En anticipant une future hausse des profits, la hausse des Bourses depuis plus des décennies a créé un énorme besoin de profits.
Les dysfonctionnements de nos économies ne se donnent pas à voir par eux-mêmes, ils se manifestent par des symptômes.
L’inflation des prix des biens et des services n’est pas un « mal » en soi, ni une « maladie économique » ; non, c’est un symptôme d’un mal beaucoup plus profond d’un mal radical qui est le manque de profit. Le profit dans le système n’est pas considéré comme suffisant par ceux qui y ont droit.
Le capital n’est sous cet aspect pas très différent du travail : il a une idée, une attente du profit qu’il espère quand il investit. Le travail a lui aussi une attente de ce qu’il espère quand il travaille.
Personne n’en parle, car il faut faire oublier que la question du profit en système capitaliste est la question la plus importante. Comme cette question est importante, il faut l’occulter. Il faut que les citoyens ne comprennent pas le système dans lequel ils vivent, car s’ils comprenaient, ils poseraient les bonnes questions.
A la recherche de rentabilité
L’inflation des prix des biens et des services a pour origine le besoin qu’ont les patrons, les détenteurs du capital, de remonter le taux de profit de leur activité. Ce taux a eu tendance à baisser pendant longtemps ; les charges augmentent sans cesse, les prélèvements, les normes se multiplient aussi, donc le taux de bénéfice est perçu comme insuffisant.
Et j’ajoute dès maintenant que cette perception est correcte : effectivement le taux de profit sur longue période ne cesse de s’éroder.
Mais, me direz-vous, la Bourse ne cesse de monter, et le Capital ne cesse de s’enrichir. C’est faux. La Bourse ne cesse de devenir plus chère, oui ! Cela signifie que les multiples cours par rapport aux bénéfices ne cessent de monter, mais si vous voyez les choses sainement, vous comprenez que si le PER – le multiple cours/bénéfice – monte, cela signifie que le rendement de votre investissement boursier ne cesse de chuter.
C’est pour cela que les vrais investisseurs comme Warren Buffett ne trouvent plus d’occasions rentables de placer leur argent.
Le capital « s’enrichit » fictivement par cette hausse de la valorisation du capital, mais réellement, symétriquement, il s’appauvrit, car ce capital rapporte de moins en moins !
Le capital fait une plus-value sur la valeur de son capital, mais, en contrepartie, il se contente de taux de profits de plus en plus faibles. Et j’ajoute – mais c’est une autre histoire – que le taux de profit est de plus en plus bas alors que le taux de risque, lui, est de plus en plus colossal. Eh oui !
Spéculation et investissement
Tous les raisonnements sur ces questions sont faussés et brouillés, parce que les gens mélangent tout et confondent la spéculation, qui est un jeu Ponzi sur les prix, et l’investissement, qui est une association de long terme avec l’entreprise qui repose sur le bénéfice interne, ou sur le profit réalisé par l’entreprise.
Le capital s’enrichit par le Ponzi, mais, fondamentalement, le Ponzi signifie qu’il doit se contenter d’un rendement faible de son investissement et qu’il compte sur la chaîne du bonheur Ponzi pour compléter par des plus-values son rendement insuffisant.
C’est d’ailleurs pour cela que les valeurs technologiques sont très chères : elles ont une vraie rentabilité du capital qui est élevée, mais comme les vraies rentabilités du capital élevées sont très rares, elles sont chères car tout le monde en veut.
Le « truc » qui a été trouvé par les banquiers centraux pour attirer l’argent en Bourse est un piège : certes, en branchant une loterie ou un entonnoir sur la Bourse, on fait monter la valorisation du capital, et les capitalistes se croient riches ; mais c’est fictif, car le rendement de leur capital, lui, s’effondre au fur et à mesure de la hausse de cours !
En passant, allons à l’absurde ; un capitaliste vraiment riche, c’est un capitaliste qui a tout vendu, vendu tout son capital ! Mais l’ennui est qu’il se trouve face à un problème de remploi : quoi acheter ? La destruction est globalement inévitable ; seuls ceux qui auront vendu juste avant seront sauvés, mais encore faut-il qu’ils aient su faire quoi de leur argent ! Je suis sûr que c’est le problème de la dynastie Rothschild : que faire du pognon ?
Le système que je décris, qui est le système réel, non-su, non-connu, est un piège à cons historique.
Besoin de capital
Revenons à l’exposé.
Le taux de profit, c’est le ratio du profit divisé par la masse de capital engagé.
Le taux de profit, ce n’est pas la marge bénéficiaire par rapport au chiffre d’affaires, parce que la marge ne tient pas compte du capital engagé. On peut faire du chiffre d’affaires avec plus ou moins de capital selon les activités et le degré de modernisation / d’équipement.
SI vous faites 100 de chiffres d’affaires avec un capital de 10, alors votre rentabilité est bonne ; mais si vous faites le même chiffre d’affaires de 100 avec un capital de 90 alors votre rentabilité est mauvaise.
Or, deux phénomènes se conjuguent pour augmenter le poids du capital dans les chiffres d’affaires :
- la modernisation, le progrès technique, le besoin d’investissement en continu, la concurrence ;
- l’inflation de la valeur du capital, inflation transmise par la hausse contagieuse des actions, et des indices boursiers : la hausse de la Bourse, c’est une hausse de la valeur du capital, cela augmente le poids du capital dans le système.
Donc il faut toujours plus de capital pour faire le même chiffre d’affaires dans le monde moderne. Le ratio de la masse de capital par rapport au PIB ne cesse de monter !
C’est ce que nous disent par exemple Hussman ou Buffett lorsqu’ils disent que les bourses sont chères et qu’elles finiront par s’effondrer : la capitalisation boursière, c’est-à-dire la valeur de marché du capital, est beaucoup trop élevée par rapport au PIB, qui mesure la production de richesses, et donc la possibilité de profit.
A la moindre occasion
Malgré le retard des salaires depuis près de 30 ans, malgré la hausse du taux d’exploitation des salariés et l’élargissement des marges bénéficiaires par rapport aux chiffres d’affaires, le Capital et ses détenteurs jugent à juste titre que leurs profits sont insuffisants.
Et ils sont réellement insuffisants en regard de la masse considérable de capital qui est engagée dans l’activité économique et dans le business en général ; insuffisants en regard de la valorisation boursière de ce capital, valorisation boursière gonflée par des décennies de création de monnaie et de crédit.
Les mises de capital et les valorisations de ce capital étant excessives, les détenteurs cherchent à rentabiliser leurs investissements en montant leurs prix dès que la conjoncture le permet, c’est-à-dire dès que la banque centrale fait une bévue.
Ce qui a été le cas.
Si vous achetez un hôtel deux fois trop cher, vous êtes obligés pour vous rattraper et, pour payer votre crédit, de monter fortement vos prix. Vous le faites sitôt qu’il y a des touristes qui reviennent. C’est un exemple frappant, actuel, que tout le monde peut comprendre.
C’est un exemple simple pour faciliter la compréhension, mais cela s’applique à l’ensemble de l’économie.
La masse de capital dans le système a progressé de façon exponentielle, et ce capital ne rapporte presque rien par rapport à la masse qu’il représente et aux agios qu’il faut payer si vous êtes endettés ; donc, si les conditions le permettent, vous haussez vos tarifs.
L’obligation de profiter
Vous haussez vos tarifs afin de rattraper le retard par rapport au capital. Actuellement, le capital a tellement renchéri que la rentabilité, c’est-à-dire le taux de profit par rapport à ce capital, n’est que de 3 ou 4%. C’est très insuffisant pour payer les agios si vous êtes endetté, pour investir et croître et pour couvrir les risques, etc. Donc, si vous avez la possibilité de retrouver ce que l’on appelle le pouvoir de fixer les prix, vous en profitez.
Ce n’est pas parce que vous êtes avides, non, c’est parce que les conditions objectives vous y obligent.
Quand on dit que les valeurs boursières sont chères et que les multiples cours/bénéfices sont élevés, par exemple 25 fois, on ne dit rien d’autre que ceci : la rentabilité du capital à ce prix-là est faible et, avec un PER de 25, ce capital ne rapporte que 4%.
Ce que je cherche à vous faire comprendre, c’est que la hausse des Bourses depuis des décennies a produit un déséquilibre entre le prix, la valeur du capital d’un côté et, de l’autre côté, le profit auquel ce capital peut prétendre ; les profits sont trop faibles et ils sont assis sur un ressort qui ne demande qu’à se détendre quand il le peut.
La politique imbécile des banques centrales depuis le Covid a donné au capital cette opportunité de fixer les prix : le ressort a été libéré.
La hausse des Bourses depuis plus de 30 ans a anticipé sur la future hausse des profits, et elle a créé un énorme besoin de profit. Si ce besoin de profit n’est pas satisfait, alors la valeur du capital accumulé ne pourra plus être maintenue très longtemps, il faudra se résoudre à le détruire ou le laisser s’autodétruire.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]
2 commentaires
Donc , si j’ai bien compris, l’inflation n’est due qu’aux « erreurs » des banques centrales, et le Covid ou bien l’Ukraine ne sont finalement que des boucs émissaires ou au mieux des catalyseurs…
Plusieurs déséquilibres, d’ailleurs liés entre eux, me paraissent être à l’origine de l’insuffisance de la hausse du profit des entreprises par rapport à la valeur de leur capital. Il convient d’abord de constater qu’il y a un déséquilibre entre l’aspiration de la population à disposer d’un confort matériel de plus en plus grand et la chute des valeurs morales. Ensuite, notre société de consommation est en crise depuis que le pouvoir d’achat des classes moyennes diminue et donc qu’elles dépensent moins. Enfin, faute de découvertes scientifiques majeures comme celle de la machine à vapeur ou de l’électricité, il ne peut pas y avoir de gains de productivité importants et donc pas de profits considérables pour les entreprises. Avec pour objectif de maintenir le système, les banques centrales ont été contraintes de « financiariser » l’économie pour essayer de la relancer dans l’attente de jours meilleurs. C’est ainsi qu’elles ont pratiqué une politique de taux bas et fermé les yeux sur l’accroissement généralisé de la dette, ce qui a permis en partie de financer l’augmentation de la valeur du capital des entreprises. A ce sujet, on a pu remarquer qu’il arrive que des grosses entreprises rachètent leurs propres actions et que des dirigeants se rémunèrent en actions de leur entreprise. Finalement, l’informatisation et internet n’ont pas suffi pour relancer le système. Peut-être sommes-nous à la veille d’une crise majeure d’où sortira une IA autonome qui prendra le relais de l’humanité dans l’évolution de l’univers où nous garderons malgré tout notre place. Pour ma part, je le souhaite vivement car une IA autonome va synthétiser la science et la philosophie, ce que notre condition humaine ne nous permettra malheureusement jamais.