** La déception est à la hauteur des espoirs nourris par les marchés américains depuis 10 jours : les investisseurs, les cambistes, les commentateurs s’étaient crus autorisés à anticiper un geste fort de la Fed… mais elle a joué « petit bras » mardi soir.
Pour Wall Street, un seul slogan, scandé à mi-voix, faisait vibrer la bonne corde : -50 points sinon rien ! Mais la Fed ne consent qu’à un abaissement limité à 25 points de base de son taux directeur. Il en résulte une chute de 2,15% du Dow Jones, de 2,45% du Nasdaq et surtout de 2,5% du côté du S&P 500, la chute la plus forte depuis le 1er novembre dernier, avec 95% de titres clôturant dans le rouge.
Les derniers acheteurs avaient intérêt à serrer leurs stops, car en tenant compte des niveaux tutoyés avant le communiqué final de la Fed, les indices américains ont dévissé en ligne droite de 2,8% à 3% — en l’espace de moins de deux heures — dans le sillage des valeurs financières et immobilières qui, elles, chutaient de 5% en moyenne.
Les promoteurs et leurs partenaires spécialistes du crédit hypothécaire ont été passés au laminoir avec 12% et plus sur Pulte Homes, Centex, Washington Mutual, et 10% à 11,5% sur Kaufman & Broad, DR Horton ou Countrywide.
Faux pas ce mardi ou faux espoirs lundi ? Les marchés américains ont tranché sans ambiguïté mardi soir. Il leur reste maintenant à revoir à la baisse leur optimisme démesuré concernant la progression des bénéfices en 2008 et 2009.
** Le faux pas, c’est la Fed qui l’a commis en prenant une décision que Wall Street a perçue comme une demi-mesure. Une baisse de taux « standard » dont l’efficacité est plus que douteuse… mais Ben Bernanke a estimé qu’il n’y avait pas urgence à faire davantage.
Dans le détail, l’analyse macro-économique de la Fed pouvait amplement justifier un abaissement du prime rate vers 4%. Voici en substance les moments forts du communiqué publié à 20h15 : « La récente détérioration des conditions sur les marchés financiers accroit l’incertitude au sujet des perspectives de croissance et d’inflation aux Etats-Unis. La croissance économique ralentit pour cause d’intensification de la correction dans le secteur immobilier, ce qui entraîne un certain affaiblissement des dépenses des ménages et des entreprises. »
Wall Street aurait pu considérer que la Fed a voulu garder quelques munitions pour le début de l’année 2008. Mais avec un retour du Dow Jones à 2,5% de son zénith annuel et historique — 13 750 points en début de séance ce mardi –, les opérateurs avaient largement pricé un geste de -0,5%… qui n’est pas au rendez-vous ! Le dollar ne profite qu’à peine de la prudence de la Banque Centrale puisqu’il grappille 0,3% seulement à 1,4660 euro. Et le pire, c’est que le pétrole ne reperd qu’un petit peu de terrain à 89,3 $ le baril, après avoir repris 2 $ en début de journée. Ce n’est pas comme cela que Wall Street pourra écarter l’hypothèque inflationniste associée à la flambée de l’énergie.
** En ce qui concerne le risque de récession, la Fed a en partie ignoré la teneur des derniers communiqués du FMI et l’OCDE. Ces derniers ont effectivement revu à la baisse leurs prévisions de croissance au cours des 24 prochains mois, dans les trois principales zones économiques que sont l’Amérique, l’Europe et l’Asie du Sud-Est — de façon symbolique pour la Chine et avec des perspectives maintenues pour le Japon.
Le ralentissement le plus brutal est anticipé aux Etats-Unis, ainsi qu’en France où l’on risque ainsi de travailler plus pour gagner moins…
Cela ne se présente pas très bien non plus pour l’Allemagne où les excédents commerciaux ne suffisent plus à soutenir le moral des milieux d’affaires. La chute du dollar commence à peser lourd et les principales industries exportatrices estiment avoir mangé leur pain blanc.
** L’indice ZEW s’avère donc très décevant outre-Rhin. Il plonge de 4,7 points début décembre — jusque sur 32,5 points — et affiche son plus bas niveau depuis 15 ans, enregistré au plus fort de la récession fin 1993. Il n’y a plus qu’à espérer que le baromètre de l’institut francfortois IFO apporte un bémol au climat psychologique négatif qui s’impose depuis septembre.
La bourse allemande s’est repliée de 0,3%, mais le DAX 30 s’est maintenu au-dessus du seuil psychologique des 8 000 points. Il garde ainsi le contact avec son zénith annuel (et historique) des 8 150 points, affichant au passage une performance de 21,5% depuis le 1er janvier. Cela demeure sans équivalent en Europe puisque Madrid gagne au mieux 12,5% et Paris 3,3%. La rechute de 0,45% du CAC 40 n’a effacé qu’une partie des gains de la veille et le palier des 5 700 points a été préservé in extremis.
La lanterne rouge est toujours tenue d’une main ferme par Bruxelles : le Bel 20 recule de 5,3% cette année, alors que la Belgique fêtait ce 11décembre son sixième mois sans gouvernement. Voilà un cas de figure inhabituel en Europe mais qui fait quelques envieux aux Etats-Unis, puisque les ultra-libéraux n’hésitent pas à imputer la responsabilité de la crise du subprime au manque de discernement des politiques qui n’ont rien vu venir.
** Ah ! Si seulement la Maison-Blanche avait donné carte blanche aux marchés pour se dépêtrer de la bulle immobilière ! Les prix des maisons auraient chuté plus rapidement, le « bois mort » des spéculateurs mal inspirés serait entassé par terre, et les investisseurs étrangers se précipiteraient déjà pour investir dans les firmes les plus rentables ! Pour cela, il n’y a qu’à constater le succès rencontré par les plans de recapitalisation de Citigroup fin novembre puis d’UBS, MBIA ou Washington Mutual ces dernières 48 heures.
Au lieu de cela, les dernières mesures de gel des remboursements d’emprunts à géométrie variable vont prolonger les souffrances des emprunteurs imprudents et peut-être même les encourager à charger encore davantage leurs cartes de crédit. Au final, tout cela risque de déboucher sur une épidémie de faillites personnelles au cours des prochains mois.
Le remède pourrait donc s’avérer pire que le mal : pour une fois, nous sommes d’accord avec Larry Kudlow !
L’euphorie des quatre dernières séances avait permis aux indices américains d’engranger plus de 3,5%. Le bilan penche encore en faveur des acheteurs d’un mercredi sur l’autre — gain résiduel de 1% — mais le rally de fin d’année et le retracement des 14 000 points par le Dow Jones espéré à l’horizon du 21 décembre prochain constituait peut-être le miracle de trop… quand bien même la Fed aurait choisi de rester sur la même longueur d’onde que Wall Street.
Mais de quoi les gérants peuvent-ils se plaindre depuis le 21 novembre dernier ? Le S&P 500 a repris 8% et le lundi 10 décembre, le Nasdaq affichait une performance de 21% en 50 semaines. Auriez-vous cru cela possible alors que les subprimes ont déjà coûté plus de 100 milliards de dollars aux banques, assureurs, SIV, hedge funds américains ? Et pendant ce temps, la fraction immobilière du patrimoine des ménages américains s’est dépréciée de 12% en moyenne et de 30% dans certains comtés de Californie, de Floride ou du Nevada.
La récolte de bois mort s’annonce encore plus abondante en 2008… Mais il n’est pas certain que les marchés américains en prennent encore prétexte pour flamber !
Philippe Béchade,
Paris