Par Jean-Claude Périvier (*)
Qu’est-ce qui fait l’intérêt de l’uranium ?
Tout simplement la préparation de l’après-pétrole. Sauf immenses découvertes, on estime que les réserves pétrolières représentent une bonne quarantaine d’années de consommation. Cette estimation est-elle fiable ? Difficile à dire, tant les incertitudes sont nombreuses quant aux prévisions de la consommation et aux réserves prouvées. Quoi qu’il en soit, ce n’est pas le plus important, même avec une marge d’erreur importante, il reste que l’or noir ne pourra plus, à long terme, être utilisé comme source majeure d’énergie, mais réservé à des besoins spécifiques. Il ne sera pas question de produire de l’électricité à partir de cette énergie. Et je ne parle même pas du prix du baril, dont on a vu en 2008 qu’il pouvait s’envoler, ce qu’il ne manquera pas de faire à nouveau.
C’est là qu’intervient massivement l’uranium. Tout le monde le sait, l’uranium est le combustible des centrales nucléaires. Je vous l’ai déjà dit, le nucléaire a souffert d’une mauvaise image dans le monde : Hiroshima, Three Mile Island, Tchernobyl sont des noms qui ont longtemps fait peur. Les anti-nucléaires ont beaucoup joué là-dessus, ne manquant pas de faire des actions d’opposition massives ou spectaculaires.
C’est vrai que le processus nucléaire est délicat, en termes de sûreté. Mais n’oubliez pas que plus c’est sophistiqué, plus les technologies et les méthodes sont de haut niveau, plus le prix à payer par les clients est élevé. Et plus les profits augmentent !
Nécessité fait loi
L’énergie basée sur l’uranium regagne rapidement un statut acceptable d’énergie propre, et d’alternative fiable aux énergies fossiles, à la fois pour lutter contre le réchauffement climatique et assurer la production d’électricité. Même certains écologistes s’y rallient !
Face à tous ces pays qui lancent ou relancent des programmes d’énergie nucléaire civile : Etats-Unis, Grande-Bretagne, Afrique du Sud, Chine, Inde, Russie, Moyen-Orient, Italie… les réserves d’uranium sont limitées et aléatoires. Oui, il faut bien intégrer que, comme d’autres matières premières, l’uranium est une ressource limitée.
La consommation mondiale d’uranium est de 90 000 tonnes par an, et la production est de 57 500 tonnes. La différence provient des stocks civils et militaires, qui seront épuisés en 2015. Pour beaucoup, ce sont les têtes nucléaires russes qui fournissent cet uranium stocké, mais l’engagement s’arrête en 2013. Depuis 1989, la consommation est supérieure à la production, qui a commencé à augmenter de nouveau vers 2000, mais pas suffisamment pour faire face à la demande. Cette dernière devrait augmenter de 2 à 3% par an dans les prochaines années.
Il est difficile de connaître les ressources existantes en uranium. Un état des réserves est mis à jour régulièrement par l’Agence pour l’énergie nucléaire. A la fin 2006, les ressources raisonnablement assurées (réserves) étaient de 3,297 millions de tonnes et les ressources supposées de 4,743 millions de tonnes. Encore faut-il s’entendre sur ce dont on parle : il y a des ressources d’accès facile, à un coût de production de moins de 40 $ par kilo : environ deux millions de tonnes. Si on monte la barre du coût de production à 80 $ par kilo, on arrive à quatre millions de tonnes. Les réserves pronostiquées (probabilité faible) seraient de 7,262 millions de tonnes.
Une pénurie d’uranium se profile dès 2015
La production atteindra son maximum en 2025 et, de l’avis des experts, aucune autre technologie nucléaire ne sera disponible avant 2040. Vous comprenez pourquoi une attention toute particulière est portée aux pays disposant de gisements.
Comme toutes les ressources naturelles, l’uranium est inégalement réparti. Les pays producteurs du Tiers-Monde veulent tirer profit de cette richesse, à l’instar du Niger, l’un des pays les plus pauvres mais quatrième producteur mondial, qui a doublé ses prix en deux ans. Et la demande est forte avec l’arrivée de nouveaux clients, comme les industriels canadiens, chinois, australiens…
Le Canada est le plus grand producteur (23% de la production mondiale), suivi par l’Australie (21%) et le Kazakhstan (16%). Ces trois pays représentent donc plus de la moitié de la production mondiale, mais ils sont accompagnés par le Niger, la Russie, la Namibie, l’Ouzbékistan, chacun produisant moins de 10%. Le reste du monde a une production marginale.
Pour mémoire, entre 1956 et 2002, 75 000 tonnes d’uranium ont été produites en France, avec un maximum de 3 400 tonnes en 1989. Mais depuis, les mines sont fermées : pas assez rentables…
Les compagnies cherchent à obtenir des accords avec les pays producteurs, ou des concessions de long terme afin de garantir leur approvisionnement. Ainsi le Français Areva a son pré carré de longue date au Niger, et cherche à s’implanter au Kazakhstan, tandis qu’il procède à des rachats de mines ou à des joint ventures en Australie et au Canada.
Certains gisements importants existent, mais la mise en exploitation prend du retard ou rencontre des difficultés majeures. C’est le cas de l’importante mine de Cigar Lake au Canada, la plus importante au monde semble-t-il, exploitée par Cameco et dans laquelle Areva a des intérêts, qui devait produire sept millions de tonnes chaque année, mais n’a pu être mise en exploitation en 2007 à la suite d’inondations et de problèmes techniques. Si tous sont résolus, elle produira au mieux en 2011… Les mineurs croisent les doigts, vous vous en doutez.
La mine Ranger en Australie a été inondée en mars 2007, à la suite de quoi la production a été réduite de moitié. Vous voyez que la prospection donne des résultats faibles et aléatoires. Pire, la mise en production des mines prend beaucoup de temps, souvent 10 ans. De plus, certaines mines épuisées, ou devenues non rentables, doivent fermer.
Tension sur les prix ou détente ?
L’augmentation rapide du prix, multiplié par 10 en quatre ans, de 2003 à 2007, montre l’existence d’un problème de ressources minières. Sur cette période, le prix de la livre de yellowcake est passé de 13 à 137 $.
Bien sûr, la spéculation des hedge funds n’y est pas étrangère, ce qui explique le surprenant déclin du prix depuis juillet 2007.
Il y a eu en effet un intérêt spéculatif des hedge funds pour l’uranium, comme pour les matières premières en général. En 2007, 25% des achats d’uranium provenaient des hedge funds. Et ils ont également investi dans les mines dont les cours ont flambé.
Mais cet intérêt est à double tranchant : oui, il permet aux prix de flamber, mais il génère une forte instabilité sur le marché. Par définition, l’achat en spéculation est volatile, comparé aux fondamentaux de l’offre et de la demande. Ce qui se traduit par une possibilité de sévère correction, ainsi que nous l’avons vu depuis fin 2007.
De toute manière, dites-vous bien que l’alimentation des réacteurs nucléaires dépend d’une ressource naturelle relativement rare. Crûment, il n’y a tout simplement pas assez de yellowcake.
Nous verrons la suite dès demain.
Meilleures salutations,
Jean-Claude Périvier
Pour la Chronique Agora
(*) Parallèlement à sa carrière dans le conseil aux entreprises et l’intelligence économique, Jean-Claude Périvier s’intéresse à la Bourse et à l’investissement depuis 1986. Analyste de talent, il excelle à détecter et anticiper les tendances futures… pour en déduire les meilleures opportunités de gain dans sa toute nouvelle lettre d’information, Défis & Profits.