Les politiques liées aux tarifs de l’énergie ne sont qu’une nouvelle « usine à gaz » qui agace tout le monde.
La commissaire européenne à l’Energie, Kadri Simson, a proposé un mécanisme d’intervention d’urgence sur le marché du gaz, censé entrer en vigueur au 1er janvier 2023 et pour une durée de 12 mois.
La proposition de la Commission devait être discutée, ce jeudi 24 novembre, lors d’un conseil des ministres de l’Energie des Vingt-Sept : ils devront s’entendre sur la formule de plafonnement (en l’état, une vraie « usine à gaz », c’est de circonstance) et sur le montant exact du prix plafond, ainsi que de la différence de tarifs entre le gaz fourni par gazoduc et les prix mondiaux du gaz naturel liquéfié (GNL).
Conditions exceptionnelles
Le prix du gaz se retrouverait limité si deux conditions exceptionnelles se trouvent réunies : d’abord, il faudra que le prix du kilowattheure produit au gaz dépasse les 275 € durant deux semaines, puis que l’écart entre l’indice ICE Dutch TTF de Rotterdam (ou Title Transfer Facility, qui fixe le prix du gaz par gazoduc) et le prix moyen du marché du GNL soit supérieur ou égal à 58 €, et ce, 10 jours de suite.
Autant décider que le blocage intervient si le prix du gaz franchit les 275 € un 29 février, à condition qu’il tombe un jeudi, et uniquement si la température moyenne journalière est inférieure à -2° dans une vallée bavaroise…
Le ministère de la Transition écologique français s’insurge :
« Cette double condition est aberrante, le filet de sécurité ne protège de rien ; il faudrait imaginer un dérèglement total du marché qui correspondrait à la destruction d’infrastructures. C’est très improbable… »
Nous pourrions ironiser sur la « probabilité » de la destruction des gazoducs Nord Stream après les menaces américaines de les « neutraliser » et sur le fait que, symétriquement, les gazoducs sont les seules infrastructures civiles épargnées en Ukraine par les dernières salves de missiles russes… Ainsi que par toutes celles qui se sont succédées ces neuf derniers mois. Alors même que la plupart des « experts » estimaient que Moscou s’empresserait de les détruire pour riposter aux sanctions des occidentaux : confiscation des avoirs de la Banque Centrale et boycott du gaz russe.
En fait, tout s’est déroulé à l’inverse des anticipations des dirigeants européens : la Russie devait voir son économie et son industrie s’effondrer, mais c’est l’Europe qui se retrouve à genoux, avec des dizaines d’usines fermées en Allemagne, des coupures de courant qui se profilent d’ici janvier, avec un prix du kilowatt qui ruine les ménages, les artisans et l’industrie, du fait de mécanismes de fixation des prix aberrants.
Comment aggraver le problème
La France estime que le projet de Kadri Simson en constitue un de plus, et elle invite les 15 pays demandeurs d’un plafonnement du prix du gaz à contraindre la Commission à revoir sa copie.
La réalité c’est qu’au-delà de 75 €, et non 275 €, l’industrie allemande cesse d’être rentable et doit être subventionnée pour que les usines continuent de tourner. Et, si le tarif dépasse 100 € de façon durable, la question d’une délocalisation se pose avec acuité.
En ce qui concerne les services aux collectivités dont le fonctionnement est vital quel que soit le prix de l’énergie, les 275 € sont un tarif de « fin du monde » et la question de se chauffer ou se nourrir se pose pour au moins un tiers de la population : c’est la chaudière ou la soupe populaire !
D’un point de vue plus « technique », les analystes de Goldman Sachs estiment qu’en l’absence d’un plafonnement parallèle de la demande – dont l’Allemagne ne veut à aucun prix –, le plafonnement des prix « non seulement ne résoudrait pas le déficit gazier de l’Europe, mais risquerait aussi de l’aggraver en incitant à une consommation supplémentaire de gaz ».
En bons connaisseurs des phénomènes spéculatifs, les experts de Goldman anticipent « un déplacement des flux de négociation vers les marchés de gré à gré (OTC), par nature bien plus volatiles : ceci pourrait rendre caduques les couvertures existantes et mettre en échec les politiques de gestion des risques des participants au marché ».
Mais, Goldman relativise ce risque : le seuil requis pour déclencher le plafonnement proposé par Kadri Simson n’a quasiment aucune chance d’être atteint, donc il s’agit d’un nouveau « couteau sans lame dont on cherche en vain le manche ».