** La chute libre de Wall Street que les opérateurs redoutaient vendredi n’a pas eu lieu — tout du moins pas en clôture : le Nasdaq a clôturé quasiment stable (-0,1% après avoir affiché jusqu’à 1% de gain au cours de la dernière heure).
Les opérateurs qui croyaient arrivée la fin du monde à la mi-séance ont failli croire au miracle vers 21h (heure de Paris) lorsque le Dow Jones est revenu à l’équilibre — tandis que Bank of America, qui dévissait de 27% (à 2,53 $) deux heures auparavant, passait positif et inscrivait un plus haut à 4,09 $ avant d’en terminer sur un repli de 3,56 $ à 3,79 $.
Les intervenants ont salué la confirmation par Washington d’un rejet de principe des nationalisations et son souhait que les banques en difficulté se maintiennent dans le secteur privé… mais la question du sauvetage de Citigroup (qui s’effondrait au final de 22,3%) demeure ouverte.
** Le Dow Jones a subi une nouvelle vague de dégagements au cours du dernier quart d’heure ; il a terminé sur une perte de 1,3% qui s’explique peut-être d’avantage par des considérations "tactiques" que par une réelle persistance du pessimisme. La séance de vendredi correspondait en effet à la journée d’expiration des options et contrats à terme sur indices, et les bears avaient tout intérêt à casser l’indice pour maximiser leurs gains mensuels (sur leurs positions à découvert).
Parmi les ventes à découvert les plus fructueuses, nul doute que celles initiées sur General Motors (-20% à 1,52 $ pour une capitalisation réduite à moins de un milliard de dollars) ou General Electric (-6,8% et un retour sous la barre des 10 $ pour la première fois depuis 1995) laisseront un souvenir ému — et un arrière-goût de grand cru de champagne millésimé — à ceux qui auront "appuyé" sur les cours jusqu’à ce que le rideau de velours noir tombe sur l’échéance février.
** Les valeurs américaines ont abandonné 5,2% (Nasdaq 100) et 6,2% (Dow Jones) sur la semaine contre -8,25% pour Paris. Certes, on a déjà vu pire début janvier 2009 puis début décembre 2008… mais le climat boursier était tout simplement exécrable, aucune issue à la crise ne semblant plus envisageable à court terme.
Les dégâts ont été considérables : les places européennes ont dévissé de 4,9% (si l’on se réfère à l’Eurostoxx 50), Paris chutait de 4,25% — alors que les pires scénarios circulaient dans les salles de marché au sujet d’AXA, dégradé par Standard & Poors et que l’on disait acculé à lancer une augmentation de capital (une rumeur amplifiée par l‘absence de réaction de l‘assureur face à un effondrement de 30% de son cours en cinq séances).
Avec un titre AXA littéralement dynamité par la spéculation (-18,5%), la bourse de Paris a clôturé au plus bas du jour, enfonçant au passage les planchers du 23 janvier dernier. Le climat de capitulation était comparable à celui ressenti lors de la mise en faillite de Lehman (le 15 septembre) puis lors de l’effondrement des banques commerciales américaines mi-novembre.
** Et comme si ce vent de panique ne suffisait pas, ce fut au tour des valeurs "industrielles" (Saint-Gobain, Lafarge) de susciter l’effroi sur les marchés avec des augmentations de capital en série… sans oublier les difficultés du constructeur suédois SAAB, qui fait actuellement l’objet d’une procédure de sauvegarde.
En ajoutant à ce sombre tableau l’abaissement des prévisions de croissance du FMI (croissance mondiale nulle en 2009), l’effondrement du secteur immobilier aux Etats-Unis et la déconfiture du Japon, plus personne ne voit d’où pourrait venir le salut.
** Pas de la BCE : elle se refusera à réduire son taux directeur de plus de 50 points de base début mars. Pas plus des plans de relance européens, insuffisamment ambitieux et mal coordonnés selon Dominique Strauss-Kahn… Mais ils apparaissent déjà beaucoup trop coûteux au regard de la Commission européenne qui veille au respect scrupuleux des autorisations de déficit des états.
Et Jean-Claude Trichet trouve justifiée la mise en garde adressée au gouvernement français, comme si la dérive des comptes publics pouvait être maîtrisée par le biais d’un peu de rigueur et de courage politique (celui de réduire les dépenses sociales), à l’exemple des 10 années de référence qui précédèrent l’adoption des critères de Maastricht.
L’incendie fait rage mais "JCT" continue de s’alarmer du coût de la facture d’eau. Il n’a même pas dit un mot, vendredi matin, du degré de stress et de désespoir qui précipite les marchés financiers européens 14% plus bas en 10 séances et propulse l’or au-delà de 1 000 $.
La BCE ne cesse de se targuer de sa gestion du robinet des liquidités mais ne se montre guère inquiète de voir les banques commerciales maintenir fermées les vannes du crédit. Pas question de leur adresser le moindre reproche, pas question de s’alarmer de l’asphyxie financière des entreprises et des ménages… Non, les coupables sont encore et toujours les salariés et les Etats trop dépensiers.
La BCE n’a rien à se reprocher, ni son aveuglement, ni sa mansuétude envers les banques lorsqu‘elles s’enivraient d‘actifs toxiques… C’est cette infaillibilité qui l’autorise à distribuer avec arrogance les bons et les mauvais points ; c’est cette infaillibilité qui pourrait lui valoir de se voir confier par les gouvernements européens (elle en rêve depuis longtemps) un plus grand pouvoir de contrôle des mouvements de capitaux entre les établissements financiers — ce qui était prévu dans une annexe du projet de constitution rejeté par la France en 2005.
** La BCE réaffirme — contre toute évidence — que nos économies ne sont pas en déflation. Aux Etats-Unis, il est clair que le métal précieux (1 005 $ l’once, au plus haut vendredi) ne surfe pas sur des signaux de flambée des prix puisque ces derniers ont progressé de 0,3% aux Etats-Unis en janvier (+0,2% hors énergie), ce qui correspond à un rythme annuel de +1,7% (et probablement pas plus de 1,5% en février). Ce sont les chiffres les plus faibles observés depuis 1995.
En France, le moral des industriels ressort au plus bas depuis 1976 avec un indice composite de l’INSEE en recul de cinq points, à 68 (le seuil des 100 constituant la moyenne historique).
L’enquête de l’INSEE brosse un portrait au goudron de l’activité française en ce début d’année 2009. Le PIB continue de se contracter sur un rythme très élevé, comparable au dernier trimestre 2008 (recul de 1,2%). Les commandes à l’industrie en provenance de l’étranger se replient très rapidement, les secteurs des biens intermédiaires et de l’automobile sont les plus impactés.
L’INSEE évoque carrément un phénomène de rupture à la baisse dans le secteur des biens d’équipement et de consommation. Les chefs d’entreprise hexagonaux anticipent une accélération de la dégradation au cours des six ou neuf prochains mois et n’entrevoient aucune fenêtre de sortie de crise.
Allons, courage, avec les 37 euros par mois et par habitant du plan de relance du gouvernement français, les Etats-Unis n’ont qu’à bien se tenir et tirer les leçons de leurs propres erreurs : mais pourquoi gaspillent-ils l’équivalent de 160 euros/mois et par citoyen ?
Philippe Béchade,
Paris