A mesure que les politiques qui nous appauvrissent s’intensifient, c’est notre humanité qui se fragilise.
Qu’y a-t-il de pire que de perdre de l’argent ?
Nous secouons la tête avec compassion pour Elon Musk. L’immigrant idéaliste est en train de découvrir à quel point la politique peut être cruelle. Musk s’oppose désormais à Trump. Ce dernier affirme avoir élaboré un grand et beau projet de loi, censé remettre le pays sur les rails. Musk, lui, y voit une abomination.
MailOnline rapporte :
« ‘J’ai été déçu de voir ce gigantesque projet de dépenses, qui augmente le déficit budgétaire au lieu de le réduire, et qui sape le travail de l’équipe de la DOGE’, a déclaré M. Musk dans l’émission CBS Sunday Morning.
Malgré ses ambitions — refonte de la fiscalité, réforme de l’immigration, réduction à terme des prestations de Medicaid — M. Musk estime que ce texte va à l’encontre des choix difficiles que la DOGE a dû faire pour rationaliser l’administration. »
Musk a certainement raison. Mais il ne contrôle pas l’IRS, la NASA, la SEC, la FTC, le FBI, la NSA ni le Pentagone. C’est un homme qui gagne… et qui perd.
Oui, la tendance naturelle de la politique est d’en faire toujours plus. Et la politique est un jeu gagnant-perdant. Les politiciens ne créent aucune richesse. Ils se contentent de la prendre à ceux qui la produisent. Et Musk en a beaucoup.
Mais que Musk se fasse confisquer son argent n’est peut-être pas le pire. L’essor de la politique appauvrit les gens. Mais il s’accompagne aussi d’un autre phénomène : une montée en puissance de la cruauté.
La plupart des choses pires que la perte d’argent sont illustrées dans un drame argentin très populaire sur Netflix, El Eternauta. Il s’agit d’une histoire post-apocalyptique tirée d’une bande dessinée signée Héctor Germán Oesterheld (1919-1976). Dans cette histoire, le monde est envahi par des extraterrestres. D’abord, ils tuent la majeure partie de la population grâce à une neige toxique. Puis ils poursuivent leur oeuvre en lâchant des insectes géants et en lavant le cerveau de certains humains pour les pousser à tuer les autres.
Ce qui rend ce genre d’histoires intéressant, c’est qu’il imagine ce que serait la vie si la civilisation s’effondrait. Des êtres désespérés, apeurés et affamés peuvent devenir grossiers, voler, voire commettre des meurtres. Certains sombrent dans la sauvagerie, d’autres essaient de préserver leurs qualités humaines.
En général, les films nous amènent à croire que notre nature profonde – faite de courage, de bonté et de générosité – finit par triompher.
Mais ce n’est pas toujours le cas. Et il n’est pas nécessaire d’être envahi par des extraterrestres pour s’en apercevoir. Les accords « gagnant-gagnant », aussi appelés commerce doux, nous rendent plus riches et prospères. Les accords « gagnant-perdant » – dans lesquels l’un gagne en faisant perdre l’autre –, eux, ne disparaissent jamais. Et parfois, ce sont eux qui prennent le dessus.
Oesterheld a imaginé un scénario sinistre. Ceux qui ne survivaient pas à la neige toxique étaient dévorés par des insectes géants ou devenaient les proies de voyous armés et de bandes organisées.
Dans les années 1950, l’Argentine était encore une société prospère, avec un PIB par habitant deux fois supérieur à celui de l’Espagne et trois fois à celui du Japon. Mais le gouvernement a adopté une politique de « substitution des importations » (reposant sur des droits de douane et autres barrières) pour favoriser la production nationale au détriment des produits étrangers. L’idée était de faire de l’Argentine non seulement une puissance agricole, mais aussi industrielle.
Cette politique a produit des industries inefficaces et un appauvrissement réel, avec des produits de mauvaise qualité qui ne pouvaient rivaliser sur les marchés internationaux. On produisait même des voitures en Argentine ; on en voit encore parfois – abandonnées – dans les rues de Buenos Aires.
Plus tard, le gouvernement a abandonné cette politique. Mais les prix ont flambé, les salaires réels ont chuté, les tensions sociales se sont accrues. L’inflation a dépassé 30 % en 1965. Le gouvernement a alors instauré des contrôles des prix et des capitaux. La monnaie a été dévaluée de 30 % en 1970.
C’est à cette époque (et ce n’est peut-être pas un hasard) que des groupes d’extrême gauche comme les Montoneros ont gagné en popularité – au point qu’Oesterheld et ses quatre filles les ont rejoints. C’était le milieu des années 1970 : les militaires préparaient leur coup d’Etat, les services de sécurité planifiaient l’élimination de milliers de personnes, et les malheurs des Argentins allaient bien au-delà des simples problèmes économiques.
Vingt ans après la publication d’El Eternauta, l’Argentine a connu son propre moment post-apocalyptique. En mars 1976, les militaires ont pris le pouvoir. Henry Kissinger leur aurait conseillé de se débarrasser rapidement de leurs opposants… avant que l’opinion internationale n’ait le temps de réagir.
C’est ainsi qu’ont commencé les « disparitions ». On estime à 30 000 le nombre de personnes arrêtées par la police, l’armée ou des escadrons de la mort. Beaucoup ont été torturées et exécutées, y compris Oesterheld et ses quatre filles, dont deux étaient enceintes au moment de leur enlèvement. Un seul corps a été retrouvé. On ignore ce qu’il est advenu des enfants à naître. L’armée laissait souvent les femmes accoucher avant de les tuer ; les nourrissons étaient ensuite confiés à des familles de militaires sans enfants.
C’était bien pire qu’une perte de 10 % en Bourse. C’était la société post-apocalyptique lamentable qu’Oesterheld avait décrite dans El Eternauta. Les gens n’étaient pas tués par des insectes venus d’ailleurs… mais par d’autres êtres humains, devenus prédateurs.