Le conflit en Ukraine aura provoqué une forte hausse pour au moins un actif : le baril de pétrole, dont le prix a augmenté de 25% environ en une semaine. C’est un signe de plus d’un changement profond dans le système.
Le pétrole est un point faible du Système car il a des effets multiplicateurs dans toutes les crises. Il y a dans le monde deux sous-jacents de l’interconnexion : le dollar et le pétrole.
Les apprentis sorciers peuvent créer des signes à volonté, c’est-à-dire de la monnaie, mais ils ne peuvent pas créer du réel, c’est-à-dire du pétrole !
Le pétrole, c’est le point de réconciliation entre les deux sphères, la financière et la réelle, c’est là où la courroie rencontre la roue qui fait tourner le monde.
Des dollars ou des ressources ?
Le pétrole représente ce que l’on appelle l’épreuve de réalité.
L’affrontement actuel est en quelque sorte l’affrontement entre les narratifs et le réel, c’est Hollywood contre le reste du monde.
Les USA sont maîtres du dollar, mais ils ne sont que maîtres des signes, du vent.
Le monde extérieur, lui, contrôle – certes de façon divisée – les ressources et leur production.
Dans le même temps, je pense que le plus intéressant est ce que l’on voit et qui crève les yeux, à savoir que la mondialisation, la libre circulation des marchandises, de capitaux, des technologies, les mouvements d’un monde sans frottement, à moindre coût, le one world, tout cela, c’est fini !
Les valeurs vont être bouleversées. Les valeurs d’usage vont redevenir importantes, les valeurs d’échange bidons inflatées par l’euphorie ambiante vont se contracter. Nos systèmes vont se réaménager sous la double pression d’abord du risque et ensuite de la réapparition de certaines raretés bien réelles.
Tout cela vient de loin, de la réaction des pays occidentaux face à la crise de leur système en 2008. Ils ont alors refusé de nettoyer la pourriture et ils opté pour la fuite en avant.
Ce faisant, ils ont trainé la saloperie morale, économique et financière et pris le parti de détruire la monnaie.
Faux comptes et valorisations fantaisistes
L’ordre du monde a changé en 2008, et surtout en mars 2009 lorsque les autorités américaines ont autorisé les entreprises et les banques à publier des comptes faussés en changeant la règlementation comptable. On s’est enfoncé dans le mensonge, dans le pestilentiel, dans la généralisation de la valorisation fantaisiste.
L’avilissement de la monnaie et le déversement de milliers de milliards de fausse monnaie n’ont été que les conséquences de ce choix irresponsable. Pour maintenir la fausseté généralisée des prix, il a fallu pomper et pomper toujours plus de monnaie dans le système par le biais de la production de dettes et quand les dettes sont devenues non solvables, irrécouvrables il a fallu les racheter sur les marches à tour de bras comme ce fut encore le cas en mars 2020.
Depuis 2009 le monde se construit sur ces fondations mouvantes. Puis un nouveau tournant a été pris en 2011 lorsque, lors des grandes réunions en « G », les USA ont cessé de jouer la carte de la coopération et de l’intégration mondiale et ont désigné les Russes et les Chinois comme compétiteurs stratégiques.
Ce fut une erreur terrible qui négligeait le fait que l’ordre du monde en particulier financier et de production reposait sur cette intégration croissante et que cet ordre avait une certaine gravité : il ne pouvait pivoter. Les paquebots ne virent pas de bord aussi vite que les mots.
De la compétition stratégique à la guerre
La machine systémique hautement complexe a commencé à se déliter. Les antagonismes se sont exacerbés. Le monde a commencé à se morceler.
La fluidité a disparu, les barrières sont réapparues, l’incertitude est revenue et le risque, le vrai, aussi bien entendu.
La concertation, la coopération ont disparu, la compétition stratégique a pris le relais et la pente a été descendue, de plus en plus glissante : on est passé de l’affrontement à fleurets plus ou moins mouchetés à la guerre froide, puis tiède depuis 2014 et ouverte depuis peu.
Le mouvement est inéluctable, l’engrenage est en place, les mécanismes complexes s’emboitent. Tout ce qui s’est construit tout au long de long de la mondialisation va être sinon détruit du moins réaménagé.
Ma conviction est que le point le plus important et le plus négligé des réflexions stratégiques, c’est la formidable complexité du monde, ainsi que la non moins formidable complexité du système monétaire et financier qui s’est développé depuis les années 1960/1970.
Cette complexité se niche partout, mais elle est particulièrement grande dans la sphère financière car celle-ci a avancé seule, dans sa logique interne, dans la plus totale opacité. Personne ne l’a voulue, alors cette architecture s’est développée sans véritable fondation étudiée et pensée. Elle n’est résiliente qu’en apparence.
C’est un cancer.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]