Par Bill Bonner (*)
Un aveugle aurait pu voir arriver le désastre du subprime. Mais d’une manière ou d’une autre, les Mozart de la finance l’ont manqué. Que s’est-il passé ? On peut poser un diagnostic en observant la manière dont les petits génies gèrent le risque. Bien entendu, ils n’ont pas vraiment de moyens de savoir ce qu’est vraiment le risque ; personne ne peut connaître l’avenir. Pour autant que nous en sachions, une épidémie pourrait tous nous éliminer au cours des trois prochaines semaines. Personne ne sait ce que sera le prix du pétrole mardi prochain… ou l’an prochain… ou dans 10 ans. Pas plus que nous ne savons quels sont les risques réels auxquels est confronté le marché pétrolier. La guerre… la météo… les progrès technologiques… qui sait ?
Mais plutôt que d’admettre qu’il ne savait tout simplement pas… le secteur de la finance s’est embarqué dans une vertigineuse série de mythes et de vanités qui avaient de quoi couper le souffle aux dieux.
Puisqu’ils ne pouvaient pas connaître le risque réel, les financiers lui ont substitué la volatilité, en guise de remplacement — ce qui revient plus ou moins à mettre une poupée gonflable à la place de votre épouse lors d’un dîner ; la conversation risque d’être plutôt languissante, mais au moins, elle ne vous contredira pas.
Une fois le risque muselé, les financiers pouvaient dire tout ce qu’ils voulaient. Ils pouvaient prétendre que les mouvements de prix, par exemple, ressemblaient aux phénomènes naturels. C’était absurde et tout le monde le savait. Les prix dépendent de ce que pensent les gens ; pas les éruptions volcaniques. Mais dans les années 60, Richard Fama présenta l’Hypothèse des Marchés Efficients comme s’il avait volé le feu divin. Il affirma que les données boursières pouvaient être traitées comme s’il s’agissait d’évolutions aléatoires. Si Rome n’avait été frappée par un tremblement de terre qu’à deux reprises au cours des 100 dernières années, le "risque" d’un futur séisme n’était que de 2%. Pour autant qu’ils en sachent, les rues de la Ville Eternelle pouvaient danser le rock’n’roll pour les 200 années à venir… mais ce petit subterfuge donnait du grain à moudre aux mathématiciens. En traitant les variations de prix comme des données sismiques, ils pouvaient faire toutes sortes de simulations fantastiques… et inventer de nouveaux produits pleins de fantaisie, comme des portefeuilles faisant jouer l’effet de levier sur la dette subprime. En utilisant les normes historiques, ils agglutinèrent les mauvais crédits comme on fait une terrine de gibier, et — dans un miracle qui aurait laissé Jésus-Christ pantois — ils les transformèrent en crédits AAA.
Tout cela n’était que des absurdités. Les prix que l’on pensait aléatoires n’étaient pas aléatoires du tout, mais bien la conséquence de pratiques, d’idées et d’institutions élaborées au fil des siècles. Changez les circonstances… et les chiffres changent aussi. Comme le dit George Soros, les marchés sont "réflexifs". En d’autres termes, les prix ne sont ni fixes ni aléatoires… mais soumis à des influences. Il a été observé, par exemple, que les actions surperforment les obligations à long terme. Des actions pour le long terme, tel était le titre d’un best-seller de l’investissement en 1994, qui déclarait que les actions boursières vous rendraient riche si vous les déteniez durant assez longtemps. Cette récompense à long terme venait en retour de la volonté des investisseurs de prendre des risques à court terme ; on appelait cela la prime de risque… qu’on définissait, une fois encore, comme de la volatilité. Les actions baissaient sur certaines périodes, mais grimpaient toujours à long terme. Ainsi, pour une personne qui pouvait attendre, il n’y avait pas de risque du tout.
En 1999, aucune vérité n’était plus évidente : les actions vous rendraient riches. A cette époque, le monde financier brillait de tous ses feux… les actions avaient été multipliées par trois depuis 1994 — pour dépasser les 11 000 sur le Dow à la fin de l’année 1999. Il était désormais temps de verser de l’huile sur le feu. Un autre best-seller fit son apparition cette année-là : Dow 36 000.
Personne ne semblait s’apercevoir que les données dont on s’était servi pour convaincre les investisseurs que les actions étaient de parfaits investissements avaient été enregistrées à un moment où les gens pensaient que les actions n’étaient pas si extraordinaires que ça. Durant une bonne partie de l’histoire boursière, les investisseurs avaient demandé des taux de rendements plus élevés de la part des actions que des obligations — pour compenser le risque. Et ils avaient rarement payé plus de 20 fois les bénéfices. Pourtant, en 1999, le PER du S&P dépassa les 32 — soit environ le double de la moyenne de long terme. Les circonstances avaient changé ; les anciennes idées n’étaient plus valables. Et les feux s’éteignirent.
Le Dow pourrait encore atteindre les 36 000 — probablement lorsqu’une tasse de café coûtera 132 $. On est désormais dix ans plus tard ou presque, et le Dow est revenu là où il avait terminé 1999. Pendant ce temps, le dollar a perdu environ 30% de son pouvoir d’achat… si bien que l’investisseur qui croyait aux actions pour le long terme a vu un tiers de son investissement partir en fumée.
Meilleures salutations,
Bill Bonner
Pour la Chronique Agora
(*) Bill Bonner est le fondateur et président d’Agora Publishing, maison-mère des Publications Agora aux Etats-Unis. Auteur de la lettre e-mail quotidienne The Daily Reckoning (450 000 lecteurs), il intervient dans La Chronique Agora, directement inspirée du Daily Reckoning. Il est également l’auteur des livres "L’inéluctable faillite de l’économie américaine" et "L’Empire des Dettes".