L’apparition du variant Omicron n’est pas passée inaperçue sur les marchés financiers, avec un « Vendredi noir » aux relents de crise qui risquent de sentir très mauvais pour l’économie.
Dès le jeudi 25 novembre, Bloomberg relevait que des scientifiques étudiaient « un nouveau variant « très préoccupant » en Afrique du Sud ». Vu de loin, il semblait pourtant être relativement contenu, et n’aura donc suscité qu’une attention médiatique minimale, en ce jour férié pour Thanksgiving aux Etats-Unis.
Pourtant, en moins de 24 heures, les marchés mondiaux se sont orientés vers la chute libre, la dynamique de crise s’étant immédiatement mise en branle.
Peu importe que cela dure ou non. Si ce n’est pas cette fois, ce sera une autre. Tout cela révèle l’extraordinaire fragilité du système financier mondial, son interconnexion, la rapidité de la transmission des chocs.
Je ne veux insister que sur ces deux points : les extraordinaires fragilité et rapidité des transmissions et la globalisation immédiate. « No place to hide » : nulle part ou se cacher.
Une réaction excessive ?
Voici le résumé de la situation que faisait Bloomberg, en ce vendredi 26 novembre :
« Sur la base du profil de mutation d’Omicron, une évasion immunitaire partielle est probable, a déclaré vendredi le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies dans un rapport d’évaluation de la menace.
L’agence de santé de l’UE est parmi les premières autorités officielles à reconnaître que les vaccins pourraient ne pas bien fonctionner contre la nouvelle souche.
‘Le variant omicron est le plus divergent qui a été détecté en nombre important au cours de la pandémie jusqu’à présent, ce qui fait craindre qu’il puisse être associé à une transmissibilité accrue, à une réduction significative de l’efficacité du vaccin et à un risque accru de réinfections’, a déclaré l’ECDC. »
La réaction des marchés à cette nouvelle a été rapide et, dans de nombreux cas, brutale. Les experts ont suggéré que les marchés paniqués réagissaient de manière excessive.
C’est ce qu’ils font dans tous les cas, même quand les réactions sont justifiées. Souvenez-vous de l’illustre Bernanke, alors président de la Fed, qui déclarait que la crise immobilière était contenue !
L’Afrique du Sud est la première touchée
Cette fois, en tout cas, la catastrophe a frappé le domino économique sud-africain, déjà vulnérable.
Le rand sud-africain a ainsi chuté de 3,4% la semaine dernière, portant les pertes de 2021 à 9,8%. Les rendements des obligations souveraines sud-africaines à 10 ans ont bondi de 19 points de base (pb) vendredi, atteignant leur plus-haut depuis avril 2020 et portant le pic de rendement de la semaine à 43 pb.
Vendredi dernier, les credit default swaps (ou CDS, des produits dérivés permettant de se couvrir face au risque de défaut sur une dette, NDLR) sud-africains ont bondi de 25 (43 pour la semaine) à 252 points de base. ‘C’est le plus haut depuis mars.
Les pays émergents trinquent dans l’ensemble. Un indice des CDS de ces marchés a bondi de 19 points vendredi et 34 points pour la semaine, à 221 points de base, le plus haut remontant à octobre 2020. Que ce soit en rythme journalier ou hebdomadaire, ce sont les plus grosses augmentations observées depuis septembre 2020.
Les failles s’élargissent en Europe
Le centre du système économique mondial n’a pas été épargné non plus. Surtout l’Europe, qui fait face à un danger accru. Les actions européennes ont été martelées durant la journée de vendredi.
Le CAC 40 a chuté de 4,8% dans les échanges (en baisse de 5,2% pour la semaine), avec des indices majeurs en baisse de 4,2% en Allemagne (-5,6% pour la semaine), de 5,0% en Espagne (-4,0%), de 4,6% en Italie (-5,4%) et de 3,6% au Royaume-Uni (-2,5%).
Fait inquiétant, les actions des banques italiennes ont été claquées de 7,8%, tandis que les banques européennes dans leur ensemble étaient en baisse de 5,9%. Un indice de CDS de dette bancaire (subordonnée) a bondi de 19 pb durant la semaine à 131 points de base, la plus forte augmentation depuis plus d’un an.
Concernant les dettes nationales, signalons juste que les écarts de rendement entre la périphérie européenne et le Bund allemand se sont considérablement élargis durant la semaine.
Aux Etats-Unis aussi, on a senti le vent du boulet. L’indice des actions bancaires américaines (KBX) a ainsi chuté de 4,2% vendredi, ce qui pourrait s’avérer être un signal d’alarme pour les actions en général.
Les CDS de la première banque mondiale, JPMorgan, ont pour leur part bondi de 4,8 points vendredi (6 pour la semaine) pour atteindre un sommet de 13 mois à 52,25 points de base. Il s’agit de la plus forte augmentation sur une journée depuis le 11 juin 2020.
Attaques sur le crédit
Le crédit aux entreprises américaines indique une vulnérabilité similaire.
D’un côté, les CDS de qualité « investissement » (NDLR : notés BBB, ou mieux, par les agences de notation) ont bondi de 4,5 points vendredi (plus gros gain en deux mois) pour atteindre un plus-haut de huit mois à 57,5 points de base.
De l’autre, les CDS de qualité « haut rendement » (high yield) ont en parallèle bondi de 20 (plus gros gain depuis mars) pour atteindre un plus-haut d’un an à 327 points de base.
La semaine n’a par ailleurs apporté aucun répit au marché des valeurs du Trésor, où la volatilité est extrême. Les rendements des bons du Trésor à dix ans ont augmenté à 1,69% dans les échanges de mercredi, avant de s’inverser fortement vendredi et de clôturer la semaine en baisse de sept points de base à 1,48%. Le marché prévoyait mercredi que la Fed annoncerait 2,8 hausses de taux d’ici sa réunion du 14 décembre 2022. Vendredi à la clôture, cette anticipation n’était plus que de 2,1.
Sur le pétrole brut et d’autres matières premières, ce fut la débandade.
Le baril de WTI a chuté de 10,24 $ (soit 13%) dans la journée, atteignant un plus-bas de 11 semaines à 68,15 $. L’indice Bloomberg Commodities a perdu 2,2%.
Les cryptomonnaies n’ont pas été épargnées non plus : Bitcoin a cédé plus de 7%.
Quel remède reste-t-il ?
Qu’en est-il de la spéculation à effet de levier ? Elle est aux abois, prête à se disloquer. La finance est à sens unique. Elle fonctionne à merveille tant que l’effet de levier et la spéculation sont gagnants. Le système est dissymétrique : il ne fonctionne pas en marche arrière.
Le système mondial est « pricé » pour la perfection, il ne supporte pas les chocs.
Jusqu’à présent, tous les accidents ont été traités de la même façon, par l’inflationnisme, l’argent gratuit et le gonflement du crédit de la banque centrale.
La question qui se pose, avec une inflation qui n’est plus sous contrôle et des goulots d’étranglement partout du côté de l’offre, est : « Les remèdes monétaires peuvent-ils encore être pratiqués ? »
Ma réponse est non. L’esprit spéculatif est trop développé, le public l’a compris et cela limite considérablement les marges de manœuvre. L’arsenal n’était plein que tant que l’on pouvait créer autant de monnaie que nécessaire, c’est-à-dire tant que la monnaie restait acceptée et ne brûlait pas les doigts.
Maintenant, en revanche, les esprits animaux sont déchaînés.
[NDLR : Retrouvez toutes les analyses de Bruno Bertez sur son blog en cliquant ici.]