles… les constellations… et les groupes qui semblent correspondre à un modèle ou une forme particulière.
Au-dessus de ce firmament se trouve une idée… une lumière vive qui nous guide à travers ce qu’il se passe dans le monde, tel un prisonnier de guerre à travers un champ de mines.
Après tout, nous sommes les enfants de nos parents. Et eux-mêmes étaient les enfants de leurs propres pères et mères. Chaque génération a ses idées, ses objectifs, et un sens de ce qui est bien et ce qui est mal. Qu’est-ce qui nous fait penser que nous sommes plus intelligents qu’eux ?
Ils ont érigé des monuments. Notre génération les démolit.
Ils croyaient en la liberté d’expression. Nous croyons à la censure.
Ils croyaient en la liberté des marchés. Nous pensons que le gouvernement doit contrôler l’économie.
Racistes vertueux
Les dernières 150 générations ont régulé et protégé le capital grâce aux taux d’intérêt ; mais au cours des 15 dernières années, nos génies ont prétendu que les taux n’avaient pas d’importance.
En 1990, le secrétaire d’Etat américain James Baker a assuré à Mikhaïl Gorbatchev que les puissances occidentales n’avanceraient « pas d’un pouce » vers la Russie. Mais une génération plus tard, les chars, les drones et les satellites d’espionnage américains sont désormais tous mis à contribution pour tuer les soldats russes.
Une génération était raciste. La suivante les pointait du doigt. Aujourd’hui, nous sommes redevenus des racistes bien-pensants, prêts à accorder des privilèges spéciaux à des groupes particuliers.
Les dépenses financées par le déficit étaient presque un péché pour une génération. Puis d’autres générations ont accumulé 32 000 Mds$ de dettes.
Une première génération pensait que les actions « Nifty Fifty » [NDLR : les 50 « meilleures » actions des années 1960 et 1970) seraient de bons investissements à long terme. On achète. On garde. On s’enrichit. La génération suivante pensait que ce serait les « dot-com » qui la rendraient riche. Et aujourd’hui, ce sont les super-technologies alimentées par l’IA qui sont visées.
Chaque génération a ses propres délires et sera toujours prête à payer des prix absurdes pour ses actifs préférés… ou à commettre des meurtres pour sa cause favorite. C’est ce que nous appelons la suffisance de l’être humain. Il s’agit de la croyance qui voudrait que nos ancêtres soient tous des imbéciles… et que nos descendants nous remercieront chaque jour de leur avoir transmis la vérité ultime.
Mais « l’orgueil précède la chute ». Les modes changent. Lesquelles disparaîtront ? Lesquelles perdureront ? Que vaudront les grandes entreprises technologiques dans cinq ans ? Et que dire des 100 000 Mds$ de biens immobiliers américains… Leur prix est fixé pour un monde dans lequel les prêts hypothécaires sont à 4%. Que vaudront-ils lorsque les investisseurs réaliseront qu’ils sont à 7% ?
Nous reviendrons sur ces questions demain.