** Ceux qui jugeaient les possibilités de rebond des marchés plutôt limitées au soir du 16 juillet (après que le Paris eut testé le seuil des 4 000 points en milieu de matinée) et qui se sont tenus prudemment à l’écart d’un mouvement de reprise technique (potentiellement éphémère) semblent avoir changé leur fusil d’épaule en ce 21 juillet. Les indices boursiers ont aligné une quatrième séance de hausse consécutive ; le CAC 40 a affiché hier jusqu’à +1,5% en début d’après-midi, soit +9% sur ses planchers de mercredi, une performance inégalée depuis la période du 13 au 20 mars 2003.
Alors que les lundis sont traditionnellement les journées les plus creuses de la semaine… pas moins de 10,5 milliards d’euros ont été échangés hier, après huit milliards d’euros jeudi et 7,65 milliards d’euros vendredi. Cela signifie qu’un nouveau contingent d’acheteurs semble s’être mobilisé sur le constat d’un plafonnement du baril de pétrole sous l’ancien support court terme des 131,5 $ — le WTI rechutait sous 130 $ lundi soir –, tandis que les marchés obligataires subissaient l’appel d’air des actions (le rendement des Bunds s’est tendu de 0,05% et flirtait avec les 4,65%).
A Wall Street, tout comme vendredi, les indices américains ont effectué une entame de séance prudente (-0,3% pour le S&P 500, -0,5% sur le Nasdaq) qui ressemble beaucoup au scénario de la matinée en Europe : repli technique sans intensité. Un franchissement des 11 500 points par le Dow Jones reste de l’ordre du possible, même si l’indice historique peinait à préserver les 10 850 points mardi dernier.
Le baromètre avancé de la tendance ces derniers jours fut — et demeure — le secteur bancaire. Les opérateurs s’attendaient au pire mais Citigroup, Merrill Lynch puis Bank of America ont annoncé successivement des pertes trimestrielles et des montants de provisions inférieures au consensus.
** Il n’en fallait pas davantage pour inciter les vendeurs à découvert à se racheter massivement… d’autant que la mesure d’urgence de restriction des naked short selling (vente à découvert sans couverture/titre en garantie) instituée par la SEC entrait en vigueur ce 21 juillet. Warren Buffett devrait s’en féliciter, lui qui fustige les effets dévastateurs des ventes à effet de levier.
Les restrictions ne concernent en fait que les 17 institutions baptisées primary dealers, cotées à Wall Street. Il s’agit des banques qui ont un accès direct au guichet de refinancement de la Fed — c’est-à-dire qui souscrivent aux émissions de T-Bonds mais peuvent réciproquement les échanger contre leurs propres titres de créance dans le cadre de "prises en pension". Fannie Mae et Freddie Mac sont également concernés : leurs prochaines émissions obligataires, destinées à fluidifier le marché des créances immobilières, pourraient également bénéficier d’une garantie étendue de la Fed, à hauteur de 300 milliards de dollars.
Que les amateurs de vente à découvert qui misent sur une tendance baissière des valeurs bancaires à moyen ou long terme se rassurent : le fonctionnement du marché ne se retrouve pas bouleversé du jour au lendemain. La SEC va simplement exiger que les règlements existants soient appliqués à la lettre : les short sellers devront effectivement emprunter les titres avant de les liquider sur le marché.
Les spéculateurs bénéficiaient jusqu’à présent d’une "facilité" qui consistait à vendre puis racheter des titres (ou l’inverse) sans aucune formalité ni aucun frais financier, à condition de déboucler les opérations sous trois jours, avant que le mécanisme de "règlement/livraison" ne rentre en application afin de rapprocher les positions des uns et des autres.
C’est un peu comme si la banque ne vous comptait pas d’agios pour vos découverts, à condition que vous fassiez repasser votre compte "dans le vert" l’espace de quelques minutes au bout de 72 heures… avant de retomber dans le rouge (et autant de fois que nécessaire) pour les 48 heures suivantes.
Compte tenu des masses colossales de titres "shortés" sur fond de rumeurs catastrophistes entre les 9 et 15 juillet dernier, il est fort possible, sinon très probable, que les vendeurs auraient éprouvé les pires difficultés à trouver une contrepartie disposée à leur avancer les dizaines de millions de titres. Ces derniers, tels des rafales de boulets de canon sur une fragile coque en palissandre, ont fait éclater tous les supports graphiques et techniques, déclenchant une véritable réaction en chaîne à la baisse… et le naufrage boursier des deux vaisseaux amiraux de la finance américaine.
Mais l’empressement des spéculateurs à repasser flat (fermeture des positions en cours) peut également s’expliquer par l’émergence d’un courant d’opinion visant à convaincre les non-initiés que les résultats des banques étant "moins pires que prévu", il convient d’inverser la vapeur au plus vite.
** Les résultats de Bank of America publiés ce lundi, ont été bien accueillis (après ceux de ses concurrents Citigroup, Lehman et Merrill Lynch la semaine dernière) sous prétexte que le montant des dépréciations d’actifs a été ramené de 2,81 milliards de dollars au premier trimestre à "seulement" 1,22 milliards de dollars au second trimestre. Par ailleurs, le bénéfice a chuté de 41% là où le consensus redoutait -60% — soit un profit par action de 72 cents au lieu de 48 cents anticipés, compte tenu de l’intégration dans ses comptes de Countrywide, racheté sous forme d’échange de titre à la mi-janvier, pour 10% de sa valeur d’il y a un an.
Nous présentons par avance nos excuses à ceux de nos lecteurs que l’épluchage des comptes d’une banque passionne autant que la lecture des résultats de championnat japonais de hockey sur gazon. Cependant, comme certains hésitent à nous croire sur parole lorsque nous affirmons que les "bonnes nouvelles" du jour ne sont que sont que de grossiers trompe-l’œil, voici quelques éléments de preuve qu’il faudra garder bien au chaud dans un coin de sa mémoire lorsque la bouffée d’euphorie des dernières séances sera retombée (disons… d’ici la mi-août).
Si Bank of America met la pédale douce sur les dépréciations d’actifs (-60%), la banque a en revanche plus que triplé les provisions pour mauvaises créances, à 5,8 milliards de dollars. Ces provisions n’affectent non plus des paquets subprime, mais bien des portefeuilles de créances commerciales (PME, PMI) ainsi que des emprunts immobiliers classiques considérés comme présentant un "risque moyen".
Et si les provisions sont globalement très comparables aux six milliards de dollars attendus, l’anticipation concernant le montant des sinistres (créances perdues à 90% ou 100%) a plus que doublé, pour atteindre 3,6 milliards de dollars contre 1,5 milliards de dollars au premier trimestre 2008. Le bénéfice de la branche "détail" (clientèle des petites entreprises) a plongé de deux tiers, à 812 millions de dollars, tandis que celui de la banque d’entreprise et d’affaires a cru de 3%, à 1,75 milliards de dollars, probablement grâce à un changement de périmètre incluant Countrywide.
Du côté des facteurs réellement positifs, nous citerons l’amélioration du ratio Tier 1 (fonds propres sur encours de crédit), qui s’élève désormais à 8,25%, contre 7,5% au premier trimestre, et la croissance de 4% du produit net bancaire à 20,3 milliards de dollars au lieu des 18,25 milliards de dollars anticipés.
Compte tenu de la défaillance d’établissements comme IndyMac ou Bear Stearns, il n’est pas étonnant qu’une partie du chiffre d’affaires se déplace vers la concurrence. Ce n’est pas un signe évident de regain de santé du secteur ni la preuve d’une embellie durable du business model des banques dans un contexte de dégradation générale du climat des affaires et de l’immobilier.
Les toutes dernières statistiques américaines s’avèrent par ailleurs décevantes : l’indice composite des indicateurs avancés a reculé de 0,1% à 101,7 au mois de juin aux Etats-Unis, selon le Conference Board, après une baisse de 0,2% — après révision — par rapport à avril.
** Et si vous n’étiez pas tout à fait convaincu — comme nous le sommes — que le système financier est sur la très mauvaise pente faute de liquidités et de confiance dans l’avenir, il suffit de vous intéresser au cas HBOS : son augmentation de capital de quatre milliards de livres sterling (un montant qui n’a pourtant rien à voir avec les 75 milliards de dollars dont pourraient avoir besoin Fannie Mae et Freddie Mac, ni avec les 100 milliards de dollars déjà levés par UBS et Citigroup) n’a été souscrite qu’à hauteur de 8,3% — à peine 125 millions de livres — depuis le 29 avril dernier.
Le réflexe presque patriotique des clients et actionnaires de la banque régionale Northern Rock, emblème de la réussite made in Newcastle, n’a clairement pas joué en faveur de HBOS !
Morgan Stanley et Dresdner Kleinwort, les deux banques chef de file pour cette opération (qui aurait été discrètement annulée au bout de quelques jours si elle n’avait été aussi vitale) se retrouvent avec la bagatelle de 1,375 milliard de titres à 275 pence sur les bras… Ils n’auront d’autre choix que de les brader (10% plus bas, ou pire) pour attirer d’autres investisseurs institutionnels.
Mais qui aurait envie de prendre le risque du marché immobilier britannique dans les circonstances actuelles ? Les prix s’effondrent dans la plupart des banlieues — sans attrait particulier — de la capitale britannique puis dans des quartiers de Londres, où les prix ont gonflé comme un soufflé, par contagion avec la folie spéculative qui s’est emparée des rives nord-ouest de la Tamise, de Kensington, Buckingham et Belgravia.
La dure réalité, c’est que les fonds souverains commencent à se lasser des recapitalisations à répétition, surtout lorsque les problèmes ne font que commencer, à l’image de l’Angleterre et de l’Espagne. Avancer de l’argent pour trois ou cinq ans avec des rendements de 8% à 10%, cela fonctionne encore assez bien… mais participer à une opération diluant le capital de 33% ou de 50% avec zéro dividende garanti avant 2012, ce n’est même plus du bénévolat, cela devient de la pure niaiserie !
Philippe Béchade,
Paris
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