Derrière l’annonce d’un programme censé créer une « richesse générationnelle » pour les enfants américains, se dessine une réalité plus prosaïque : un transfert fiscal, une dépendance accrue aux marchés financiers et une nouvelle rente pour les géants de la gestion d’actifs.
Trump Accounts, le nouveau programme annoncé par Donald Trump – une forme de cadeau d’Etat pour nouveau-nés – nous a donné le tournis.
Newsweek rapporte :
« Une fois le programme lancé, un établissement financier se verra confier les fonds destinés au compte d’un enfant et procédera à son activation. A partir de ce moment, jusqu’à 5 000 dollars pourront être versés chaque année sur le compte, sans qu’aucun apport supplémentaire ne soit requis.
Scott Bessent explique :
‘La croissance composée du financement initial du Trésor suffira, à elle seule, à enrichir les jeunes Américains. Le S&P a enregistré une croissance moyenne de 10,5 % par an depuis les années 1950. Si ce rythme se maintient, un dépôt unique de 1 000 dollars effectué à la naissance sur un ‘Trump Account’ pourrait dépasser 600 000 dollars à l’âge de la retraite.’ »
Fox News ajoute :
« Selon le Bureau d’analyse fiscale du Trésor, un compte entièrement financé pourrait atteindre 1,9 million de dollars à l’âge de 28 ans. »
Impressionnant. Mais une question s’impose : d’où vient cet argent ?
Pour donner 1 000 dollars à un enfant, le gouvernement fédéral doit prendre ces 1 000 dollars à quelqu’un d’autre – aux retraités, aux actifs, à l’ensemble des contribuables. La question est simple : en quoi cet argent sera-t-il plus utile entre les mains des bénéficiaires qu’entre celles de ceux à qui il est prélevé ?
Certaines des personnes ponctionnées ont travaillé dur pour gagner cet argent. D’autres l’ont obtenu par l’investissement. Certaines l’auraient investi dans des entreprises créatrices de croissance et d’emplois. D’autres l’auraient peut-être gaspillé. Mais quel est le sens de leur retirer cet argent pour le donner à quelqu’un d’autre qui, lui aussi, pourrait tout aussi bien le gaspiller ?
Etrangement, ni la presse, ni le public ni même le Congrès ne semblent avoir accordé beaucoup d’attention à ce transfert massif.
La partie la plus divertissante de cette histoire réside sans doute dans l’enthousiasme affiché par les riches — en particulier ceux qui travaillent précisément dans le secteur qui a le plus à y gagner. Ils présentent cela comme une œuvre de service public.
Bloomberg rapporte :
« Dalio et BlackRock rejoignent la liste des donateurs du programme ‘Trump Account’
Ray Dalio, fondateur de Bridgewater Associates, a annoncé que sa fondation verserait 250 dollars à environ 300 000 ‘Trump Accounts’ pour les enfants du Connecticut. De son côté, BlackRock a indiqué qu’elle abonderait les comptes des enfants de ses employés à hauteur de 1 000 dollars par enfant, en complément de la contribution fédérale.
Scott Bessent s’enthousiasme :
‘Une génération entière d’Américains est sur le point d’apprendre, de la manière la plus spectaculaire possible, comment de petites contributions peuvent devenir une richesse générationnelle — grâce au président Trump.’ »
Pendant un demi-siècle, Wall Street a attiré les épargnants comme des moutons. En étroite collaboration avec Washington, elle a fait grimper les cours nominaux des actions tout en comprimant les taux d’intérêt réels, poussant presque de force les épargnants vers les marchés boursiers. « La laine pousse pendant que vous dormez, leur répétait-on. Il suffit d’acheter nos produits d’investissement. »
A première vue, cela semblait fonctionner. Le Dow Jones est passé de 880 points en 1971 à plus de 48 000 points aujourd’hui — une multiplication par 54.
Mais la réalité est bien moins reluisante. Comme le souligne Stéphane Renevier, CFA :
« Un fait surprenant : la majorité des actions individuelles perdent de l’argent. Et les bons du Trésor ont offert de meilleurs rendements que près de 60 % de toutes les actions jamais cotées à Wall Street. »
Sur la même période, conserver son argent hors du marché boursier et le placer dans l’or a été encore plus rentable : le métal jaune est passé de 40 dollars à 4 387 dollars, soit une multiplication par 109 — deux fois plus que le Dow Jones.
Et les dividendes ? Nous n’avons pas refait tous les calculs, mais il est très probable que, après impôts, ils aient rapporté moins que ce que l’inflation a détruit.
Aujourd’hui, grâce au président Trump, Wall Street affûte à nouveau ses ciseaux. Frais de gestion, commissions, primes de performance… Les pauvres petits innocents : leurs fonds passeront d’abord par un agent fédéral (!), avant d’atterrir dans des comptes gérés par… Ray Dalio et BlackRock.
Tout le monde va s’enrichir. Ou peut-être pas. Mais au moins, dit-on, les enfants pourront faire des études.
Warren Buffett affirme souvent qu’il a eu la chance de naître à une époque exceptionnelle et de traverser le plus grand marché haussier de l’histoire. Pourtant, comme on l’a vu, ce marché n’était pas aussi miraculeux qu’on le prétend – et il a été alimenté par une création monétaire massive.
Cette politique a engendré des conséquences majeures :
- la plus grande dette de l’histoire mondiale ;
- et presque à coup sûr des années d’inflation élevée et de rendements réels faibles, voire négatifs.
Les prix à la consommation augmentent déjà d’environ 3 % par an selon les chiffres officiels. Officieusement, l’inflation réelle dépasse probablement 5 %. Or, puisque l’économie n’augmente la production de biens et services réels que d’environ 2 % par an, il est peu probable, voire impossible, que les marchés boursiers continuent à progresser de manière significative.
Il est bien plus probable que les actions peinent simplement à suivre l’inflation. Peut-être croîtront-elles de 10 % par an, comme l’affirme Scott Bessent. Mais les prix à la consommation pourraient tout aussi bien augmenter de 10 % eux aussi — voire davantage.
Et au rythme actuel, il est même possible que le dollar n’existe plus sous sa forme actuelle lorsque les nouveau-nés d’aujourd’hui atteindront 65 ans.
Nous ne savons donc absolument pas ce que 600 000 dollars permettront d’acheter à ce moment-là. Probablement même pas de quoi s’acheter un pot pour pisser.
