La comparaison entre la sortie de crise du Covid-19 et la période d’après-Première guerre mondiale ne tient pas – pour de multiples raisons. Il faut se préparer à des conditions économiques difficiles…
Comme je le dis de longue date, les taux de profitabilité du capital total déclinent. Je ne vois aucune raison de s’attendre à une amélioration en la matière – au contraire – dans les circonstances présentes. Or vous savez que je considère cette variable de la profitabilité du capital comme centrale dans nos systèmes.
Certains pensent que les programmes de relance budgétaire et d’infrastructure du président américain Joe Biden constituent une injection énorme de dépenses publiques (16% du PIB américain), qui « amorceront la pompe » d’une explosion des investissements – laquelle déclenchera des « années folles ».
C’est certainement l’espoir ou l’attente de nombreux économistes keynésiens. Je ne suis pas sûr que les programmes de dépenses publiques, compte tenu de leur contenu politique, soient très favorables à une amélioration de l’efficacité.
A ceux qui le croient, je renvoie à l’exemple japonais. L’existence de « besoins » dans une société ne garantit malheureusement pas que les investissements correspondants soient rentables ; la plupart du temps ils pèsent sur le taux de profit au lieu de le bonifier.
La référence au programme du New Deal de Roosevelt est souvent avancée. Elle ne résiste pas à une analyse sérieuse. Le révisionnisme historique impute la reprise de l’économie américaine après la crise de 1929 à ce programme afin de le légitimer.
Si même Keynes le dit…
La preuve historique est maintenant bien administrée que le New Deal n’a pas rétabli la prospérité pour le capitalisme américain. C’est la Deuxième guerre mondiale qui l’a rétablie.
Keynes lui-même l’a dit et écrit : c’est l’économie de guerre qui a relancé l’économie américaine. Selon un article célèbre, Keynes explique que la relance par la demande est :
« … Politiquement impossible, une démocratie capitaliste ne peut organiser les dépenses à l’échelle nécessaire pour faire les grandes expériences qui prouveraient mon argument – sauf dans des conditions de guerre. »
Le fait que beaucoup de gouvernements emploient un langage guerrier à des fins de propagande ne signifie pas que nous sommes effectivement dans les conditions de guerre ; il manque les destructions, elles ne s’inventent pas.
En fait, on retrouve, dans les arguments keynésiens, toujours la même structure : on veut le résultat – ce que l’on retrouve dans la Théorie monétaire moderne –, on veut le positif, mais sans avoir à subir le négatif, les coûts.
Oui, il est possible d’avoir de longues périodes de prospérité et de connaître des « années folles » mais il faut, avant, avoir accepté de souffrir et de payer. Le « on rase gratis » est la racine du keynésianisme.
Un bonus passager et trompeur
Il y aura bien sur un dopage passager, car les dettes des gouvernements, en forte hausse, constituent des bonus pour les profits des sociétés par simple jeu de vases communicants, mais cela ne peut être que passager.
Il faudrait supposer une vague de dépenses d’équipement productifs significatives qui produisent de la productivité et des revenus pour tous, rapidement. Rien n’autorise à le supposer.
Certains médias avancent la comparaison avec la grippe dite espagnole et la sortie de la Première guerre mondiale. C’est un mauvais exemple car les conditions sont radicalement différentes.
L’épidémie et la guerre ont en quelque sorte cyniquement assaini la situation fondamentale – elles ont nettoyé la pourriture. Ici, au contraire, on a refusé une fois de plus l’assainissement et l’opération vérité.
Je ne dis pas que les choses ne peuvent pas s’emballer, c’est une question d’humeur sociale. Je dis simplement que si elles s’emballent, les déséquilibres non résorbés et les problèmes non résolus vont s’aggraver au centuple. Et on ira dans le mur.
La récession de l’époque fut brutale et profonde. Le marché boursier y a perdu près de la moitié de sa valeur, tandis que le chômage atteignait quasiment 20% et que d’innombrables entreprises faisaient faillite. Il y a eu une véritable destruction propice au rebond.
Pendant la profonde récession de 1920-21, la rentabilité du capital a chuté de 44% au Royaume-Uni, de 38% en Suède et de 9% aux Etats-Unis. Dans les années qui ont suivi, la rentabilité a augmenté de 14% aux Etats-Unis, de 75% au Royaume-Uni, de 8% aux Pays-Bas et de 31% en Suède (Source : Esteban Maito).
Les conditions ne sont pas les mêmes
La destruction d’alors a créé les conditions d’une reprise spontanée, bonifiée par les innovations en cours de diffusion : l’électrification généralisée des logements et des usines, l’introduction d’appareils électroménagers comme les réfrigérateurs et les machines à laver, l’adoption rapide de l’automobile, la croissance des stations de radio commerciales et des cinémas.
Toutes ces technologies ont décollé dans des applications commerciales.
La productivité du travail a augmenté plus rapidement au cours des années 1920 qu’au cours de la décennie précédente ou suivante.
De même, la « productivité du capital » a fortement augmenté au cours des années 1920 avec l’accélération, en particulier, de l’utilisation de l’énergie et des transports. La croissance de la productivité du travail a été en moyenne de plus de 5% par an et celle du capital de plus de 4% par an.
Bref, à cette époque nous étions en début d’un cycle. Actuellement, nous sommes en fin caractéristique d’un cycle qui a déjà été prolongé inconsidérément et qui comporte de multiples fragilités – dont la moindre n’est pas la financière.
A suivre…
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]