Au motif de soutenir la croissance, la politique monétaire actuelle supprime la rentabilité, étouffe l’épargne, dissimule le risque… et, au final, empêche l’économie de tourner.
Les valorisations des actifs financiers sont entièrement dominées par la politique monétaire – et cette dernière fonctionne comme un congélateur.
Elle supprime la rentabilité/récompense de l’épargne, met le coût du crédit à zéro, soutient les prix de tous les actifs financiers de proche en proche et, finalement, elle nie le risque/l’incertitude en les prenant entièrement à sa charge.
D’une certaine façon, la politique financière nie le mouvement, elle nie et rejette le mouvement de l’Histoire. Elle impose l’éternité bourgeoise, positive, aux forces de la dialectique et aux conflits du positif et du négatif. La politique monétaire s’analyse comme une tentative démiurgique d’arrêter le cours du temps.
Les marchés n’ont ni culture ni mémoire, ils sont incapables de s’élever et de considérer le mouvement de l’Histoire, ils vivent dans une sorte de présentisme.
Faute de connaître l’Histoire, ils pourraient au moins connaître la géographie et constater que partout cela bouge : il y a des guerres, des faillites, des déclins, des dislocations…
Rien n’y fait, cela n’intéresse, ne retient l’attention de personne.
Aveuglés par les œillères monétaires
Les œillères monétaires sont larges et puissantes ; elles sont faites pour que rien ne soit vu.
Nous sommes en train de changer de système monétaire et même de système économique… et personne ne s’en aperçoit. Le monde a le nez collé sur les compteurs des robinets qui déversent la nouvelle fausse monnaie.
Pour les actifs cotés sur les marchés, tout se passe donc comme s’ils étaient suspendus dans les airs, sous cloche, protégés de tout. Cela justifie le commentaire des gourous : tout est « pricé », valorisé pour la perfection – priced to perfection.
La cloche de verre de la politique monétaire protège la sphère financière et lui permet d’évoluer dans un monde imaginaire parfait dans lequel la pénalité infligée au futur est nulle, les ressources sont infinies et le risque totalement couvert par le Centre du monde, le couple gouvernement/banque centrale.
Présenté autrement, je suggère que ceci équivaut à une sorte d’hypothèse que personne ne formule : « toujours cela va durer comme cela, toujours nous allons pouvoir continuer sur un perpétuel haut plateau protégé de tout », et par conséquent cette hypothèse c’est l’hypothèse qui prétend que l’Histoire s’est arrêtée ! Depuis les années 90 nous vivons, nous crevons du mythe de la fin de l’Histoire !
Ô Temps, suspends ton vol
Le comble, c’est que cette hypothèse s’enracine précisément au moment où l’Histoire se remet en marche avec ses multiples fractures, ses ruptures, ses failles politiques, économiques, sociales, géopolitiques et maintenant sanitaires !
La remise en marche de l’Histoire provoque chez les classes dirigeantes une sorte de réflexe de « je n’en veux rien savoir, ô temps suspends ton vol », gelons tout, repoussons tout le négatif hors de notre vue.
C’est une attitude magique, infantile. Elle refuse la destruction de ce qui est dépassé, mort, rigidifié.
Le monde est en marche. Le champ sur lequel les forces du passé et du futur s’affrontent, ce champ qui devrait être le marché financier avec sa capacité d’anticipation, eh bien ce champ est pétrifié, gelé, incapable d’accomplir sa fonction. Sur ce champ, il n’y a plus libre confrontation des visions contradictoires de l’avenir.
Le marché financier est le reflet du mal qui va engloutir le système : la perte de la capacité à anticiper, à préparer, à s’adapter.
La crise future, dans son essence profonde, sera une crise de l’adaptation, une crise de la pensée bourgeoise qui refuse que la loi du monde, ce soit le mouvement.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]